Deuxième volet pour les aventures de Shame. Après avoir tourné le monde avec leur impeccable Songs of Praise, les voici avec Drunk Tank Pink. Si sa sortie a été décalé à cause d’un connard de virus, son effet est tout aussi surprenant et contagieux.
Envie de changement.
A 23 ans seulement, le chanteur Charlie Steen et ses troupes sont donc déjà à leur deuxième disque. Un Songs of Praise volume 2 aurait pu plaire à tout le monde mais le fameux syndrome du second album les a amener à se poser des questions. L’envie de tester et de ne pas se répéter passe par deux étapes majeures : en sortie de tournée mondiale le chanteur s’isole dans une chambre pour écrire tandis que leur guitariste Sean Coyle-Smith revoit son jeu de guitares et dissèque les albums des Talking Heads.
Drunk Tank Pink est donc un album rempli de surprises. Le premier single « Alphabet » est un superbe cheval de Troie pour démarrer le disque puisqu’il permet à la fois de servir les fans du groupe, tout en ouvrant la porte vers la suite nettement plus aventureuse. Changement de rythmes, titres à tiroirs et morceaux groovy, Shame est bien loin de là où on les attendait. « Nigel Hitter » et « March Day » sont des vraies nouveautés dans leur univers avec des riffs dansants, des breaks et des choeurs que n’auraient pas renié Parquet Courts ou Gang Of Four ! Radicalement différente de sa version live jouée dès la fin 2018, « Human, for a Minute » est nonchalante et ralentit le tempo avec subtilité et élégance. Toutes ses orientations ne sont pas des simples détours mais des lignes directrices d’un album qui peut paraître chaotique dans sa tracklist mais qui réussit à nous montrer leurs nouvelles qualités.
Force et honneur.
Une évolution qui ne serait rien sans le travail de James Ford à la production. Connu surtout pour son succès avec les Arctic Monkeys, les Foals ou encore pour un disque passable avec Depeche Mode, il apporte ici puissance et cohérence. Un single comme « Water in the Well » montre l’apport de sa patte avec une montée vers le refrain, pensée pour le tube et un dernier tiers défouloir où tout le groupe semble tout donner. LA claque de l’album ne se cache pas bien longtemps, elle est à la moitié et s’appelle « Snow Day« . Enrobé d’un vrai mur du son, d’un solo de guitare en partance directe vers les étoiles, de switchs de tempos inattendus, ce titre est épique et concentre tous les frissons générés par ce nouveau disque.
Comme sur leur excellent premier disque, Shame impressionne par son assurance et sa cohérence : le groupe semble avancer comme un seul homme et personne ne se tire la couverture ici. Bien sûr, l’interprétation féroce et volatile de Charlie Steen marque facilement les oreilles. On le savait à l’aise dans la rage, il l’est aussi dans les pauses. Ses paroles tapent aussi juste et sa manière de placer les phrases qui comptent comme sur le refrain de « Human, for a Minute » font qu’il est aujourd’hui l’un de ceux que l’on a envie d’écouter et de lire avec attention.
Malgré une série de virages serrés, on compte peu d’incidents de parcours : « March Day » passe inaperçu et comme sur les autres morceaux plus « souples », Shame se prend parfois trop au jeu des influences. Ils semblent avoir expédié en fin de disque ses morceaux les plus énervés avec « Great Dog« , « 6/1 » et la tornade « Harsh Degrees » à l’affilée. Toutes trois portées par une batterie au taquet, cette déferlante nous prouve en 8 minutes qu’ils n’ont pas perdu la main ou l’envie de botter des culs. Bien décidés à ne pas signer l’album chiant de la maturité, ni à se morfondre sur leur statut : le groupe garde son style, son sens de l’humour et sa force.
Enième animal en cage en attente de concerts, il nous tarde de voir à nouveau Shame retourner les salles. Avec une tournée européenne calé à octobre/novembre, ce serait l’occase de nous faire écouter pour de vrai cet album décalé à cause du Covid et écrit en plein isolement. En 2019. Quand on vous dit qu’ils sont précoces.