Au matin du septième jour, la ligne d’arrivée est en vue. On n’a pourtant aucune envie de taper un sprint final tellement l’affiche de ce dimanche demande à être savourée.
Clowns
Certains n’étaient pas prêts pour le pogo de 11h, mais Clowns n’en avait strictement rien à faire. Doté d’un code vestimentaire kitsch particulièrement aiguisé – Chemise hawaïenne, short en jean, coupe mullet, permanente, moustache à la Freddy Mercury et façade guitare tirée des jeux vidéo Guitar Hero – les australiens assurent un mix punk / grunge / rock n’ roll fougueux et débridé. Comme la gueule du chanteur sur le pauvre roadie qui traînait près de la scène: “Heavy music is the best and others suck !”. Stage dive, éclusage de pichet de bière, jeter de micros dans la fosse en plein morceau… Ceux dans le public qui voulaient gentiment cuver n’en ont pas eu l’occasion, la fraîcheur et la spontanéité du quintet a tout emporté ! Clairement un début de journée tonique comme il faut.
Novelist
Le moment plaisir coupable du week end est attribué à Novelist qui s’est fait plaisir très tôt sur la main stage. De véritables enfants du neo metal, avec rap et chant clair réglementaires, et même des petits soli guitare en bonus.
Year of the Knife
Year of the Knife nous accueille avec un line up réduit et 100% familial : la bassiste Madi Watkins et passée au chant, tandis que son mari Brandon a récupéré sa basse. Les jumeaux Aaron et Andrew Kisielewski restent respectivement batteur et bassiste.
Le public n’était pas si important mais ceux qui étaient là vous le certifieront : on n’a pas été volés. Les hurlements de Madi sont au point et le groupe sonne suffisamment épais pour que nul n’y ait à redire. Le bord est droit et les breaks sont sans pitié… On ne peut pas dire que c’était une surprise, mais c’était bien la torgnole attendue.
Year of no Light
Deux ans de travail acharné de la part des équipes du Hellfest pour aboutir à cette transition ! Si ce dimanche à 12h45 vous n’êtes pas passés de la Warzone à la Valley pour réaliser l’improbacroyable Year of the Knife – Year of no Light, vous avez raté votre festival !
On retrouve donc le sextuor bordelais pour trente petites minutes qui considérant la durée de leurs morceaux… ne leur permettront d’en jouer que trois. Le set commencera donc avec les deux premiers morceaux de l’excellent « Consolamentum » sorti l’an dernier, mais le temps étant compté il faudra se contenter du « Stella Rectrix » issu de « Tocsin » avant de repartir.
Quand on leur demande de citer le principal monument bordelais, huit Français sur dix répondent sans hésitation : « YONL bien sûr ! ». Et ce n’est pas un hasard. L’année sans lumière s’appuie sur de solides fondations pour fièrement dresser vers le ciel ses riffs aussi lourds que finement ciselés et emporter l’auditoire, de gré ou de force, dans son implacable mélancolie. On était bouleversés après 30 minutes de jour. On n’imagine pas ce que ça donnera quand ils reviendront en salle nous jouer un set complet dans le noir.
Judiciary
Judiciary succède à Year of the Knive sur la Warzone et propose une vraie continuité, à savoir un hardcore ultra compact d’une sobriété absolue. Même si les velléités des Texans lorgnent un peu plus vers le metal, la double pédale est utilisée avec parcimonie – ce qui n’a pas empêché d’assister à une des plus grosse phase beatdown des deux week-end du festival. Seul bémol, le concert s’est terminé avec 10 minutes d’avances sur l’horaire prévue, on en aurait volontiers mangé plus.
Regarde les Hommes Tomber vs Hangman’s Chair
Le black metal, c’est malsain. Le doom aussi. Alors en ouverture les mecs ont décidé de nous tester et de nous renvoyer au visage la saleté de nos âmes. Oui, alors que la tente est pleine à craquer et que tout le monde attend le début de ce set d’anthologie, un technicien, seul, escalade la scène pour aller bricoler un spot. Tout le monde le fixe. Personne n’ose ouvrir la bouche mais le désir ardent se lit dans tous les regards à tel point qu’on peut entendre le cri hideux qui envahi l’esprit des spectateurs : « ALLEZ, TOMBE ! ». Ce jour-là nous avons bien dû nous l’avouer : non, nous n’étions pas de belles personnes car tous ici voulaient être là le jour où l’homme tomba au concert de Regarde les Hommes Tomber.
Il est pas tombé. Tant pis.
Les musiciens entrent en scène et en attendant que tout se mette en place un gratteux de RLHT balance le riff de « Funeralpolis ». Le black est le doom. Le doom est le black. Et ce sera comme ça pendant quarante minutes d’une fusion impériale. Alors comme tout le monde on avait regardé Major Arcana derrière notre écran, mais affronter physiquement cette hydre à neuf têtes est une toute autre expérience. Deux batteurs au centre et un chanteur de chaque côté : on ne sait plus où donner de la tête et on est dedans de la façon la plus littérale qui soit. La prochaine étape serait de la jouer à la colonie de vacances pour être complètement quadriphonique.
Classe et puissance, c’était magistral.
Ufomammut
On en a vu des concerts d’Ufomammut, mais celui-ci était spécial puisque les italiens venaient nous présenter leur nouveau batteur Levre !
Après une séparation en janvier 2020, ils nous sont finalement revenus tels le « Fenice » de leur nouvel album. Pas de jeu de mots ici, l’image est pleinement assumée et rabâchée dans les interviews et communiqués de presse. C’est une renaissance par l’arrivée d’un nouveau batteur qui a donné au vieux pachyderme une certaine envie de se réinventer.
Le set est essentiellement composé de morceaux de ce nouvel album et on ressent bien en live l’orientation plus psyché planant et un peu moins bagarre. Levre semble quant à lui vivre sa meilleure vie. Il ne cessera de chercher du regard ses partenaires, un énorme sourire accroché au visage.
Enfin, comme on ne se refait pas, le concert s’achève sur le tellurique « Stigma » qui contentera les amateurs de destruction cervicale que nous sommes.
Headcharger
Parmi les invités de dernière minute, nous avons la bonne surprise de voir les normands de Headcharger sur la Mainstage 1. Malgré une présentation assez sommaire (pas de backdrop à l’effigie du groupe) et un son pas vraiment calibré pour eux sur la grande scène, Headcharger balance son mélange de hard rock et de rock n’ roll qui fait se dandiner un public un peu clairsemé mais énergique. Évidemment FooFree et moi sonnons les hostilités sur le tubesque « You Wanna Dance You Gotta Pay The Band » et son délicieux mosh part. Le Alice-in-chainsesque « Watch the Sun » fait également toujours son petit effet. Le quintet fraichement régénéré est ravi de partager ses nouveaux titres, en particulier Sebastien au chant qui se permet une escapade du snakepit réservé à Metallica. Les Caennais ont clairement assuré malgré des conditions pas faciles (et une mystérieuse disparition du bassiste au beau milieu du set).
Thou
Ils ont sans doute décroché le prix du concert le plus dérangeant du week end. Rien à redire côté son, tout est exécuté aussi « proprement » que sur album. Mais là où les albums offrent une certaine cohérence avec des artworks à base de gravures oppressantes, on se retrouve en live face à un ensemble de musiciens hétéroclite aux allures de groupe d’école de musique. Chacun semble complètement dans un délire propre excluants tous les autres et la performance serait presque drôle si on n’avait pas, posé au milieu de la scène, un Bryan Funck absolument terrifiant. Complètement rasé et encapuché, il posait sur le public un regard aussi flou que concentré qui en a décontenancé plus d’un.
Lionheart
Juste après un Terror qui a remporté le prix du pit le plus agressif du week end, C’est Lionheart qui a ramené son esprit West Coast sur la Warzone. Baggys et attitude très détendue, le groupe a tout compris de la dynamique duo de chanteur rapeur / toaster. Résultat : 100% d’efficacité sur scène. Musicalement on navigue entre du Hatebreed des débuts et de la fusion façon Madball, pour le grand bonheur de la team crossfit qui fait bien sentir sa présence dans la fosse. Entre 2 torgnoles, les californiens n’oublient pas de faire passer un message de prévention face aux risques dépressifs et concluent par un combo enchaînant une reprise musclée de « Fight for your right to party » et un « LHHC » massif. Miam.
Eyehategod
Alors, ça semblera surement difficile à croire pour ceux qui n’y étaient pas, mais on a eu droit à un set d’Eyehategod 100% paix et amour ! Les morceaux sont joués tout gentiment et on est bien loin de leur violence habituelle. Jimmy Bower illumine la scène de sa classe de daron et passe le set à se foutre gentiment de son Mike Williams. Il lui met la main sur la gueule, imite ses mimiques…
Il faut dire que le Mike est plein d’amour ce jour-là. Il nous remerciera après avoir soufflé quelques crottes de nez sur les photographes : « Thank you for being a friend ». Puis un peu plus tard : « Thank you for making me feel loved. I need a hug. I’m missing my girlfriend. I need a hug for sure. » Pour couronner le tout, on aura même le droit à un cœur avec les doigts.
C’était tout doux et tout mignon. C’était pas le concert d’Eyehategod qu’on attendait, mais c’était peut être celui dont on avait besoin.
Pentagram
Un set carré, une setlist en forme de greatest hits, Pentagram a mis tout le monde d’accord. Bon, surement « tout le monde » parce qu’après les méfaits de Bobby, il ne restait plus que les fans. Mais tout de même. Parlons-en de Bobby : après plus de 50 ans à jouer les vieillards effrayants, il a enfin l’âge de ce qu’il parait. On pourrait penser que ça aurait fini par le calmer, mais non. Bien au contraire : c’est tout simplement Britney Spears dans le corps de Sim. Pauses aguicheuses, petits regards coquins au public… il court d’un côté à l’autre de la scène et fait du pole dance sur les jambes d’un Greg Turley qui semble capable de l’écarteler à mains nues. Le tout est soutenu par les riffs d’un Matt Goldsborough plus qu’au point. Même les vieux puristes n’ont rien trouvé à y redire.
Comeback Kid
Appelé pour remplacer un Hatebreed démissionnaire, les malchanceux Comeback Kid ont hérité du pire créneau du festival : celui juste avant Metallica. Si la pelouse est bien garnie au début du concert, les spectateurs partiront par grappe à l’approche de l’heure fatidique d’arrivée des Mets. Au diable les déserteurs, ils ont vraiment tort de ne pas apprécier jusqu’au bout la capacité inégalable des canadiens à insérer de la mélodie sur un hardcore nerveux. Les tubes imparables s’enchaînent : « False Idols falls », « Talk is cheap », « GM Vincent and I »… Andrew Neufeld fait rapidement tomber la chemise pour arborer un T-shirt Zulu du plus bel effet et enflamme la fosse sur « Wasting Arrow ». « Broadcasting », « Die Knowing », les confiseries continuent d’affluer dans la nuit tombante. Un dernier discours remerciant Gojira d’être de fiers ambassadeurs de la France et du Hellfest, et c’est le moment de conclure sur « Wake the dead », probablement le morceau le plus emblématique du hardcore de ces 20 dernières années.
Même s’ils s’en défendent probablement, Comeback Kid est le point d’orgue de l’affiche de la meilleur journée de la Warzone, et vu le niveau des concerts qui se sont succédés sur la scène réservée au coreux aujourd’hui, c’est loin d’être un petit compliment.
Metallica
On faisait partie de ceux qui pensaient qu’il n’était pas raisonnable de rater un concert de Comeback Kid juste pour se placer pour Metallica. Bien nous en a pris puisqu’au final en passant par les bords on pénètre assez bien dans la foule. Vu les témoignages rapportés par ceux qui sont allés se coincer au milieu des fans du dimanche, pas de regrets. On voit bien les bonhommes tourner sur le snakepit, cette énorme avancée imposée pour parquer les lucratifs membres de leur fan club. Les écrans géants et leurs animations dégueulasses se chargent du reste.
Les hits s’enchainent et sont proprement exécutés. Dans le public ça chante et ça se prend dans les bras. En fin de compte, c’est exactement ce dont on avait besoin pour clôturer cet historique festival de sept jours : une grande communion de metalleux. Parce que tout le monde aime ou a aimé Metallica, que tout le monde connait leur discographie et que même les plus chagrins seront forcés de le reconnaitre : ils sont bons.
Et ils sont surtout bons pour ce genre de grandes messes. Bien sûr il restera toujours difficile de ne pas réprimer un petit frisson de dégout quand ils nous expliquent la larme à l’œil, qu’ils sont tellement heureux d’être finalement arrivés au Hellfest après toutes ces années. Le seul obstacle c’était votre cachet, allez pleurer ailleurs. Mais on reconnaitra l’honnêteté d’un James qui aborde sa dépression en parlant du Hellfest comme d’un « enfer plus beau que celui dans lequel je vis parfois » et livrera un important message de prévention sur le suicide. Pas mal d’auto-dérision aussi, quand il demande aux fans leur avis sur « St. Anger » avant de se lancer sur « Dirty Window ».
A peine le concert terminé, les écrans se rallument pour annoncer les dates de l’édition 2024 et enchainer sur le feu d’artifice du week end. Les corps des survivants sont meurtris mais leurs cerveaux pétillent tandis qu’un cocktail joie/niaiserie leur coule des oreilles. Et si beaucoup repartent en clamant haut et fort que « sept jours, plus jamais ! », tous s’accordent pour dire que cette double édition restera sans doute leur plus grand souvenir du festival.