Déjà le quatrième disque pour Killer Mike et El-P, les deux quadras ne lâchent plus le mic après s’être trouvé en 2013. Deux extraits lâchés pendant le COVID et maintenant très engagés dans l’ouragan médiatique qu’est l’assassinat de George Floyd, Run The Jewels a offert gratuitement son disque 48 h avant sa sortie.
La force, tranquille.
Les raisons du succès de ce duo sont multiples mais reposent principalement sur les productions ciselées et musclées d’El-P et les flows extrêmement complémentaires des deux bonhommes. Moins encombrés par les featurings, les RTJ balancées pour meubler et les blagues, le groupe impressionne par son sérieux. Très concentré et sous la barre des 40 minutes, il n’a pas besoin d’aller trop vite ou trop fort pour réussir ses effets. En ralentissant la cadence, Killer Mike et El-P sont plus convaincants et ils signent leurs meilleurs titres à deux. « goonies vs. E.T. » et ses scratchs old school, les synthés eighties de « never look back » ou les guitares du Gang of Four reprises sur « the ground below » sont toutes là pour attester de la maîtrise des deux rappeurs. Se laissant la place sur des couplets entiers, rebondissant peu sur leurs interventions par rapport à leurs habitudes et lâchant bombe après bombe sans jamais courir après la punchline mais en les collectionnant. C’est aussi musicalement leur disque le plus travaillé, consistant et constant sans trou d’air.
Comme toujours, c’est l’occasion d’inviter les potes et comme sur le précédent il y a sept invités. Des surprises comme Josh Homme et Pharrell Williams et comme d’hab Zack De La Rocha pour que l’on se rappelle de son existence et qu’il puisse déclarer ses heures d’intermittents. Si les fans des Queens s’attendaient à entendre Josh claquer son premier flow, c’est mort. Il est ici pour filer un coup de main à la production, gratter quelques cordes et quelques vocalises de fond pour l’un des morceaux les plus aventureux avec Mavin Staples comme seule voix féminine du disque sur les refrains. Pharrell et De La Rocha viennent claquer leurs parties sur les lignes les plus polémiques avec « JU$T » dont le refrain consiste à entonner : « Look at all these slave masters posin’ on your dollar. » Si le groupe a toujours fait passer des messages et a même samplé un discours de Martin Luther King sur RTJ3, quasiment l’ensemble des chansons évoquent les violences, les bavures policières ou le racisme. Autant de sujets qui sont horriblement d’actualité, au point où sur « walking in the snow« Killer Mike cite le « I Can’t Breathe » d’Eric Garner, autre fait divers datant de 2014 similaire à ce qui est arrivé le 25 mai dernier. Seul ratage de la playlist, la creuse « ooh la la » vite oubliée car noyée dans la qualité.
RTJ4 fera toujours le travail pour t’aider à aller soulever de la fonte, courir jusqu’à ce que tes poumons éclatent et pour tester les basses de ton système son. Aussi, il est rassurant, surprenant et revigorant de les voir aussi en forme et pertinent. Bien en place dans le débat public sans forcer, parfaitement en équilibre entre beats modernes et clins d’oeils au passé, le duo sort un disque tendu et qui défile à une vitesse délirante à tel point que les écoutes défilent. Concis, à l’essentiel et sacrément bien construit en devenant de plus en plus sombre, on y voit en quelques écoutes les contours de leur meilleur disque. En passant du buddy movie rigolard au blockbuster politisé, Run The Jewels passe encore un cap et on se demande déjà jusqu’où ira la suite. Plus encore qu’un album dangereusement en rapport à l’actualité, on est en présence sûrement de l’album de l’année.