Les Paradis Artificiels 2018 - Lille

INTERVIEW ☭ FRANK CARTER

Frank Carter n’a pas vraiment le temps de niaiser. De la famille en ville, des tatouages à réaliser et le monsieur s’excuse 10 fois pour un retard d’1h30 qu’il n’avait pas anticipé. Très affable, humble et réfléchi, il nous a parlé, bien calé dans son tourbus, paquet de chips à la main. La Grosse Radio était avec nous, nous avons donc partagé quelques questions ensemble.

Parlons un peu de ton show à la Brixton Academy (Londres). Ton retour par rapport à ça ? 

On était si fiers de pouvoir y jouer qu’on souhaitait pouvoir s’en rappeler pour toujours. C’est pourquoi on a décidé de le sortir en CD et ça marche bien. Les gens apprécient que le rendu soit très live et qu’ils puissent m’entendre parler des chansons. Une expérience très positive. 

Modern Ruin a été enregistré il y a un moment déjà. Est-ce que tu as commencé à travailler sur la suite ? Si oui, est-ce que tu sais déjà dans quelle direction il va ? 

Non, je n’ai pas commencé à travailler là-dessus. J’en ai disucté avec Dean, on a parlé de faire quelque chose de nouveau mais rien démarré. Je crois qu’il écrit de nouveaux riffs et j’ai essayé d’écrire des paroles mais rien n’est là pour le moment. Pour moi, c’est très loin.

C’est intéressant que tu aies demandé où ça allait car en effet, je trouve que sur les deux premiers disques on est arrivés à une certaine étape, au bout d’un chemin. Il faut donc que je trouve où aller mais pour l’instant, je ne sais absolument pas ce que ça donnera. J’essaie d’explorer ce qui devrait se passer par la suite.

Le groupe a connu une ascension assez rapide en 3 ans. Est-ce qu’il y a quelque chose que tu ferais différemment ? 

Rien, je ne ferais rien de différent. La carrière des Rattlesnakes a été rapide mais je fais de la musique depuis 10 ans avec Gallows et Pure Love avant. J’ai donc conscience des erreurs que j’ai pu faire par le passé, c’est pourquoi le groupe en bénéficie et grimpe vite. Je sais où aller, quels sont les pièges à éviter et combien ces erreurs peuvent te coûter. Le but est d’aller de l’avant, de continuer à jouer autant de shows que possible, de sortir autant de sons que l’on peut et de ne pas oublier le fun en route. Auparavant, je ne m’amusais pas toujours dans mes autres groupes et c’est tragique de passer à côté du fun dans un métier aussi incroyable que celui-ci. Il ne faut pas oublier le bonheur que c’est d’avoir ce job et la chance qu’on a de pouvoir l’exercer.

Cette tournée est importante dans l’évolution de ta carrière avec des salles de plus en en plus grandes et beaucoup de sold-out. Même à Rock en Seine où vous avez ouvert, tout le monde a halluciné de votre perf. Comment tu te sens par rapport à ça ?

Je me sens bien et très content que ça se traduise par une expansion du public. Ce soir, on joue devant 700 personnes. Ça veut dire quelque chose pour nous de jouer devant autant de personnes ici où à Nantes demain. Quelque chose se passe en France et ça nous touche. On essaie de rester conscients de ça et de le nourrir. La plus grosse erreur que tu puisses faire est de zapper un pays où l’on t’apprécie ou d’être trop confiant et de les laisser de côté. Il faut un bon équilibre : ne pas venir trop souvent pour ne pas saouler mais donner régulièrement cette opportunité à ceux qui veulent nous voir. Tout ce que tu veux quand t’es gamin et que t’as un groupe, c’est avoir du succès. Quand t’as ce genre de shows à Paris, Amsterdam ou en Allemagne, c’est un indicateur de succès.

https://www.youtube.com/watch?v=v4hmhfCavF0

Tu as des fans qui viennent de tous horizons : metalcore, hardcore, pop, rock. Est-ce que c’est important pour toi de garder une audience si variée ?

Oui ça l’est. Quand tu grandis en général tu t’arrêtes sur un style. T’es un punk, un rocker, un stoner, un métalleux. Ça te donne une identité mais ça te ferme l’esprit. Ce que j’aime dans le rock, c’est sa diversité. J’aime juste la bonne musique. La pop par exemple, j’adore. J’ai toujours voulu avoir la mélodie de la pop avec ses gimmicks accrocheurs et aussi une agression issue plutôt d’un univers plus violent. C’est pourquoi c’est si important de rester varié pour rendre les choses et les concerts plus intéressants.

Que penses-tu de l’évolution de la place dans la femme dans la scène punk ? Par exemple une de nos rédactrices t’a vu à Londres récemment et c’est la première fois qu’on l’encourageait à slammer. Est-ce que tu penses qu’il faut encore plus appuyer ça et prendre la parole ou on arrive à un équilibre naturel ? 

C’est en train d’arriver. Mais je pense que ça arrive car des personnes comme moi en parlent. Attention, je ne veux pas être une sorte de héros. J’essaie juste de me débarrasser de la culpabilité que j’ai en tant qu’homme. Si j’avais commencé il y a 15 ans quand j’ai démarré avec Gallows, ce serait sûrement différent aujourd’hui. Ça aurait permis aux personnes assistant à mes concerts de se dire que ce n’est pas normal de traiter les femmes comme ça. Je ressens une culpabilité énorme de ne pas l’avoir fait plus tôt. Mais je n’avais pas cette vision. Je lève la main, je ne suis qu’un petit blanc de la classe moyenne. Je n’y pensais pas car je n’avais pas ces problèmes. Je n’étais pas intimidé par l’idée de slammer et je ne sortais pas du pit, à moins que quelqu’un ne mette un coup de poing dans la gueule. 

C’est beaucoup plus complexe et dangereux pour une femme. C’est l’anonymat de cet endroit plein de testostérone qui pose problème, ça nourrit leur animosité. C’est facile de se comporter comme une brute quand on ne sait pas qui tu es. Comme les trolls sur Internet. Tu y croises les enfoirés les plus méchants, cruels et vindicatifs que tu puisses trouver. Jusqu’à ce que tu le nommes par son nom, que tu dises que tu connais son adresse et que tu le sommes d’arrêter ces conneries. C’est pas tolérable d’avoir des mecs qui te touchent pendant tu slammes. Porte-les, laisse-les profiter de leur concert et tout ce que je peux dire, c’est que je continuerai à en parler le plus possible car on reste dans une scène à tendance misogyne, homophobe et raciste. Aussi triste que cela sonne, pour moi le rock devrait toujours prendre le parti des gens en difficulté. Mais en cherchant bien, il y a toujours des personnes qui se font martyriser et pointer du doigt. C’est là où je veux en venir en essayant de faire en sorte que les femmes soient considérées comme égales, au moins dans le pit. Nous avons tous notre rôle à jouer, même les journalistes en traitant aussi les femmes équitablement dans leurs papiers. Mon terrain, c’est le pit donc j’essaie.   

« Je n’y pensais pas car je n’avais pas ces problèmes. Je n’étais pas intimidé par l’idée de slammer et je ne sortais pas du pit, à moins que quelqu’un ne mette un coup de poing dans la gueule. » 

Tu fais des tatouages à côté de la tournée. Je voulais savoir comment tu faisais pour gérer ça dans ton planning  ? 

C’est la raison de mon retard ! Le gars que j’ai tatoué a attendu plus d’une heure et demie. J’essaie de tatouer tous les jours en tournée. Ma copine est avec moi aussi et elle est une excellente tatoueuse. Ça fait 12 ans que je le fais donc c’est naturel et simple. J’ai aussi un assistant, je lui montre comment travailler. Il profite de la vie de tournée mais doit pouvoir assurer le lendemain et se trimballer le matos. Ça fait de longues journées mais je préfère ça à rester chez moi à rien foutre. 

Ça pourrait être ton job à plein temps ? 

Oui, totalement. Dans la musique, il y a des hauts et des bas. Mais le tatouage c’est constant. Ça a toujours été là quand j’ai eu besoin. Je me considère chanceux d’être tatoueur mais ça peut être assez compliqué parfois. Un équilibre entre chance et travail appliqué, je ne sais pas lequel fait pencher la balance.

A part la rousseur relative, on a un point commun : ton groupe préféré c’est QOTSA. Tu as déjà eu l’occasion de les croiser ? Une histoire à partager ? 

Quand je jouais avec Gallows, on a partagé une émission sponso par MTV 2 à Londres. C’est un excellent groupe que je suis avec attention, je les adore et je me rappelle les avoir admirés pendant qu’ils jouaient. On a joué avant eux. A un moment, j’étais complètement dans mon truc et je me suis mis à défoncer la batterie et à filer des éléments à la foule. À la fin, le batteur de notre groupe fait la gueule et je lui dis : merde, c’est vrai que c’était ton kit ! Je n’y ai pas pensé.

Il me dit : non, c’est pas pour ça que je suis énervé. C’est parce qu’ils n’ont pas la vodka que j’aime. Je lui dis qu’on s’en branle, qu’il aille au bar s’il avait envie de boire. Et lui me dit que la batterie, était une location. 

J’étais donc vert car je devais rembourser l’agence de location !

Il y a des chansons où tu t’impliques dans l’écriture émotionnellement et elle peuvent être liées à des moments assez éloignées de ta vie maintenant. Comment fais-tu pour les interpréter aujourd’hui et comment tu les ressens ? 

Ça peut être difficile oui. J’écris les chansons pour moi, pour trouver une réponse ou un sentiment face à une situation que je vis. Une fois que j’ai trouvé, la situation et la chanson peuvent revêtir un autre aspect. Une situation déprimante au moment de l’écriture peut devenir une vraie célébration car j’ai réussi à la confronter. Ça devient vraiment plaisant de la jouer encore et encore. Au contraire, si tu n’as pas encore trouvé la solution, là, ça peut être douloureux. C’est un équilibre entre la joie et la souffrance qu’on retrouve dans mes paroles et c’est ce qui fait que des personnes peuvent s’y identifier. Leur perception du morceau peut d’ailleurs être très différente de la mienne ou de l’état dans lequel j’étais car il l’applique à leur propre situation. Ça me fait plaisir de les voir hurler leurs parties préférées et c’est aussi pourquoi je continue à les chanter. 

« Une fois que tu as un chien, c’est difficile de te dire que tu peux tuer une bête pour ensuite la découper et la manger. »

Le switch vers le veganisme, qu’est-ce que ça amène pour toi ? Est-ce que ça va changer quelque chose à ton univers comme Architects par exemple ?  

Je ne suis pas encore vegan mais j’essaie de m’y mettre. Ce que je sais pour l’instant, c’est que ça influence mes performances. Ça me rend plus endurant sur scène, je peux gueuler encore plus fort et je me sens mieux dans mon corps tout en ayant perdu du poids. Je suis moins à la ramasse après un concert. Même si ça ne voit pas aujourd’hui car je suis en gueule de bois. Hélas, la vodka est vegan. 

J’essaie de ne pas être trop politisé dans mes albums, même si je le suis un peu sur Modern Ruin. Je ne veux pas être trop marqué dans mes paroles et je souhaite que tout le monde puisse avoir sa propre interprétation au lieu de dicter quelque chose. Je ne suis qu’un gars de plus donc j’essaie de ne pas positionner en donneur de leçon.

Si tu ne te sens pas de tuer un animal à mains nues, tu ne devrais peut-être pas le manger non plus. Je ne me sentirais pas forcément capable et je crois que je deviendrais pote avec l’animal en question et que je ne le mangerais pas. Une fois que tu as un chien, c’est difficile de te dire que tu peux tuer une bête pour ensuite la découper et la manger. En plus, j’ai une fille et j’essaie de lui expliquer les implications de manger de l’animal. La dernière fois qu’elle a voulu manger des fish and chips. Je lui ai expliqué qu’il fallait tuer des poissons. Elle n’a que 3 ans donc elle m’en a voulu de lui avoir mis ça en tête car ça l’a rebuté. Je lui ai donc fait des légumes mais récemment, elle m’a demandé si on ne pouvait pas tuer quelques poissons à nouveau. Elle n’est pas encore prête. (rires) 

Les Paradis Artificiels 2018 – Lille

Est-ce qu’il y a une partie du monde où tu n’as pas joué et où tu as envie d’aller ? 

Oui bien sûr ! L’Amérique du Sud. Je ne suis jamais allé en Afrique non plus, en Russie. J’ai passé beaucoup de temps en Europe, aux US, en Australie mais l’Amérique du Sud adore le rock donc j’ai l’impression qu’il faut y aller. Jouer le soir et profiter de la plage un peu.

« J’essaie de ne pas être trop politisé dans mes albums, même si je le suis un peu sur Modern Ruin. »

Oui, faire des tatouages sous le soleil n’est pas très recommandé. C’est quoi la dernière chose qui t’ait fait marrer en tournée ? 

Hum, difficile de pouvoir raconter ce genre de trucs. Qui vais-je jeter sous le bus… (rires) 

Et un soir récemment complètement bourré, mon apprenti tatoueur a commencé à danser et chanter avec une voix super algue Cosmic Girl de Jamiroquai. Il a 19 ans, il ne devrait pas connaître cette chanson. Le tout en faisant une danse à base de signes avec ses mains en forme de flingues. Il est dans son truc et ne sait pas que quelqu’un le regarde. Le meilleur moment, c’est quand il s’est rendu compte qu’il était filmé. La prise de conscience de ce moment est hilarante. (rires) 

Retrouve notre live-report du show du Trabendo ayant eu lieu après cette interview juste ici et surveille l’interview de Demob Happy, leur première partie.