Father John Misty ✖︎ Pure Comedy

Father John Misty sort d’un carton plein. Fini le statut d’ex-batteur des Fleet Foxes, maintenant on parle du beau gosse dégingandé ayant un avis sur tout, toujours une reprise ou un happening dans la manche. Entre concerts sold-outs, articles relatant le moindre de ses gestes au cours des deux dernières années, il ne laisse pas reposer le buzz et envoie donc Pure Comedy. Annoncé fin janvier, il a accumulé un essai, un making-of de 27 minutes et 3 extraits dès la première semaine. Un album présenté comme plus humain avec une production dépouillée et des textes portés sur la vie en général plutôt que sur la sienne.

Pince sans rires

 

Si le sarcasme et l’humour à froid semble être absents aux premiers contacts, le disque en est toujours pétri et devient encore plus insidieux. Dans un emballage rappelant John Lennon, George Harrison ,voire le Elton John des seventies avec un piano plus présent et une clarté frappante, liée à l’absence des cuivres qui peuplaient par exemple I Love You, Honeybear. S’étalant sur plus de 75 minutes, il est difficile d’avoir un avis unanime sur le disque.
Placé parfois sous le signe de la performance, Pure Comedy atteint à la fois ses limites et son sommet avec « Leaving L.A ». Morceau fleuve de plus de 40 couplets découvertes en live, étonnante à vivre lors d’un concert de mai dernier à l’Alhambra mais fatigante sur la durée en studio. Un problème ? Non, par une énième pirouette de son auteur, elle se voit raccourcie par une radio edit de 3 minutes une semaine avant la sortie de l’album. Histoire de cligner de l’œil aux radios mais aussi de les vanner en soulignant leur manque d’ouverture face aux longs formats. Tout comme il ne s’est pas privé de sortir sur Soundcloud 3 « Generic Pop Songs » qu’il a aussi tôt effacé, alors que certaines d’entre elles valaient autant que celles présentes sur son nouveau disque. A force de jouer la carte de la parodie et de l’auto-dérision, on ne sait plus quoi vraiment penser et c’est sûrement là que Father John Misty garde un coup d’avance. Seul lui sait ce qu’il manigance.

Qui est-ce ?

Installé depuis deux disques dans un rôle de chanteur folk sarcastique, Josh Tillman prend ici pleinement la place d’un observateur se penchant sur la vie et la société. Avec un calme le rapprochant de son ancienne discographie, sortie sous son vrai patronyme. Sans tomber dans l’acoustique très classique qu’il avait pour habitude de composer à l’époque, on sent que l’homme veut réussir à faire cohabiter son personnage avec une dimension supplémentaire. Enfin c’est visiblement ce qu’il souhaite nous faire croire. Comme ses romanciers versant dans l’auto-fiction, on a sacrément du mal à voir où l’un commence et l’autre finit. Même si vous accrochez au bonhomme, il n’est pas dit que ce troisième volet ne vous donne pas du fil à retordre. Clairement si vous criez déjà à l’escroc, ce n’est pas cette cuvée qui retournera votre veste. Si vous faîtes partie des haters, vous n’êtes sûrement pas en train de lire ce quatrième paragraphe. « Total Entertaintment Forever », « Pure Comedy », « Things That Would… » ou « A Bigger Paper Bag » sont de bonnes introductions et font dans le contexte du disque figures de singles. Elles sont hélas assez esseulées et on a tendance à se perdre face à « When The God of Love… », « The Memo » ou « Birdie ».

Et toi, tu creuses

Moins dans l’humour et plus acéré, ses textes très nombreux ici méritent de s’y attarder et rien que les tortueux noms des morceaux en disent long sur ce que vous y trouverez. Peu d’auteurs aujourd’hui ont sa plume et sa facilité à pondre des images aussi drôles que justes. Pure Comedy, comme la vie peut-être, a un goût de trop plein : on aimerait y enlever les parties désagréables ou qui nous plaisent moins. C’est aussi ce qu’il rend charmant dans un sens, à devoir creuser pour y trouver la richesse d’un arrangement qu’on aurait loupé sur les écoutes précédentes ou un mot bien placé. Ou serait-ce pour la voix ? D’une pureté quasi sans égale dans le registre rendant parfaitement la pareille en live. Un bijou trouvant son écrin dans une production au diapason assuré par son collaborateur Jonathan Wilson et Nico Mulhy. Un casting resserré pour des arrangements soignés mais discrets pour s’assurer que toute l’attention reste porté sur le chant, ses mots et son message. Ce choix d’une approche sonore très rétro et des textes pouvant avoir plus d’une interprétation très contemporaine liée à notre époque au contexte politique complexe et aux effets liés à notre société sur-connectée , c’est là où le disque trouve une autre partie son intérêt.

L’album du « trop »

Dans un équilibre permanent entre grandeur ampoulée et honnêteté faussée, ce disque comme son auteur peut irriter, fatiguer ou faire bailler. Dans une liste d’excès qu’on peut tenter de résumer par une série d’adjectifs : ambitieux, long, grandiloquent, prétentieux, bavard, sérieux, exigeant, tourné sur la voix, etc… Avec une première partie balançant rapidement les extraits les plus « légers » déjà partagés, la suite est difficile à appréhender. Le rythme est assez monotone et on est parfois à la recherche d’un souffle, d’un emballement dans un disque qui a du mal à se finir. Tout comme  l’un de ses derniers titres,« So I’m Growing On Magic Mountains ». Pied de nez à une industrie musicale et au public qui consomme de moins en moins le format album, Father John Misty fait ce qu’il veut et il est en pleine possession de ses moyens. On voudrait juste lui dire de ne pas nous oublier en route. En se rapprochant du gospel, de la soul et en se débarrassant de sa barbe et de ses longs cheveux, il garde une partie de ses qualités mais ses nouvelles orientations ne viennent pas sans défaut. Il reste un grand album où le travail est indéniable, encore faut-il se donner le temps de s’y investir. La curiosité suivante sera de voir comment il va s’adapter au live et vivre avec les deux autres disques.
Réponse apportée en tournée prochainement et notamment au Trianon le 11 Novembre.