Les nuits au Hellfest sont courtes, mais dormir c’est pour les faibles. Et puis quand ta tente se change en sauna tu n’as véritablement aucune raison de rester dedans alors autant en profiter pour aller tout de suite voir des concerts !
Wake up & smell the destruction
On attaque donc cette deuxième journée à 10h30 avec Los Disidentes Del Sucio Motel qui, contrairement à ce que vous pourriez penser, est un groupe de stoner français qui officie depuis maintenant plus de dix ans. Et contrairement à ce que vous pourriez penser depuis la dernière phrase, ils chantent en anglais. Donc des français anglophones mexicains de cœur.
Les stasbourgeros nous servent dans les trente minutes qui leurs sont accordées un stoner qui ne révolutionne rien mais se fait efficace et plutôt bien exécuté. Leur musique et les images de désert diffusées en fond de scène sont une parfaite introduction pour la journée brûlante qui nous attend.
On est donc bien réveillés pour apprécier le déferlement de violence de Primitive Man. Pour vous donner une idée, Primitive Man c’est comme Conan mais en plus heavy et en moins mélodique. Autant vous dire que le trio ne fait absolument aucun compromis et nous envoie la noirceur de son âme sans filtre sous la forme d’un torrent de boue sonore que seuls les plus aguerris sont en mesure d’apprécier. Cette petite demi-heure fait l’effet d’un tamis filtrant les plus sensibles qui seront comme éjectés de la tente. A la fin du set le chanteur Ethan Lee McCarthy, visiblement ému, remerciera les quelques guerriers qui les auront accompagnés jusqu’au bout du voyage.
Jokes & punches
Place enfin au concert le plus attendu des festivaliers : Ultra Vomit ! Oui parce que si on en croit les « c’est mon kamion ! » criés au camping à toute heure du jour et de la nuit, tout le monde était chaud.
Leur nom était sur toutes les lèvres et on peut dire que cette année, le groupe le plus fédérateur n’était pas une tête d’affiche. Les classiques d’« Objectif Thunes » côtoyaient les nouveaux titres de « Panzer Surprise » mais peu importe l’album, les festivaliers récitaient toutes les paroles par cœur. Certes les imitations de groupes n’étaient pas aussi peaufinées que sur album mais pour ça il aurait fallu sacrifier pas mal de temps entre chaque morceau, ce qui aurait été dommage sur un set de quarante minutes. Pas de temps à perdre donc, les blagues, les chansons et les blagues dans les chansons s’enchaînent au pas de course. Le tant attendu « Calojira » qui reprend « Face à la mer » de Calogero façon Gojira a fait gueulrire tout le monde. La chenille version metal a donné naissance à un mutant difforme. Protip les mecs : quand Marcel et son Orchestre faisaient une chenille ils donnaient la direction pour qu’on aille tous dans le même sens. La dixminuteàperdresque « Pipi VS Caca » nous a introduit au concept du wall of chiasse, un wall of death avec d’un côté la team Pipi, de l’autre la team Caca. Chaque team hurlant avec fierté le nom de sa team avant que le tout ne se rassemble en un immonde fond de chiottes.
Andreas, l’autre moitié d’Andreas et Nicolas viendra même slammer déguisé en canard sur « Je collectionne des canards (vivants) ». A noter aussi que sauter en chantant « Coin ! Coin ! Coin ! Coin ! Coin ! » avec toute une Mainstage du Hellfest reste une expérience assez inoubliable. Après la fameuse balade du routier allemand et l’hommage au petit Lemmy, le concert s’achève avec la parodie d’Iron Maiden « Evier Metal », pour l’amour du heavy anglais et du jeu de mots.
Mais fini la rigolade et direction l’Altar pour aller se faire péter la gueule par Nails ! On est d’ailleurs beaucoup à avoir eu la même idée puisqu’il y a du monde pour aller assister à la prestation du groupe de powerviolence le plus populaire du moment.
Comme prévu l’agression est rapide et ultra-violente. C’est puissant, même si on n’atteint clairement pas le niveau d’intensité façon double claque retournée qu’ils infligent sur album.
Considérant la sévérité exprimée dans leurs paroles on aurait pu s’attendre à trouver des mecs assez sérieux et premier degré mais c’est avec surprise qu’on découvre au final un groupe assez humble voir presque gêné par l’accueil que lui a réservé le public du Hellfest et qui ne manque pas de remercier dès qu’il le peut.
Charmer & snakes
C’est une douce vibe seventies, voir sixties, qui nous ramène doucement à la Valley. Blood Ceremony nous offre des riffs blueso-sabbatho-psyche sur lesquels vient officier la maîtresse de cérémonie Alia O’Brien, qui prêche d’une voix de sorcière elle aussi assez influencée par cette époque. Le tout fait bien entendu penser à Coven, même si le résultat reste malgré ses influences plus moderne. Comme pour charmer l’auditoire, Alia sort par moments sa flute traversière avec laquelle elle suit le riff ou nous offre quelques solos assez agréables. On pourra toujours débattre de la pertinence des groupes vintage mais aujourd’hui on est sans nulle doute conquis par l’authenticité de cette performance qui nous aurait bien fait signer le contrat avec le grand cornu, si ce n’était pas déjà fait.
Changement de ton avec Frank Carter devant la Warzone. D’entrée de jeu, le petit roux nous rappelle qui est le patron avec « Juggernaut », le premier single de son premier album solo dont les paroles étaient on ne peut plus claires : même tout seul il reste un juggernaut (nm. « truc qui défonce tout »). Et c’est bien le cas puisque dès le début du concert, on le retrouve debout sur le public alors que la guerre est déclarée et que des nuages de poussière se soulèvent déjà.
Sans nous laisser le temps de souffler il enchaîne avec le tubesque « Lullaby » issu du nouvel album « Modern Ruin ». C’est au milieu de cette chanson et alors que la bataille fait rage dans le pit qu’on réalise qu’on est quand même en train de se battre sur une chanson où le mec raconte qu’il chante une berceuse à sa fille. A ce propos, ceux qui avaient peur que l’orientation plus pop du nouvel album et la prévalence du chant clair ne fassent redescendre l’ambiance en live sont immédiatement rassurés. L’approche est moins frontale mais l’esprit reste et le pit est plus que jamais rempli de furieux.
Avant de lancer « Jackals », Frank nous déclare que « I didn’t come here just to play songs for you. I came here to see some fucking crazy shit happen. » Et le petit teigneux de nous demander de faire le plus grand circle pit possible, c’est-à-dire en tournant autour de la tour de régie ! La chanson est lancée, mais les immobiles autour de la tour bien trop ancrés dans le sol, si bien qu’on se résout à ne rester que devant la tour. Sauf que Frank se souvient bien de ce qu’il avait demandé et se rend bien compte qu’on se fout un peu de lui. Il arrête la chanson, nous engueule et réexplique bien ce qu’il veut. La deuxième tentative sera la bonne : les immobiles sont virés sans ménagement et la Warzone se change en une géante machine à laver. Ça restera certainement comme une des images marquantes du week-end et comme une nouvelle preuve que Frank Carter fait absolument ce qu’il veut du public.
Mars & Moon
Retour sous la Valley avec le stoner psyché de Mars Red Sky. Les morceaux sont longs, les structures intéressantes sans être non plus trop proggy et les musiciens carrés. La demi-surprise viendra de la capacité des bordelais à taper aussi juste que fort. J’avais déjà vu Mars Red Sky deux fois mais c’était il y a longtemps et mes souvenirs étaient probablement un peu flous. Je me rappelais surtout de leur aspect doux et planant et ils ont prouvé aujourd’hui qu’ils savaient se faire bien plus agressifs et rugueux. Bon, personne s’est battu hein, mais ce concert a permis de rappeler que dans son registre le trio sait au final faire preuve d’un spectre assez large.
En ce 17 juin nous étions bien proches du solstice, ce qui fait qu’à 19h40 le Soleil était encore haut dans le ciel et pourtant dans nos cœurs l’obscurité était déjà là puisque c’est à ce moment qu’entrait en scène la reine de la nuit Chelsea Wolfe. Elle apparut sur quelques notes cuivrées avant de nous inviter à un « Feral Love » puis d’hurler à la Lune sur « Carrion Flowers ». La louve noire nous fait entrer dans sa rêverie tantôt froide, sensuelle, déchirante et même violente mais toujours planante comme la retranscription sonore d’un voyage intérieur. Contrairement à l’image qu’elle dégageait à une certaine époque, Chelsea Wolfe se montre ce jour-là assez ouverte et proche du public, allant même jusqu’à… sourire (oui !).
Rage & madness
Juste le temps d’enfiler un distille et c’est parti pour aller affronter la tempête de sable de Comeback Kid à la Warzone. Les canadiens nous offrent comme d’habitude un show ultra-énergique. Il ne pourrait de toute façon pas en être autrement considérant la montagne d’hymnes qu’ils ont à disposition et qu’ils se font un plaisir de nous servir. Toute la fosse reprend en cœur ces refrains sur lesquels, il faut le dire, le chanteur Andrew Neufeld semble parfois bien peiner. On mettra ça sur le compte de la poussière qui s’élève jusque sur la scène.
Dans le pit, l’utilisation du bandana et des lunettes de soleil est d’ailleurs obligatoire puisque dans les passages les plus violents il était difficile de voir à plus de deux mètres et que chaque respiration sans foulard donnait la sympathique impression buccale d’avaler une bonne bouchée de terre. Dit comme ça, on pourrait croire qu’on a passé un sale moment, mais rappelez-vous bien que le volume de poussière est proportionnel aux mouvements des spectateurs. Pour clore cette énorme fête, Comeback Kid ressort comme à son habitude l’obligatoire « Wake The Dead » et la Warzone disparait dans un nuage de poussière, de membres qui volent dans tous les sens et de chants fraternels.
La Valley reste la plus petite tente du festival mais depuis son agrandissement il y a deux ans elle fait tout de même la taille d’un beau petit hangar, si bien qu’on l’avait depuis rarement vue complètement pleine. Ce fut pourtant le cas ce soir avec le concert de Primus. Le groupe se fait assez rare et ses adeptes sont nombreux, aussi quand on a la chance de les voir passer autant ne pas rater l’occasion.
C’est donc dans une Valley pleine à craquer que Les Claypool et ses potes entrent en scène. Alors qu’ils attaquent par « Those Damned Blue-Collar Tweekers » l’écran diffuse des images de Salad Fingers (si vous ne connaissez pas, allez-y et remerciez-nous ensuite). Le ton est donné. On en avait pour une heure tout rond de folie furieuse, de basse niveau ceinture noire attachée autour de la tête en plein karaoké bourré, d’un prog-funk expérimental tirant sur l’indus joué par un cirque dégénéré et de visuels reprenant leurs clips de psychopathes. A entendre les réactions à la sortie, c’était pour pas mal de (vieux) fans leur première fois et il y a fort à parier que nombre d’entre eux ont du s’éclipser un moment pour revêtir de nouveaux sous-vêtements propres.
Ice & fire
La scène pagan n’a jamais été aussi populaire et si elle sert malheureusement de couvert à nombre de groupes de thrash-musette aux mélodies faciles et aux paroles traitant d’un passé nordique largement fantasmé, il ne faut pas pour autant jeter le babyen avec l’eau du bad. On risquerait de passer à côté de pépites comme Wardruna, dont la prestation au Hellfest restera dans les mémoires de tous ceux qui ont pu y assister. Et ils étaient nombreux à se presser autour de la Temple pour assister au concert de ce groupe de musique traditionnelle moderne (oui) nordique. Le groupe doit une grande partie de sa popularité au fait qu’il compte parmi ses fondateurs Kristian ‘Gaahl’ Espedal (aujourd’hui absent des lives) et au fait que sa musique est utilisée comme bande son pour la série Vikings.
Menés par le leader Einar Selvik, les norvégiens ont offert un spectacle aux allures cérémonielles qui, tout en refusant l’étiquette de reconstitution, semblait provenir d’un autre âge. L’utilisation d’instruments anciens, les chœurs et chants gutturaux, la rythmique aussi répétitive qu’entêtante, les flammes qui venaient éclairer le visage des musiciens sur certains morceaux… Tout cela participait à la création d’une atmosphère unique et la tente s’est vue transportée le temps d’une heure dans un songe entre racines et modernité.
Tous les ans John Garcia reforme un de ses anciens projets pour revenir jouer au Hellfest. Cette année ne fait pas exception puisque le Hellfest est un des rares festivals choisis pour la tournée de reformation de Slo Burn !
Slo Burn était à l’origine le premier projet post-Kyuss de John Garcia. Il connut une courte existence de plus ou moins un an de 1996 à 1997 et une discographie assez limitée avec une démo de 5 titres jamais officiellement publiés suivie du fameux EP « Amusing the Amazing » de quatre titres. Le son général était proche de ce que faisait Kyuss mais avec une simplicité et un aspect direct qu’on ne retrouvera plus jamais aussi prononcé chez les projets suivants du père Garcia.
Après quelques minutes à contempler la lente ambulation d’un éléphant au soleil couchant en fond de scène, le groupe entre sur « Muezli » et c’est la déflagration de classe. Rythmique implacable, basse graveleuse, riffs brûlants et solos incendiaires. On ne peut qu’admirer la redoutable efficacité de la formation : une batterie, une guitare, une basse et un chanteur chacun parfaitement audible et au sommet de son jeu. Il aura fallu attendre dix ans pour revoir Slo Burn sur scène mais le résultat est lourd et sauvage comme un éléphant qui aurait pris des cours de MMA. Quand retentit enfin le « Pilot the Dune » final on se dit qu’on ne serait pas contre un nouvel album de Slo Burn et plus si affinités. S’il y a un projet qui mérite que le père Garcia s’y arrête un moment, c’est bien celui-là.
Thank you & good night
Il est à présent une heure du matin et l’heure du dernier concert est venue. On se dirige vers la Warzone pour aller voir Suicidal Tendencies mais le bouchon autour de la scène rendant l’accès difficile on décide retourner à la Temple pour apprécier le set de Deafheaven.
Après une journée de concerts bien chargée on se laisse porter par les plages sonores sombres et éthérées de ces américains qui mélangent black metal, shoegaze et post-rock. Les musiciens restent relativement statiques tandis que le chanteur George Clark, habillé comme un créateur de mode, cours d’un côté à l’autre de la scène en s’arrêtant par moments pour faire l’hélicoptère avec sa mèche. Le spectacle est assez particulier. Aux riffs black metal succèdent de grandes envolées à la Year of No Light, créant ainsi une atmosphère aussi planante que violente.
Alors que le festival ferme ses portes pour la journée, un type en cosplay Rollo (probablement là pour Wardruna) reste posté devant la sortie et salue tous les festivaliers aux cris de « Ragnar Lothbrok ! ». Les festivités se poursuivront au camping mais c’est ici que prend fin ce live report du samedi déjà bien trop long.
La journée de Boris
Long ? A peine ! 🙂 Si tu as tenu jusqu’ici lecteur, je vais donc te la faire courte : de la chaleur infernale de ce samedi, s’il ne fallait en retenir que trois, ce serait Ultra Vomit, Primus et Slo Burn.
Ultra Vomit car je n’aurais jamais cru qu’ils seraient aussi attendus et que ça soit aussi bon, en plus des raisons que Foofree a évoqué. Primus, car ils ont apportés une généreuse dose d’originalité et de folie qui manquait sous la Valley jusqu’ici. Et Slo Burn, car quand John Garcia vient au Hellfest, c’est toujours parfait. Il y a à chaque fois le mélange idéal et subtil de maîtrise, de folie, d’énergie et d’harmonie avec le public. C’est marrant parce qu’il parle très peu voire pas du tout, mais il y a quand même énormément d’échanges entre le groupe et le public. Et John a une classe folle (et il conduit la dune).
Bon, le reste de la journée n’est pas à jeter non plus, mais globalement j’étais pas très loin de Foofree donc ça fait redite : très bonne introduction avec Los Disitentes del Sucio Motel, les autres français que sont Mars Red Sky m’ont aussi montré un autre visage que dans mes souvenirs, Primitive Man c’est très primaire, Blood Ceremony il y avait de la flûte, … Ah si, Steel Panther j’y suis allé un peu, mais comme c’était encore les mêmes blagues, ça ne valait pas le coup de prendre des coups de soleil devant la Main Stage !
La journée de Lolu
De mon côté, la prestation qui m’aura immanquablement marquée est celle de Frank Carter & the Rattlesnakes. Mon avis est complètement biaisé, et j’assume, mais difficile de trouver quelque chose à redire sur le concert de Frank, Dean et leurs acolytes : c’est tout simplement épique à coup sûr. Ce circle pit géant restera gravé dans ma mémoire (et mes poumons), tout autant que le regard implaquable de Frank, surplombant la foule d’un air conquérant, ou ce slam de Dean, guitare à la main. Ça transpire le rock et le punk à l’état brut, et ça fait vraiment du bien !
Ultra Vomit restera également dans mes favoris, et je n’ai pas grand chose à ajouter à ce qui a été dit au-dessus : un grand moment de rigolade et une main stage largement méritée (par contre j’ai moins kiffé le coup de soleil).
Cette deuxième journée m’aura aussi marqué par des allers-retours incessants entre la Valley et la Warzone : Chelsea Wolfe m’aura totalement envoûté, tout comme Primus et leur folie, NO TURNING BACK ont bien montré qu’il faudrait encore compté sur eux pendant 20 ans de plus (au moins !), et Comeback Kid ont déclenché une belle tempête de sable digne de ce nom.
Ma déception restera cette fausse annonce d’Aerosmith : on arrête, et finalement on arrête plus. Déception car je suis allée les voir en me disant « c’est la dernière, autant en profiter », ratant ainsi la prestation émérite de Slo Burn. Ne dites rien, je m’en mords toujours les doigts.