Avant son 666ème disque, Ty Segall a décidé de signer un pacte avec le diable : ne pas jouer de guitare. Une idée saugrenue lorsque l’on a peut-être les meilleurs passages de gratte depuis 5 ans. Comme les pédales à effets sont toujours dans le jeu, Ty s’affranchit de la règle en les appliquant sur des flûtes, des claviers et utilisent des instruments improbables venant de Grèce ou du Japon. Pour quel résultat ?
Pas de guitares ? C’est dans ses cordes.
L’aventure Freedom’s Goblin mise en route du Freedom Band aura démontré que l’homme et ses troubadours sont en pleine possession de leurs moyens et le live Deforming Lobes n’est qu’un aperçu de leur force de frappe. Toujours plus aventureux dans leurs jams, diversifiés dans leurs styles musicaux et si Manipulator reste sûrement le meilleur album de Ty Segall, ses lives 2018 sont ce qu’il a montré de plus jouissif. La liberté est encore une fois bien au centre de ce First Taste, où l’expérimentation est le maître mot sans perdre de vue les forces de son auteur. Psychédélisme, balades folks, titres glam à la T-Rex ou folie perchée : tout y passe dans un voyage où on prend la gueule et les oreilles. L’absence de guitares ne se fait pas bizarrement pas ressentir, comme sur Taste qu’on jurerait dotée d’une gratte. Curiosité, surprise et vrai plaisir de la découverte sont au programme avec en plus un batteur dans chaque oreille avec Ty d’un côté et Charlie Moothart de l’autre.
« Taste » bénéficie d’un son aéré, au coffre chaleureux et d’une puissance immédiate. « Whatever » reprend la balle de volée et envoie un mix altruiste où personne n’est pris en défaut : une guitare jouissive, une basse chaloupée et bien présente, un jam de batterie et des claviers stridents et dansants. Le tout pour finir sur des cuivres et des claps de mains qu’on a hâte de reproduire en concert. Un travail d’orfèvre qui n’enlève rien à la saturation ou à la lourdeur du son comme « The Fall » qui crache comme du Jack White. Comme sur le précédent, il soigne sa sortie avec « Lone Cowboys » et son rythme galopant, qu’on jurerait accompagné d’une guitare bordel, et nous relance déjà pour ses prochains travaux. Dans les faiblesses, « Ice Plant » est assez redondante par rapport aux ballades qu’il a pu sortir dans le passé et sa lenteur rime surtout avec lourdeur. Comme toujours, l’homme s’autorise de la dissonance à foison avec des orgies de flutes, des claviers en larsen ou une dernière note en queue de poisson.
« I’ll be whatever you want me to be », nous chante Ty Segall sur « Whatever » et en réalité, c’est lui qui décide exactement ce qu’il a envie de produire. Un tonnerre de percus tribales sur « The Fall« , une instrumentale sur « When I Met My Parents Pt.1« , une transe criarde en cuivres sur « Self Esteem« , les moments marquants sont nombreux et pas au détriment de la qualité des morceaux. Les 41 minutes de First Taste défilent vite et si la promesse de départ déroute, on retrouve toutes les qualités d’un grand album de l’artiste. On espère juste que l’exercice de style ne sera pas la future manie du bonhomme pour éviter qu’il ne se perde dans les concepts comme les King Gizzard.