INTERVIEW – ASIWYFA

Quinze ans après le premier album qui les a mis sur la carte des amoureux du post-rock et du math-rock, And So I Watch You From Afar s’est laissé porté au gré de ses envies en adaptant son style à ses humeurs ou à ses changements de membres. En 2024, ils sortent leur septième disque Megafauna. Disponible depuis le 9 août, il est l’une des surprises de notre été. Rencontre avec Ewen Friers, bassiste depuis 2020 et compagnon de route du groupe depuis leurs débuts.

Megafauna a été composé à Belfast pendant le COVID. Après Jettison en 2022 où vous avez été accompagné d’un quartet et d’un chef d’orchestre, vous êtes donc revenu à votre formation plus classique : batterie, basse et deux guitares.

La création de ce disque a bien sûr beaucoup à voir avec le COVID et les précautions sanitaires qu’il y avait à cette époque. Nous étions capables de nous retrouver dans notre salle de répétition pour jouer. Cependant, nous n’avions pas de plan précis. Nous n’avions pas de studio reservé dans la foulée par exemple. C’était intéressant parce que ça m’a rappelé l’époque où j’étais dans un groupe en étant ado : quand tout ce qui compte, c’est 4 personnes et la salle de répétition. A cet âge-là, tu n’envisages pas le monde extérieur avec ton groupe et tu as tendance à ne pas voir plus loin que la salle de répét’. Ca te permet de te concentrer sur l’écriture des morceaux avec tes amis. Le contexte sanitaire nous a ‘forcé’ à être dans cette situation mais nous a aidé à retrouver cette mentalité. Tu écris ensemble et tu joues, tu joues et tu joues jusqu’à ce que tu considères que c’est suffisant. Une approche très punk-rock. Au moment où est venu l’enregistrement en studio, on avait tellement répétés qu’on ne voulait pas trop en rajouter. On voulait vraiment ce son, les morceaux sous cette forme et la dynamique qui allait avec. On était confiants de ce que nous avions. Après Jettison qui était assez conceptuel, ici on s’est rapprochés d’une approche plus DIY que tu peux avoir aux débuts de la vie d’un groupe.

C’est d’ailleurs pour toi la première fois que tu as pu participé à l’écriture d’un disque du groupe ?

Oui, j’ai une place assez unique puisque je suis le frère de Rory qui est un des membres historiques du groupe. J’ai donc suivi leur parcours depuis le début et j’ai été impliqué en tant que roadie et à différents postes pendant toutes ses années. J’ai donc participé à la vie du groupe sans jamais pouvoir composer avec eux jusqu’alors. J’étais au courant de leur cadre de travail, de leur manière de collaborer et quels sont les rôles de chacun. A la fois, je voulais respecter ça et en même temps, je voulais amener quelque chose de neuf et je n’ai pas hésité à porter ma voix et soutenir mes idées. Je suis heureux de ma contribution et ça a développé mon appétit pour recommencer l’expérience. Si jamais ils me le permettent… (rires)

 

Comment as-tu rejoint le groupe ? Est-ce que tu te souviens du moment précis ?

Ca s’est fait progressivement et naturellement. Pendant plusieurs années, j’étais dans l’équipe et je m’occupais principalement de conduire le van et de vendre le merch. Comme je suis le frère de Rory, le groupe faisait déjà partie de la famille. Au moment où l’ancien bassiste Johnny Adger a pris du temps pour élever ses enfants, je l’ai remplacé. En 2020, Johnny a fait savoir qu’il avait envie de faire autre chose donc l’occasion d’intégrer officiellement le groupe s’est présentée. Tout ça s’est fait de manière très amicale : on habite tous à peu près au même endroit et on retrouve Johnny au bar du coin là où on vit.

Le disque est un hommage à Portrush, votre ville de naissance mais aussi à Belfast. Peux-tu nous en dire plus sur les morceaux intitulés ‘Mother Belfast, Pt. 1 & 2’ ?

Sur un album, tu as toujours une chanson qui réclame plus de temps de travail et de développement. Au vu de sa longueur, on a bien sûr beaucoup expérimenté et on pensait pendant longtemps que c’était la chanson qui allait finir le disque. A la dernière minute, c’est Rory qui a pensait qu’elle pouvait plutôt être au milieu. Ce qui est très pertinent parce qu’elle est complémentaire des autres disques et montre un bel aperçu de ce qu’est ASIWYFA : sombre, dynamique, nostalgique, agressif, lourd…

Pour son titre ‘Mother Belfast’, c’est aussi lié au contexte de la pandémie. Cela nous a permis de nous renfermer sur notre monde. Dans le passé, le groupe a pu évoquer des thèmes cosmiques, conceptuels, fantastiques. Ici, c’était une chance de pouvoir rendre hommage à notre entourage, à la ville, nos proches, à la côte nord qui est à une heure de la ville. Cette pause nous a vraiment permis d’apprécier nos origines. Ce qui est drôle, c’est que l’on s’est aperçu qu’aux Etats-Unis ou en Europe, les gens ont tendance à répondre à ses thématiques alors qu’ils ne connaissent pas forcément Belfast. Il semblerait que ce soit assez universel.

Dès les premières écoutes, Megafauna renvoie quelque chose de très chaleureux et de lumineux. C’est clairement une de ses forces puisque ça encourage à le réécouter et ça le rend très différent du reste de votre discographie. C’est aussi une question d’ouverture. Vous avez toujours testé de nouvelles choses mais on entend ici de nouvelles influences entendables sur ce disque qui peuvent même rappeler le son des guitares de Johnny Greenwood et du Radiohead de la fin des années 2000. Comment avez-vous incorporé ces influences dans la composition ?

Même si je n’en faisais pas partie, je connais le groupe depuis ses débuts et je pense réellement que nous n’avons jamais été aussi confiants. Sans vouloir sonner arrogants. On se sent bien dans notre peau, on est sereins et ça nous autorise à ne pas ajouter trop de couches à ce que nous produisons. Les chansons peuvent exister sous leur forme la plus pure. Le matériel, les amplis et le style que nous avons choisi lors des répétitions nous sont venus naturellement et nous n’avions pas envie de faire différemment en studio et au moment de la production. Cette envie d’un son plus naturel et d’avoir quelque chose qui n’est pas trop mis en scène ou orchestré. C’est sûrement qui te fait penser à Radiohead et je peux affirmer que tout le monde au sein du groupe serait ravi d’entendre cette comparaison.

Nous voulions vraiment que le disque soit le reflet de cette période où nous étions juste 4 dans cette pièce avec toute l’excitation et le plaisir que l’on a pu ressentir. On ne voulait pas que ça prenne une plus grande ampleur, ni en rajouter et ça a rendu l’enregistrement assez facile.

Vous avez enregistré ce disque en une semaine. Il est aussi intentionnellement pensé pour les concerts, non ?

Cela a été enregistré dans ses conditions, notamment pour la partie rythmique avec Chris à la batterie. Avec exactement le même matériel que nous utiliserons sur scène. Une fois que les restrictions sanitaires se sont finies, nous avons invité nos proches à un concert intimiste afin de leur jouer en live dans notre salle de répétition. Nous avons pu leur jouer le disque dans sa totalité. Je suis certain que sur certains autres disques du groupe, ce n’était pas possible. On a eu l’occasion de le jouer en entier lors de ces dernières semaines en concerts et en festivals et la réponse du public a été très positive.

Ces dernières années, il y a un réel engouement autour du post rock. Via des festivals comme le Dunk ou l’Arctangent qui donnent des slots spécifiques à des groupes historiques. Ou les tournées headlines qui ont lieu en Europe et en France notamment. A part une tournée pour les 10 ans du premier album, vous n’avez vous pas trop succombé au regard dans le rétroviseur. Toi qui a pu suivre le groupe dès le début de très près. Quel est ton regard sur tout ça ?

En effet, ASIWYFA n’a jamais été un groupe qui regardait en arrière.

Cela fait partie de notre état d’esprit mais en même temps, tu dois être respectueux de ta discographie parce que cela fait partie du voyage qui nous a amené jusqu’ici aujourd’hui. Cela nous serait impossible d’être qui on est, sans cette expérience et le soutien des fans. Ca nous paraît de plus en plus évident avec le temps et on essaie d’y faire attention. En ce sens et sans trop être évident, je peux d’ailleurs te dire que le re-pressage en vinyle du premier album n’est pas la seule attention que nous allons adresser à nos fans dans les prochains mois. C’est un équilibre et c’est important d’être conscient du passé mais de continuer à avancer avec une certaine continuité.

La musique instrumentale se prête plus facilement à l’imagination et à l’illustration visuelle. Comment vous choisissez vos collaborateurs pour les clips de Megafauna ?

Il y a une belle communauté d’artistes à Belfast avec lesquels on a l’habitude de travailler : vidéastes, graphistes et photographes. Puisque Megafauna parlait de la ville, il paraissait évident de faire appel à eux. La pochette de l’album a été faite par une photographe qui tourne avec le groupe depuis très longtemps et ça a été pris pendant le set que l’on a fait au Dunk Festival en 2023. On s’est entourés aussi d’un ami pour l’habillage de l’album et Rory a aussi un oeil pour la photo et l’image en général et avait aussi une vision précise de ce qu’il voulait.

Est-ce que vos fans peuvent attendre une date en France dans les prochains mois ?

Ce n’est pas encore annoncé mais vous pouvez vous attendre à voir ASIWYFA en Europe à un moment. Nous avons des discussions très passionnées sur la manière sur la construction des setlists, pour s’assurer que chaque période du groupe soit représentée. Les temps forts, les temps faibles, les passages bien énervés. Tout en laissant une place importante à Megafauna pour qu’il puisse briller auprès du public. On a envie que tout le monde passe une bonne soirée mais ça commence à faire beaucoup de morceaux pour peu de temps. On va peut-être devoir passer à des concerts de 3/4 heures.

Votre musique est principalement instrumentale mais vous avez eu des moments dans votre carrière des morceaux avec des choeurs. Notamment lors des refrains. Est-ce que parfois l’absence de mots se pose comme une frustration lors de la composition ?

Instinctivement pour ce disque, on s’est juste mis à prendre des guitares et à bosser. Au moment de finir un morceau, on se demande si il manque quelque chose. Pour cet album, à aucun moment on ne s’est dits que cela nécessitait des voix. Mais on ne s’est jamais imposés de ne pas en mettre. De mon côté, j’ai déjà été dans d’autres groupes. J’ai composé des morceaux, j’ai été parolier mais pour ASIWYFA, je fais confiance au processus de création en place et je ne pense pas forcément les chansons de la même manière.

Pour rester dans le thème de l’album, peux-tu nous recommander quelques artistes issus de la scène de Belfast ?

Bien sûr, il y a tellement de groupes locaux que j’adore : Problem Patterns, Junk Drawer avec un style très psyché/prog rock, Blue Wheel qui a ouvert pour nous récemment. C’est cliché de le dire mais nos goûts au sein du groupe sont très éclectiques et on aime aussi des artistes du folklore irlandais ou plus jazzy comme Robocobra Quartet avec qui on partage notre salle de répétition. Nous avons aussi Chalk, qui a pu joué l’an dernier à notre concert de Noël qui est toujours une grosse fête. Personnellement, j’adore un interprète qui s’appelle Joe Harkin qui joue de la folk plutôt americana. Belfast n’est pas une ville avec une scène marquée par un genre en particulier, tout le monde écoute ce qui se joue dans la ville et ça donne un beau mélange. C’est pourquoi je la recommande pour sortir et passer une bonne soirée.

Quelle est la dernière chose qui vous ait fait rire avec le groupe ?

Il y a quelques semaines après un set, nous étions dans le van de retour à l’hôtel. La fête avait déjà démarré, certains d’entre nous avaient déjà bu quelques verres. C’était un peu dans les terres et à côté de l’hôtel, tu avais des champs. Le parking était à côté d’une petite descente. L’un d’entre nous est sorti trop tôt et s’est retrouvé à dévaler cette pente. Une fois qu’on était sûrs que tout allait bien pour lui, on s’est tous mis à éclater de rire. Tant que j’y suis : d’ici notre venue à Paris, allez au café Margo dans le dixième arrondissement. Un ami l’a ouvert récemment !

 

 

Sans se reposer sur leur statut de tauliers de leur scène, ASIWYFA et son Megafauna méritent totalement que vous preniez le temps de les écouter et d’aller les voir en salles une fois le temps venu !