INTERVIEW ☭ DIIV

DIIV revient pour un troisième disque après l’immanquable Is The Is Are, sorti en 2015. Produit par Sonny Diperri, Deceiver est disponible depuis quelques semaines, ces deux têtes pensantes Zachary Cole Smith et Colin Caulfield se sont penchés fin août sur les secrets de fabrication chez le disquaire Ground Zero à Paris.

La remise en route, en groupe.

Cela fait quelques années que nous n’avions plus de nouvelles de DIIV. Comment tout a commencé pour ce nouveau disque ? 

Zach : Premièrement, on a tous déménagé à Los Angeles. On a commencé à répéter, à jouer quelques petits shows ensuite avant de se mettre à écrire. C’est dur de s’en rappeler car c’était il y a pas mal de temps. On a du prendre du recul individuellement et du temps pour ré-apprendre comment vivre, se mettre sur pied et bosser ensemble tous les jours. C’est ce qu’on a fait pendant quasiment un an sur ce disque. 

Cole : On voulait tous se trouver un lieu pour répéter et on a considéré ça comme un vrai job avec des heures précises afin d’avoir une visibilité sur le projet. On a commencé par piocher dans nos démos, pondu quelques trucs sur place et à force, ça a commencé à ressembler à quelque chose. C’est une manière assez classique de faire un disque mais c’était la première fois qu’on l’appliquait. 

Avant, Zach tu écrivais seul. Ici, c’est un mode de travail plus collaboratif. 

Z : Oui, comme Colin vient de l’expliquer : on a bossé ensemble sur ce disque et avec autant de sensibilité et de possibilités musicales, cela devait amener de meilleures chansons. A un moment de sa vie, tous les artistes ont du se dire : je peux arriver à faire cette merde tout seul ! (rires) 

Personne ne sait faire ça, c’est une connerie égocentrique et ça ne rend pas un meilleur résultat. Collaborer est plus intéressant créativement mais plus compliqué. Beaucoup de travail, de communication et d’écoute. Tout ça nécessite des compétences particulières en tant que groupe et l’album n’en sera que meilleur.

Et tout le monde en est sorti plus heureux visiblement ? 

Z : Exactement. C’était fun de faire ce disque, engageant et enrichissant. On s’est donnés du temps pour faire en sorte qu’on s’arrête de bosser sur un morceau uniquement lorsqu’on était tous d’accord. Jamais quelqu’un n’est venu pour ce disque avec un morceau déjà quasiment bouclé. 

C : On rebondissait sur nos idées respectives sans essayer de reproduire une base déjà établie. 

Sonny les bons tuyaux.

Comment s’est fait la connexion avec Sonny Diperri et que vous a t il apporté en tant que premier producteur extérieur au groupe ? 

Z : On a travaillé sur l’album avec notre manager et elle nous a demandé qui on avait en tête pour enregistrer le disque. Elle nous a donné une liste avec 3 noms, on a vu le premier, c’était Sonny et on l’a contacté. On a déjeuné ensemble le lendemain et on s’est jamais reposé la question de savoir si c’était le bon choix. C’est facilement l’une des décisions les plus intelligentes qu’on ait eu. Il s’intègre parfaitement au groupe, socialement, amicalement. L’ingénieur son, Tyler, s’est aussi rapidement intégré. Ce n’est pas inné parce que nous sommes vraiment potes dans le groupe. Sonny a été très bon dans sa faculté à communiquer avec nous : nous faire penser à quelque chose et nous laisser trouver la solution sans nous influencer. Nous avons des goûts assez similaires, il a une expérience incroyable en musique et il est juste bon. Il donne la sensation d’avoir produit des groupes depuis des dizaines d’années, il a cette sagesse et un vocabulaire spécifique pour parler musique. Je ne dirais pas que ce sont des tips mais il va nous demander ce qu’on prévoit pour le refrain d’une chanson sur laquelle on bosse. Nous, on parle d’un titre spécifique des Smashing Pumpkins, il le met dans la foulée, nous dit directement le type de guitare utilisée pour le titre et on s’y met. 

Au tout début, nous avions évoqué nos références et nos attentes en termes de son sur ce disque. Colin et moi étions alignés, le reste du groupe est arrivé à LA, on s’est consultés sur les références. Après, Sonny nous les a demandé en débarquant et nous a dit de suite qu’il aimait tous les groupes qu’on avait listé. Dès le début, nous étions tous sur les mêmes attentes et ça a facilité beaucoup de choses. Il n’y a pas eu de courbe d’expérience où à un moment on s’est dit : « tiens, celle-là devrait sonner comme Depeche Mode. » On était entre potes et on savait où on allait. Pas de surprise particulière non plus car toutes les idées avaient été guidées par ces fondations. En résumé, ça a été facile de travailler avec lui. 

J’ai parlé de lui avec Protomartyr pour leur dernier disque et ils m’ont loué sa capacité à s’adapter et à conseiller sans influencer. 

Z : Nous avons entendu beaucoup d’histoires sur Protomartyr dans le studio avec lui et ce qui est cool, c’est que leur expérience avait l’air très différente de la nôtre. Apparemment, il y avait beaucoup de bouteilles de whisky et de bougies dans la cabine d’enregistrement des voix. Il a su s’adapter à ça et à nous. Être un bon producteur réclame beaucoup de compétences mais nécessite aussi de se fondre dans un univers et c’est incroyable qu’il s’adapte à des univers si différents. 

C : Et d’être capable de ne pas changer le groupe en profondeur. 

Z : Oui, seulement quand nous étions bloqués et là, il trouvait une solution. Et à chaque fois, il en trouvait une. 

C : Il nous faisait vraiment confiance et c’était réciproque. Il ne parlait pas souvent mais quand il commençait, on la fermait et il a toujours eu raison. C’était une super dynamique. 

Is The Is Are a été assez long à sortir et était un double album. C’était intentionnel d’avoir un disque plus court cette fois ?

Z : Oui ! Dès le début, nous avions évoqué vouloir 10 ou 11 morceaux. Enlever des chansons d’un disque est aussi exigeant qu’en ajouter. Tu passes un temps fou à faire ce morceau et ne pas l’inclure dans l’album final, ça fait mal. Nous voulions être plus concis. Par contre, ça ne nous a pas empêché d’avoir nos chansons les plus longues sur ce disque avec des pistes à 7 ou 9 minutes par exemple. On était en tournée avec Deafheaven et leurs albums sonnent si complets alors qu’ils ne comportent que 5 ou 6 chansons. Pas besoin de plus en soit. 

C : Mais en même temps si tu as 17 chansons et que tu disposes du temps nécessaire pour qu’elles soient toutes géniales, c’est un argument. Nous avons deux chansons qui ne sont pas dans la tracklist finale. Si nous avions eu le temps pour les travailler plus, l’un d’entre nous aurait pu les défendre pour qu’elles finissent sur le disque. Cela prend tellement de temps ! (rires) 

« Nous n’étions pas là à nous dire : « allez vous faire foutre, on jette tout ce qu’on a fait par le passé et on fait un album rock ». On voulait faire un disque de DIIV différemment. » 

J’ai vu que vous aviez fait une série de shows acoustique en 2017 avec pas mal de covers.

Z : Nous avons commencé par jouer à New-York en acoustique et avec tout ce qui s’était passé dans le groupe, c’était une bonne manière de redémarrer et de se mettre sur la même page. Chaque musicien passe par des phases où il écoute beaucoup de musique ou aucune. A ce moment précis ça nous a aidé car dans les reprises que nous faisions, on avait du Elliott Smith, My Bullet For ValentineGirls et d’autres artistes avec lesquels nous devions ajouter nos chansons dans ce contexte. Ça nous a amené à réfléchir aux orchestrations, sons et accords que l’on utilisait pas. Aussi sans dénigrer, on a trouvé qu’elles étaient plus simples en termes de structure que ce que nous faisions. Il n’y a rien de mieux pour étudier le songwriting que de faire des reprises et ça nous a appris à repenser notre manière de composer. On a posté quelques vidéos de cover sur YouTube d’ailleurs et on s’est dits après tout ça qu’il fallait qu’on bosse sur de vraies « chansons ». On a donc essayé de mixer cette approche plus structurée et notre univers pour bénéficier du meilleur des deux mondes.

C : Nous n’étions pas là à nous dire : « allez vous faire foutre, on jette tout ce qu’on a fait par le passé et on fait un album rock ». On voulait faire un disque de DIIV différemment. 

Un baptême du feu en live.

Vous avez testé le disque directement en live. Ça donnait quoi comme sensation d’avoir toute l’attention d’un public sans connaissance de vos titres. 

Z : Sur la tournée de Deafheaven. C’était l’épreuve du feu en quelque sorte : cette putain de chanson a intérêt à fonctionner ! Leur public est habitué à un certain son et même si on joue plus lourdement sur ce disque, il ne faut pas décevoir le gamin au premier rang avec son t-shirt Mayhem. Cela nous a permis de savoir qu’on pouvait jouer des morceaux avec des tempos plus lents sans que ce soit une torture. Avant, on se disait que la meilleure manière de jouer live, c’était vite. 

C : Sans vouloir frimer, on est arrivés en tournée assez confiants. Les chansons n’étaient pas encore bouclées, les paroles non plus mais à force de jouer, on les a complétés et ça nous a donné l’impression qu’elles étaient encore meilleures. Ça a été un cycle intéressant, entre le déménagement vers la Côte pour un nouveau départ et la tournée pour rôder les morceaux : ça nous a rassuré et donner confiance à chaque étape. Ça a été super important pour valider la qualité de ces nouvelles chansons. 

Z : On est très attachés aux albums. La manière dont ils sont composés, construits, leur son et c’est ce que l’on analysait durant les concerts de Deafheaven. En comparaison avec la tournée que l’on avait fait avec Ariel Pink et ses pop songs complètement fucked up. Nous avons été très chanceux de participer à ces deux tournées très différentes. L’une était plus centrée sur les chansons, l’autre sur la performance : nous avons appris beaucoup en les regardant tous les deux. 

« Nous voulons quelque chose d’un peu moins chaotique et sortir le meilleur show possible. »

A la Flèche d’Or, cela m’avait marqué que vous demandiez au public les morceaux qu’il voulait entendre et ce, dès la moitié du set. Vous le faites encore ? Ça va être assez dur à gérer avec le nombre croissant de morceaux, non ? 

Z : Non, on ne le fera plus parce que tourner avec cet album est différent. Nous voulons quelque chose d’un peu moins chaotique et sortir le meilleur show possible. Demander au public les chansons à la volée ne nous semble pas aujourd’hui être la solution pour y arriver. Nous ne répétions jamais avant cet album. On se voyait la veille de la tournée, on faisait les balances et on jouait. Ça nous a aidé de pouvoir s’adapter comme ça mais quand tu fais ça pendant 5 ans, tu as besoin d’autre chose. Quand t’as 21 ans par exemple, tu t’en fous : je pensais qu’il fallait jouer vite et que les gens étaient là pour se bourrer la gueule et pogoter. Je n’aime plus trop aller à ça genre de concerts et je crois que les autres gars du groupe n’apprécient guère plus. Nous voulons donc rendre justice aux chansons, proposer quelque chose de cohérent et pas seulement une bonne suée. Ca va être un challenge pour nous de « vendre » ce disque aux fans des précédents et nécessiter du travail pour le faire apprécier. 

C : C’est aussi une histoire d’attention, parfois on jouait une chanson vite pour que le public devienne taré et on se retrouvait à ne plus savoir où on allait. (rires) 

Sur Is The Is Are, vous avez déclaré avoir l’impression que ce serait le dernier. Là, vous dites déjà que vous voulez faire ça encore longtemps. 

Z : Bien sûr. Notre ancienne manière de fonctionner était impossible à garder sur le long terme, ce serait inconcevable de ressortir un album comme ça. Nous avons du tout repenser pour trouver une manière plus fun et structurée d’exister en tant que groupe. Ca a été un process sympa, assez long, basé sur l’écoute et l’apprentissage. 

C : On pense produire un nouvel album assez rapidement, on ne s’y mettra pas avant d’avoir une bonne idée directrice, comme sur Deceiver d’ailleurs. Mais en termes d’envie de me remettre au travail, je suis déjà prêt ! C’était différent avant avec les problèmes d’addiction, c’était beaucoup de boulot pour arriver a faire quelque chose. Maintenant, cela semble plus facile à reproduire et nettement plus accessible. Tu fonctionnes étape par étape, ensemble. Il y a tellement de chansons qui ont démarré d’une balance, du fait de repérer un son bizarre et de vouloir creuser. Toute la genèse de l’album est aussi moins dramatique, on a fait ça sans se prendre la tête en faisant des conneries parfois en essayant de trouver quelque chose. Même les demos qu’on a ramené avant de démarrer l’écriture étaient limitées à avoir une idée de l’ambiance, des accords, une ligne de basse et un semblant de batterie. La plupart du temps, on se retrouve avec un morceau complètement différent à la fin.

Z : Sans vouloir sonner cliché, l’enregistrement a été nettement plus aventureux et inattendu. Tu démarres à un endroit et tu ne sais pas où ça va finir. A l’inverse de cette longue période de galère lorsque que tu commences à écrire seul et que tu cours après cette idée de la chanson que tu as en tête et que tu peines à la mettre en place. Tu as besoin de nouvelles oreilles pour t’aider. 

A quand la prochaine tournée en Europe ? 

Mars ou février, quelque chose comme ça. 

NDLR : Et en effet, une date à la Gaïté Lyrique a bien été annoncé ! 

Quelles étaient les artistes que vous écoutiez au moment de l’enregistrement ?

Z : On a écouté beaucoup de musique avant de s’y mettre. Colin est venu avec cette liste de recettes qu’il avait en tête pour DIIV, comme le jeu entre les guitares et la basse, qui pourrait être l’ADN du son du groupe. Parfois quand tu écoutes trop de musique extérieure, tu peux t’y perdre mais on a plutôt essayer de s’inspirer des autres pour y ajouter une petite touche qu’on pouvait apporter à notre son. Ça pouvait être une ligne de basse, l’insertion d’une guitare et à quoi ça ressemblait de l’intégrer. 

C  : Quand nous étions bloqué, on se remettait à écouter de la musique de manière très sélective. On ne voulait pas voler mais comment nous pouvons amener quelque chose en plus auquel nous n’aurions pas pensé, via une approche différente de la nôtre. Même si tu n’écoutes pas de musique de l’extérieur, tu te réfères toujours à tes goûts et ce que tu as écouté dans le passé. 

Z : C’était comme un hack pour nous de se pencher sur une playlist de groupes qui étaient pour nous des références d’un point de vue vocal comme pour My Bloody Valentine. C’était un retour à la réalité pour nous : en étudiant le morceau, on se rendait compte que le traitement de la voix était beaucoup plus sec que ce que nous gardions en mémoire. Si tu as une jolie mélodie et que tu es fier de tes paroles, ne les noies pas dans la production. 

C : Nous ne voulions pas reproduire à l’identique mais vraiment faire en sorte de retrouver l’ambiance de certains groupes et de le faire à notre sauce. Nous essayions de faire ressentir l’émotion que l’on a lorsqu’on écoute le morceau en question. 

Z : La construction des compositions, comment les accords sont faits et on s’est retrouvés à disséquer beaucoup de morceaux. Les références ont été assez différentes : pour la guitare, nous étions sur des groupes assez lourds comme Slint, True Widow, Smashing Pumpkins. Pour la voix, c’était MBV, Beach House et Elliott Smith

Une fois l’interview finie, nous avons continué à parler avec Zachary, autour de notre amour commun pour The Agent Intellect de Protomartyr et de son vinyle auquel je n’ai pas pu résisté. Bref, des mecs cools pour un groupe qu’il l’est tout autant et qu’on a apprécié voir en grande forme et doté d’un album si solide. Un très grand merci à Marion, à l’équipe du Ground Zero et à DIIV bien sûr.