Vendredi matin, quelques masses informes s’extirpent péniblement de leurs tentes. Parmi les râles émis par ces sacs d’os brisés à la peau brûlée par le Soleil on capte un « Rhaaaaaa ! Et c’était que le premier jour ! » qui reçoit rapidement pour réponse un « Non ! Le premier jour c’est aujourd’hui ! C’était le jour Zéro ! Et tu sais quoi ? Manowar vient d’annuler ! ».
The Necromancers
Le jour zéro avait certes marqué le corps et l’esprit, mais il aurait été dommage de rater le set de 10h30 sous la Valley. The Necromancers est une bande de poitevins qui pratique un stoner rock plutôt intéressant. Certes il suffit de quelques secondes pour se rendre compte que la voix du chanteur va très explicitement chercher du côté d’Orange Goblin, mais quand on soulève la bête pour inspecter l’étiquette, il y est indiqué « 50% stoner, 25% doom, 20% psyché, 5% polyester ». Bon, la vérité c’est que c’est du rock n’ roll.
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Alors bien sûr ce début de réflexion peut faire peur parce qu’on sait qu’Orange Goblin a sorti ses pires albums en lâchant les champignons pour se consacrer uniquement au hard rock de routier. Et pourtant ce serait se tromper, parce que si la voix fera ricaner les plus médisants, The Necromancers n’est pas Orange Goblin et parvient à transmettre plus d’émotions par son rock n’ roll que par ses champignons.
Une très bonne surprise donc avec un groupe qui révèle vraiment sa sensibilité en live, et il faut le dire, un guitariste aux solos de bâtard.
Pour un concert de 10h30 la Valley était plutôt bien remplie et les poitevins ont l’air d’avoir pris leur pied.
Stinky
Direction la Warzone pour le concert de Stinky (« qui pue »), auparavant connu sous le nom de Stinky Bollocks (« couilles qui puent »). Est-ce à dire que Stinky a perdu ses couilles ? Certes non !
Ils n’auront eu que trente minutes mais la violence du pied-bouche si proprement exécuté en aura fait un concentré de violence diablement efficace. Et puis, ils n’auront peut-être eu que trente minutes, mais si on considère qu’ils sont de Clisson, c’est peut-être le seul groupe du fest à avoir eu plus de temps de set que de trajet pour venir.
Du hardcore direct et efficace. Une chanteuse fort charismatique. Des statements politiques balancés sans excuses. Stinky, la bagarre de l’amour de la bagarre.
Valley of the Sun
De Valley of the Sun je n’avais que le souvenir d’une soirée de 2015 au Klub. A l’époque les américains avaient débauché le bassiste français Arnaud Merckling et le chanteur Ryan Ferrier avait profité de ce passage à Paris pour bien se foutre de notre gueule en venant jouer avec un béret et une baguette sous le bras.
« Ha ! On va rigoler ! » me disais-je donc. Au final, le français n’était plus là et on n’a pas rigolé. Le groupe a d’ailleurs bien changé puisqu’ils ne sont plus trois mais quatre et qu’ils ont à présent une attitude plus posée.
On ne rigole pas mais on a quand même droit à une jolie prestation avec un gros aéronef qui broute un peu mais parvient tout de même à nous faire décoller. On aurait quand même aimé un set d’un peu plus d’une demi-heure histoire d’aller plus haut, de se rapprocher de l’avenir.
Radio Moscow
On a pensé les zapper un instant, puis on s’est rappelés que les geôles soviétiques étaient bien froides et on a préféré éviter la colère du Parti.
Radio Moscow c’est du heavy blues et pas grand-chose d’autre. Les compositions sont tout de même plus modernes que ce que leurs déguisements laissent penser, mais on est bien là devant un groupe qui mise tout sur le retro. Que dire sinon que c’était vraiment très bien exécuté, mais qu’on n’en retiendra rien.
Un set propre servi par des musiciens talentueux, qui se posent probablement une marche au-dessus de l’armée de poseurs et de professionnels de la reconstitution historique qu’on a vu naître ces dernières années, mais qui ne nous ont pas non plus donné envie d’en entendre plus.
The Dwarves
Nick Oliveri fait certainement partie des trois musiciens qui se sont le plus incrustés au Hellfest, pas loin derrière Phil Anselmo et John Garcia. La technique étant de bien fouiller le fond de sa discographie pour trouver un groupe avec lequel revenir. Cette année pour Nick (aka Rex Everything), ce sera avec les Dwarves.
Fidèles à leur réputation, les garçons rappellent aux quelques spectateurs présents que l’esprit punk au départ c’est juste du mauvais esprit. Des morceaux directs et efficaces et beaucoup, beaucoup de blagues nulles. Toute leur carrière étant bâtie sur le politiquement incorrect, ce serait dommage de changer maintenant.
On ne va pas mentir, les punks étaient peu nombreux devant la Warzone, mais ils étaient motivés et ils se sont bien marrés.
Conan
Conan en live c’est du 50/50 : soit la balance est bien faite et c’est une claque cosmique assez inégalable, soit elle est bâclée et le spectacle se résume à des mecs encapuchonnés et un gros bourdonnement infâme. A moins d’être fan de Sunn O))), autant repartir voir autre chose.
Mauvais que je suis, je m’attendais plutôt à la seconde option et j’avais donc prévu d’aller constater la chose par acquis de conscience pour aller voir Daughters. Mais… chose rare, cette fois la pièce est tombée sur la tranche. Le son était très loin d’être parfait, mais suffisamment audible pour que la prestation ait un intérêt.
Le dernier album « Existential Void Guardian » étant un grand coup de lance dans les boyaux, je décide de rester, et bien m’en a pris. C’était pas le meilleur set de Conan. C’était pas le pire.
Lofofora
14h, c’est l’horaire à laquelle cette vieille feignasse d’Hilikkus daigne se pointer sur le site du festival, pile pour planter sa tente devant la Main Stage où se produit Lofofora. Les vénérables parisiens livrent un set carré et bien énervé, visiblement un poil agacés de passer à un créneau normalement synonyme de sieste. La setlist s’équilibre entre anciens classiques (“Envie de tuer”, “Le Fond et la forme”, “Weedo”) et morceaux plus récents (“Pornolitique”). Le charisme du frontman Reuno resté inégalé et on sort fort contents de la prestation de Lofofora malgré un final avec remix de “L’oeuf” qui n’aura pas bien convaincu.
My Sleeping Karma
Ce qui est toujours drôle avec My Sleeping Karma, c’est de constater le clash entre leurs physiques de guerriers teutons capables d’écarteler un homme à mains nues, et la douceur extrême de leur musique.
On pourra leur reprocher de ne jamais franchement se renouveler, mais il faut dire qu’ils ont trouvé la fréquence exacte à laquelle vibrent nos cerveaux qu’il serait peut-être dommage d’en changer.
Les allemands nous portent sur leurs ondes zen et c’est véritablement une souffrance de devoir s’en arracher mais la culpabilité de rater Power Trip nous force à partir vers les tentes voisines.
Power Trip
La transition est forcément assez peu logique mais on repasse assez rapidement de l’amour à la violence. Les champions du crossover mettent tout le monde d’accord. Les fans de trash et les coreux se mettent joyeusement sur la gueule sans distinction. Headbangs fiévreux, poings levés et un chanteur à casquette qui balance des kicks en l’air sans pression.
On n’atteint pas la perfection des albums mais la prestation reste propre et on espère les revoir pour un concert complet.
No One Is Innocent
No One Is Innocent succède à Lofo sur la Main Stage 2 qui sera entièrement consacrée au groupes français pour cette première journée. On ne compte plus leurs changements de line-up depuis leur retour en 2004 mais désormais No One est un quintet mené par les 2 figures centrales Shanka à la guitare lead et bien sûr Kemar au chant. Avec sa prestation du jour, le groupe n’échappe pas à sa réputation de Rage Against The Machine à la française, que ce soit par les thématiques abordées (« Ali (King of the ring) », « À la gloire du marché ») ou les compositions (Le riff de « Silencio » semble sorti de la collection privée de Tom Morello). A noter que les discours très politisés du chanteur ont du mal à trouver un écho dans le public, la faute peut être à un rythme trop haché. Le concert se finit dans la bonne humeur avec l’arrivée de Nico de Tagada pour un duo, vu de loin pour cause de migration vers la Warzone.
The Interrupters
En effet la Warzone accueillait les The Interrupters, un groupe de Los Angeles qui joue du street punk façon Rancid abordé par le versant ska. Evidemment, il était hors de question qu’Hilikkus en loupe une miette. Se sachant très peu connu par le public du Hellfest, les californiens accueillent les nouveaux à bras ouverts et se mettent rapidement l’auditoire dans la poche grâce à leur entrée mise en scène façon match de boxe, leurs morceaux sautillants et leur sourire communicatif. On appréciera les messages explicites d’inclusion (“No place for racism, sexism and homophobia”) et les feintes de reprises – successivement Metallica, NOFX, Rancid et Operation Ivy). Un excellent moment festif qu’on aurait été ravis de voir se prolonger en cet après-midi ensoleillé.
Demons & Wizards
Qu’on soit clairs, je n’ai jamais franchement été fan de power metal. Mais il se trouve que Demons & Wizards, supergroup formé par le chanteur de Blind Guardian et le guitariste d’Iced Earth, avait sorti en 2005 « Touched by the Crimson King », un concept album tournant autour de La Tour Sombre de Stephen King, série dont j’ai récemment fini de manger le dernier volume.
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C’est donc avec un regard amusé que je suis allé voir Hansi Kürsch et Jon Schaffer nous compter l’histoire de Roland, du Crimson King et de Blaine. Quelques regrets sur la faible utilisation de l’écran incurvé considérant la théâtralité de la musique. Hansi a quelques défaillances mais Jon reste solide et démontre sa classe de père pirate. Les allemands ont en tout cas l’air de se faire un gros kiff et leur joie est communicative. On serait presque aussi joyeux qu’eux… si on n’était pas en train de violemment cuire au Soleil. L’odeur de chaire grillée commençant à se faire sentir, on se dit que tout ça n’est au final pas si raisonnable et on partira en leur souhaitant de long days and pleasant nights.
Me First and The Gimme Gimmes
On revient sur la Warzone pour Me First and The Gimme Gimmes, légendaire supergroupe de reprises fondé par Fat Mike de NOFX et Joey Cape de Lagwagon. Le concept même de la formation conduit à de très fréquents changements de membres, ce qui explique le pourquoi de la présence de Stacey Dee de Bad Cop/Bad Cop et de Lindsay McDougall de Frenzal Rhomb à la place des fondateurs. Forcément, c’est un peu la douche froide, mais pas autant que celle provoquée par la piètre prestation du groupe qui n’arrivera pas à arracher un sourire malgré ses fabuleux costumes en or pailleté. Morceaux bâclés, setlist mollassonne, charisme au ras des pâquerettes, c’est un concert à oublier.
Ultra Vomit
Toute la team VisualMusic se retrouve devant ce qui promettait d’être l’évènement de la journée : Le concert – ou plutôt le spectacle d’Ultra Vomit tant la scénographie, les enchaînements et le rythme étaient maîtrisés. Après une intro grandiloquente où ils se annoncent vouloir humilier Mass Hysteria et Gojira pour prendre la place de meilleur groupe de metal français, les quatre nantais alignent les pitreries et les tubes frénétiquement, avec l’appui de projections vidéos impressionnantes de qualité (ben ça fait cher la blague #entenduauHellfest). Si tous les morceaux joués ce soir sont bien connus des fans, on a le droit à quelques surprises: Le retour de Nico Tagada Jones pour chanter “Un Chien Géant”, un faux Calogero plus vrai que nature sur scène pour “Calojira”, une chorale gospel pour une chanson à la gloire d’un Jesus superstar du foot et même l’ancien bassiste d’Ultra Vomit Jacou invité à reprendre son poste le temps d’un “Pink Panthera”. Il serait fastidieux d’énumérer toutes les conneries débitées ici, mais sachez que l’évocation de la mémoire de feue Dolores O’Riordan quand le groupe a intégré « Zombie » des Cranberries au milieu de la très nécrophile “Je ne t’ai jamait autans aimer” a provoqué un joli frisson bien apprécié chez VisualMusic, quelque part entre la franche rigolade et le malaise. L’heure s’achèvera de façon épique avec un final « Kammthar » – « Evier Metal » devant un public totalement conquis (même si on compatit pour les festivaliers non francophones qui à l’heure où ces lignes sont écrites n’ont toujours pas compris ce qu’il s’était passé).
Dropkick Murphys
On glisse sur la droite dès la fin d’Ultra Vomit afin d’obtenir de haute lutte une place correcte devant les Dropkick Murphys. C’est surement la foule la plus compacte à laquelle on a eu affaire sur la Main Stage ce weekend. Il faut dire que la formule punk rock celtique / chanson à boire des Américains est extrêmement fédératrice, surtout auprès d’un public festif comme celui du Hellfest. Alors on danse la gigue joyeusement au son de la cornemuse, du banjo, de l’accordéon et de la flute irlandaise pendant que les pichets de bières volent dans les airs. Les deux frontmen Al Barr et Ken Casey sont en forme et se relaient parfaitement, les gros tubes (“Shippiping Up to Boston”, “Rose Tatoo”, “Going up in style”) sont évidemment là et Dropkick Murphys assoient leur image de groupe préférés des supporters de sport en reprenant “You’ll never walk alone”, l’hymne officiel de l’équipe de foot de Liverpool. Un concert certes sans réelles surprise mais qui a confirmé le groupe de Boston comme valeur sûre : le contrat est rempli.
Mass Hysteria
On avait déjà eu l’occasion de voir Mass Hysteria en format super production. Ceux qui étaient au Download France 2018 se souviennent sûrement de la fête à la saucisse qu’était le concert annonce de « Maniac » : l’armée des ombres qui cogne sur des gros taiko en ouverture, des danseuses du carnaval de Rio sur « Furia »… On est ici sur un délire totalement différent, où les Mass nous prouvent qu’ils peuvent conjuguer grandeur et sobriété.
Tous les groupes du marathon français avaient visiblement pris le temps de s’attarder sur les spécificités techniques des nouveaux écrans incurvés de Nexxt ajoutés aux Mainstages cette année. Les visuels s’étalant désormais d’un côté de la MS2 à l’autre côté de la MS1, l’effet est saisissant et Mass Hysteria en a pleinement profité. Mention spéciale à la marche des soldats sur « L’Enfer des dieux ».
Côté son c’est lourd, dense et sans concessions. Preuve en est avec la tête d’Hilikkus quand résonne le riff de « Reprendre mes esprits » en ouverture : « Eh mais ça tape en fait ! ». Depuis « Une Somme de détails » Mass Hysteria a progressivement durci le ton, affûté ses riffs et élagué toutes les conneries pour arriver à l’essentiel. Un son épais, violent et efficace. Le groupe voulait à l’origine s’appeler MASS. On peut dire qu’en 2019 ils ont officiellement les moyens de leurs prétentions.
Sum 41
On a voulu se pointer sur la Warzone pour le tout dernier concert de la journée : Sum 41. Sauf qu’on n’était pas les seuls à avoir cette idée. C’était ultra blindé, impossible de ne serait-ce que se faufiler pour entrapercevoir la scène. Après vaguement avoir entendu les premières chansons du set (dont « Motivation », « The Hell Song » et « We’re all to blame ») je choisis le repli stratégique pour mieux attaquer la journée du samedi.
Gojira
Peut être parce que la moitié du festival était à ce moment compressée devant Sum 41, le public est (relativement) clairsemé pour Gojira.
J’approche donc facilement de la scène, mais me garde bien de pénétrer jusqu’à la zone de violence, parce que ce concert aura au final été vécu comme un gros gros trip.
La faute au caractère super planant des morceaux, mais aussi des fameux écrans et des visuels adaptés spécialement pour leur correspondre.
On retiendra le magnifique final sur « The Gift of Guilt » et son animation reprenant l’identité visuelle de « L’Enfant sauvage », qui sera parvenue à totalement nous émerveiller tout en nous rappelant que notre espèce a bien merdé et qu’on va tous crever dans un futur plus ou moins proche.
King Diamond
En repartant, je trace pour grappiller les dernières minutes du concert de King Diamond, qui devait finir en même temps que Gojira mais se permet apparemment de jouer encore un peu. Ce sera finalement vingt minutes de dépassement que se sera permis le roi diamant !
Tout cela se déroule sur la Temple et il est assez surprenant de pouvoir voir un show shock rock dans toute sa disproportion sur une scène aussi petite. Et pourtant tout tient, même si on imagine que certains éléments étaient prévus pour être vus de plus loin. La scène est en tout cas diablement impressionnante : c’est ni plus ni moins qu’un décor de théâtre qui a été installé.
Le son sera il faut le dire un peu brouillon, mais rien qui ne gâche la voix si particulière de King Diamond. Je regretterai juste mon inculture, les paroles étant forcément assez peu intelligibles, il était plus compliqué de comprendre l’histoire qui se déroulait sur scène.
Et voilà le podcast :