Ayant l’honneur de jouer en fin de soirée du Hall 3 le samedi des Transmusicales, Chalk était donc à Rennes au mois de décembre. Ce trio venu de Belfast nous a impressionné avec son EP Conditions sorti en mai dernier. Inspirations, influences et Indochine sont au programme de cette interview.
Question habituelle pour un nouveau groupe : comment Chalk s’est formé ?
On a fait tous les trois des études de cinéma. Ben et Luke se sont rencontrés via des amis communs et il s’avère qu’ils avaient déjà joué dans des groupes avec des instruments déjà définis pour chacun. L’un à la guitare et aux synthés et l’autre à la batterie. Lorsqu’on a rencontré Ross, on a vu qu’il avait un poster de Gilla Band dans sa chambre donc on était sûrs d’apprécier la même musique.
‘On a commencé par faire des covers de groupes de rock comme les Strokes ou Parquet Courts. Pendant quelques temps. On faisait ça sans faire aucun concert, un simple passe temps. A un moment, on s’est posés pour trouver notre son et c’est là qu’on a écrit Them.’
Pendant le confinement. On avait rien d’autre à faire, pas de travail à faire non plus liées aux études de cinéma que l’on a fait tous les 3. Tout était au point mort donc ça paraissait être le bon moment pour se mettre à la musique. Une fois terminé, on a envoyé la chanson à Chris Ryan qui est producteur et qui a travaillé avec Just Mustard et Enola Gay. Il a adoré, l’a produit et mixé et dans la foulée, on est passés en radio, puis à la BBC 6 Music et on a reçu des offres.
Tout ça s’est passé d’un coup, sans faire le moindre concert. On s’est aussi occupés de la vidéo nous-mêmes. Tout le monde a été surpris car même à Belfast, personne ne nous connaissait. Ca semblait simple mais à l’époque, on ne savait pas ce qu’on faisait. Peut-être aujourd’hui avec le recul, on se dirait que c’est complètement stupide comme manière de fonctionner mais ça a marché pour l’instant. (Rires)
Le cinéma comme inspiration
Votre musique a un niveau d’intensité et d’urgence assez incroyable. Ca prend à la gorge du début à la fin. Comment vous faîtes pour vous mettre vous même dans cet état au moment de vous enregistrer ? Est-ce que vous avez une routine pour vous préparer par exemple ?
On a tendance à décrire Chalk comme étant notre projet hip-hop. Non pas que ce soit pensé comme tel en termes de genre mais plutôt dans les moyens de production : réaliser dans une chambre, à partir de boucles et des sons particuliers. Et ensuite mis en perspective par la scène avec une énergie différente, l’envie de tout secouer et aussi le besoin de gérer les temps morts.
La tension vient clairement du cinéma. Gérer l’attention du spectateur et savoir quand lui faire peur ou tenir en haleine. Ménager les moments d’attaque, d’agression avec du calme et du silence. Trouver un équilibre dans tout ça et savoir quand et comment relâcher la tension. C’est quelque chose que certains réalisateurs arrivent à faire très bien et on essaie d’utiliser ça comme influence. Quitte à composer ou écrire des paroles en regardant des films. On est très visuels donc ça nous aide à créer un univers cinématographique à notre musique.
En parlant de parallèle entre l’image et le son, comment vous travaillez vos clips ? Est-ce que vous avez déjà une idée visuelle en tête et la chanson sera là pour l’illustrer ou c’est la chanson qui vient inspirer le clip ?
C’est toujours la musique d’abord. Cependant, on a régulièrement des images qui nous influencent et qui feront partie à un moment d’un clip. Les clips sont une manière très fun pour nous d’expérimenter des choses et on produit ça de manière très artisanal. Maintenant qu’on voyage et qu’on joue plus de concerts, c’est plus difficile à gérer en termes de temps mais cela fait partie de nous et on veut que nos chansons et nos clips puissent fonctionner en tandems.
Them, votre premier single date d’il y a un an et demi. Votre parcours et vos chansons soulignent une urgence. Est-ce que votre musique est le moyen pour vous de relâcher la pression ?
Notre musique et nos paroles sont bien sûr habitées par un conflit intérieur. Nos concerts sont assez intenses, ca se termine souvent avec beaucoup de sueurs donc tout ça est très cathartique. Ross au chant n’est pas une personne des plus agressives mais je suppose que c’est comme ça que les choses sortent. (rires)
C’est fun, énergique et ça ressemble aussi simplement à la musique qu’on aime écouter. Il y a beaucoup de groupes actuels en Irlande qui jouent ce style aujourd’hui mélangeant le côté dansant et remuant de l’électro avec quelque chose de plus agressif. On aime aussi faire vivre un sale quart d’heure à nos instruments et taper le plus fort possible dessus sur scène. C’est une performance physique et émotionnel. Sur ce plan là, Death Grips est une grande source d’inspiration.
Comme vous l’avez dit, vous mélangez beaucoup de genres navigant entre le rock, le punk, l’électro ou les rythmiques hip-hop. Comment vous dosez tout ça ?
En s’amusant et en essayant des choses sans vraiment chercher à les réfléchir. Par exemple, on a écrit une nouvelle chanson spécialement pour ouvrir le concert de ce soir. On a mélangé des idées sans savoir spécifiquement si elles allaient fonctionner ensemble mais on a fait en sorte que ce soit le cas. Rester libre dans le processus d’écriture, ne pas rester figé au trio guitare/basse/batterie. Au début, on a été vite catalogué en tant que musique à guitares mais je ne pense pas que ce soit le cas aujourd’hui. En plus, on a qu’une seule guitare… (rires)
On ne veut pas être limités non plus par le fait qu’on soit trois sur scène. Il y a tellement de possibilités en dépit de ce cadre-là qu’on essaie d’en faire le plus possible.
De la suite dans les idées
Dans les 5 titres de l’EP, on ressent cette envie d’aller plus loin et de brasser toutes vos envies. Comment vous êtes arrivés au morceau Conditions qui amène quelque chose de plus lumineux et d’électronique ? Est-ce d’ailleurs un indice vers ce qui attend Chalk par la suite ?
‘Définitivement, Conditions est le morceau qui encapsule nos envies et ce qu’on raconte depuis le début. En opposition avec ’Them’ qui est assez négative, ici tu as la sensation de voir la lumière au bout du tunnel et de découvrir une autre facette du groupe. Et c’est une bonne introduction pour nos prochaines chansons.’
C’est notre chanson préférée en live également, tu sens le changement d’énergie dans la foule avec beaucoup de sourire. C’est la dernière chanson du set en plus donc c’est toujours spécial. Dès nos premiers concerts, on l’a positionné à cette place et on voit que les gens réagissent différemment à ce morceau. Même quand le titre n’était pas dispo. Pour nous aussi, c’est une chanson très spéciale. Les paroles ont beaucoup évolué. Ross avait le morceau depuis des années avec notamment une petite boucle qu’on a enfin fini par caler à cet endroit. C’est comme si la chanson avait toujours été en nous mais qu’elle demandait du temps pour enfin aboutir.
Il existait trois segments de la chanson et ensuite on a essayé de trouver cette minute d’introduction, la manière dont poser la voix. Il existe un clip où on me voit essayer de chanter et trouver enfin le bon ton et on éclate tous de joie en se disant que c’est enfin en place ! (rires)
Vous êtes ici aux Transmusicales de Rennes, un festival reconnu pour ses découvertes avec de grands noms ayant débuté leur carrière ici. Cela vous fait quoi d’en faire partie, sachant que vous avez déjà joué dans d’autres endroits iconiques cette année comme le festival The Great Escape de Brighton ou Reading ?
J’ai une amie à Belfast qui a été bénévole ici plusieurs fois et m’a toujours parlé du caractère spécial de ce festival. On ne connaît pas du tout la ville mais on va essayer de faire un tour après les interviews. Dans un autre genre, Beauregard était spécial pour nous aussi. Un vrai game changer parce que ça nous a prouvé qu’on pouvait jouer devant les foules des festivals d’été.
Depuis, on a compris que c’était drôle pour beaucoup de français qu’on ait joué avant Indochine. (rires)
C’était notre douzième concert et on a joué devant plus de 10 000 personnes. C’était dingue. Il n’y avait pas vraiment de moyen de se préparer à ça. La France est donc un endroit très particulier pour nous. Les concerts en Europe sont très fun et on adore jouer devant de nouvelles têtes et faire découvrir notre musique. Mais on adore aussi jouer à domicile à Belfast ou en Irlande.
A propos de votre pays, il y a beaucoup de groupes qui viennent d’Irlande récemment entre Enola Gay, Sinead O’Brien, Gurriers.
Oui, c’est très cool tu peux aussi ajouter Robocobra Quartet qui est produit par Chris Ryan avec qui on a travaillé. Bien sûr, il y a Gilla Band qui est une de nos grandes influences. C’est un peu comme si nous étions tous connectés et ça donne le sentiment de faire partie d’une communauté. En Irlande du Nord, on peut parfois se sentir un peu éloigné et se rassembler par la musique c’est une bonne chose. On sent le soutien mutuel et on se retrouve régulièrement lors des concerts ou même au pub où tu peux croiser naturellement des membres de The Murder Capital et discuter de la vie de musicien. On est fiers et ça fait énormément plaisir. On a été chanceux pour le moment d’être là où on est et de bénéficier de bourses notamment. C’est vraiment compliqué d’arriver à tourner au Royaume-Uni et d’arriver ensuite dans le circuit européen donc on mesure notre privilège et la qualité des gens qui nous entourent. On est très heureux.
Vous venez de sortir un nouveau titre avec The Gate. Elle vient d’où cette chanson ? Des mêmes sessions que l’EP ou d’une autre sortie à venir ?
Quelque chose à venir, oui… (rires)
Il y a de nouveaux morceaux qui vont sortir en début d’année prochaine et ce titre là en particulier a été écrit pour le live. On a trouvé le sample en regardant une vidéo sur Facebook d’un plongeur qui saute et crie. Ce cri nous a servi d’intro pour ce morceau, on y a ajouté une boucle de batterie typée drum’n’bass et on a bidouillé à partir de ça en essayant d’être le plus crade et agressif possible. Tout l’EP a été écrit pendant les confinements et The Gate est le premier titre qu’on a pu écrire en pensant à la possibilité de jouer en concert. On a d’ailleurs gardé ça à l’esprit pour le clip.
On aime beaucoup ce morceau en live et on fait un enchaînement entre Them et celle-ci. Ce qui est assez dingue parce qu’en général à la fin de Them, on a déjà l’impression que c’est le chaos et on enchaîne sans pause les deux titres à 100 à l’heure. Ca nous fait marrer et à la fin du set, on a l’impression d’avoir fini une séance de sport.
On ne peut pas trop retenir les coups, ni se cacher parce qu’on est que 3. (Rires)
L’influence de la scène rock des années 2010 et de Nikola Sirkis
Via quelques interviews, j’ai découvert que deux de vos influences récurrentes sont Preoccupations, Protomartyr et Metz. Des groupes avec seulement une dizaine d’années au compteur mais au succès d’estime toujours grandissant.
Ces trois-là sont vraiment des influences majeures pour nous et même si ils sont cités régulièrement, on trouve que ce n’est encore pas assez au vu de leur talent et de la qualité de leur musique. Ils ont pris le pari de prendre un virage qui n’était pas si tendance que ça à l’époque et qui l’est devenu par la suite. On ressent d’ailleurs leur style dans un nombre conséquent de groupes anglais. Par exemple, c’est difficile d’imaginer Shame exister sans ces groupes-là. Ils ont été aussi une passerelle vers d’autres groupes plus anciens comme The Fall. Au moment où Ross devait poser sa voix sur les morceaux, il s’est inspiré de l’approche et du flow de Joe Casey de Protomartyr.
Quelle est la dernière chose qui vous a fait rire en tant que groupe ?
Indochine ! (rire général)
Attention, le groupe n’est pas une blague. On ne veut pas créer d’histoires, on les adore. (rires)
Comme on est de retour en France aujourd’hui, ça fait déjà 8 fois qu’on nous parle du groupe aujourd’hui et tout le monde hallucine quand il apprend que nous avons ouvert pour eux.