A la veille d’une semaine de tournée française, les deux têtes pensantes des Egyptian Blue se sont posés avec nous au chaud pour éviter la pluie du moment. Déjà bien rodés par les concerts, nous avons discuté de la sortie le 27 octobre dernier de leur premier album, A Living Commodity.
C’est votre deuxième tournée française en moins de 8 mois. Vous commencez à bien connaître les environs, non ?
On adore jouer en France, c’est toujours très fun. En mars dernier, nous étions avec le groupe Humor et la date parisienne était au Supersonic. On avait fait 5 autres dates, le Luxembourg et les Pays-Bas. Cette fois, on a eu le temps d’apprécier un peu plus Paris en restant quelques jours. Avant cela, c’était vraiment juste pour le concert le jour J et on repartait aussi vite.
A Living Commodity est un album très direct, dans un style indie rock qu’on n’entend plus tant que ça ces dernières années. Avez-vous prêté attention au fait que le disque s’écoute d’une traite afin de garder l’auditeur du début à la fin ?
‘Nous avons essayé en effet de garder une cohérence au long de l’album mais nous y voyons quand même deux parties assez distinctes. L’album débute par des morceaux assez courts et punk, qui ne sont pas si simples que ça avec un fil de pensée qui évolue crescendo à chaque chanson. Ensuite, arrive la deuxième moitié qui est là pour t’atteindre émotionnellement.’
Dans l’idée, nous avons donc ces deux séries de morceaux pour amener plus de profondeur et éviter d’avoir un disque trop évident.
Sans vouloir rouvrir le chapitre de la pandémie, j’ai lu que l’enregistrement du disque avait été décalé et de fait que ça avait eu un impact important sur les chansons.
A l’origine, nous avions en effet 11 ou 12 chansons prêtes à être enregistrées et un deal que nous avions signé. La pandémie est arrivée, tout s’est arrêté et on était dévastés. Ca a été en fait une bénédiction parce que nous avons eu l’occasion de faire évoluer nos compositions. La plupart des choses qui se sont passées pendant la pandémie ont été nouvelles et sans précédent. Rester à la maison, 24 h sur 24, seul, avec ton partenaire, des gens, ça a forcément un impact au niveau émotionnel. Il y a eu un effet domino positif sur notre musique. C’est pourquoi je pense que les événements nous ont été bénéfiques et que ça a donné un album complètement différent.
Pouvez-vous nous expliquer comment est venu l’expression A Living Commodity (un produit vivant, en français) qui porte le nom du disque et une des chansons ?
Ce n’est pas quelque chose que nous avons trop réfléchi, c’est plus une tournure de phrase qui est venue lors d’une conversation et qui est resté. Cela peut signifier plein de choses, par exemple la vie dans un groupe de musique ou dans un groupe de personnes tout court. Ca peut être vu comme quelque chose de drôle ou d’ironique ce concept de produit vivant. Nous, c’est ce que nous vivons. Nous sommes cette chose de 4 personnes, qui se balade de ville en ville. Mais surtout, ce n’était pas vu comme un grand message ou une critique de quoique ce soit : c’est juste une expression qui sonnait bien et restait en tête.
On aime bien l’idée que les gens puissent essayer de comprendre ce qu’il y a derrière. On nous en parle régulièrement et parfois, l’interprétation est catastrophique mais ça nous fait marrer. (rires)
En tout cas, c’est un très bon titre d’album et on sent l’héritage anglais derrière avec cette notion de double sens. Et comment s’est fait le travail autour de la pochette ?
C’est notre ami Lenna Pilshofer qui s’était déjà occupée des artworks de nos EPs. On lui a demandé de travailler sur quelque chose de reconnaissable immédiatement. J’ai ce souvenir de prendre mon argent de poche et d’acheter des CDs gamin chez le disquaire et de les avoir choisi juste grâce à la pochette. Cela m’a fait acheté Journal For Plague Lovers des Manic Street Preachers parce que j’avais adoré la pochette. Hélas, j’ai jamais aimé ce groupe. Je me souviens aussi du disque de WU LYF dont j’avais adoré la pochette.
Nous voulions quelque chose de simple, marquant. Elle a peint en écoutant le disque avec les paroles également à disposition. Ca a été une manière pour elle de tout remettre en place. On adore son travail et il y a une certaine profondeur. Au premier regard, je ne suis pas sûr qu’on était fan. Mais je sais qu’aujourd’hui je l’aime beaucoup et je l’apprécie de plus en plus. Il en existe aussi une autre version plus rosée pour les magasins Rough Trade.
Comment s’est passé la rencontre avec le producteur Théo Verney ? On entend son nom de plus en plus notamment pour son travail avec English Teacher ou sur le futur album de Lime Garden.
Comme la plupart des gens avec qui on travaille, on le connaît depuis longtemps. On l’a croisé à une soirée Halloween où il jouait avec son groupe de l’époque déguisé en Pablo Escobar avec une énorme moustache. Quand on a discuté, on savait qu’il produisait la musique de son groupe. On lui a donc proposé de nous produire aussi, dès nos débuts et jusqu’à aujourd’hui. Ce qui est top, c’est qu’il a eu l’occasion de travailler avec d’excellents groupes originaires de Brighton ou non. Comme Traams par exemple. Il a vraiment cliqué avec pas mal de personnes, il est comme le Steve Albini de Brighton maintenant. Enfin, un peu quoi. (rires)
En s’intéressant à vos paroles, j’ai été étonné par leur profondeur. Elles traitent d’anxiété, de doute ou de problèmes relationnels de manière assez intense, ce qui est très rare pour votre style musical. Est-ce que vous aviez en tête de mixer une musique catchy avec des paroles non dépourvues de sens ?
Pour moi, c’est important de transmettre un message via les paroles.
‘Il y a une certaine catharsis à parler via une chanson de quelque chose d’ancrée en moi plutôt que d’en parler directement à certaines personnes de mon entourage.’
C’est aussi intéressant d’être ambigu et de rester un peu vague. Je ne sais pas comment le décrire, c’est vraiment la manière dont j’écris : porté par mes émotions.
J’essaie aussi de compléter la musique donc je travaille sur la rythmique, les syllabes, comment les mots s’enchaînent et suivent. Ce n’est pas fait de manière consciente, d’avoir une musique légère accompagné par des mots qui le sont moins.
Pendant longtemps, la musique rock plutôt pop était portée par des groupes grand public aux paroles assez futiles la plupart du temps. Je pense à Bloc Party ou à Franz Ferdinand pour ne citer qu’eux. Il y a aussi un cliché qui dit que seule de la musique « déprimante » peut contenir des paroles intéressantes.
C’est intéressant aussi d’avoir des morceaux avec plusieurs sens de lectures. Tu peux très bien lire les paroles sans te rendre compte du sens caché ou de la noirceur qu’il y a vraiment. Et juste voir ça comme une situation du quotidien, tu as le sentiment que ça te parle et tu peux le rattacher à ta propre expérience en tant qu’auditeur. Dans notre scène, il y a eu en effet une époque où des groupes allaient peut-être trop droit au but. Mais à côté de ça, tu as les Fontaines D.C. qui disposent de superbes textes avec un vrai message.
Je vous ai vu au Supersonic en avril dernier. Vous avez beaucoup tourné depuis vos débuts, le groupe s’est quasiment construit sur la route et maintenant, l’album est sorti. Qu’avez vous retiré de ces deux derniers mois ?
C’est différent. On a l’impression que le public réagit plus, qu’il se sent plus connecté à notre musique, plus excité. Juste après la sortie, on a pu tourner en Angleterre. Ca nous a mis dans un rythme où chaque concert semble meilleur que le précédent. Aussi au plus tu joues, au plus tu t’améliores. Ce qui est vraiment fun, c’est que les gens viennent plus nous parler après les shows et discutent avec nous des morceaux et de l’album en général. On sent qu’il y a un vrai attachement et ça fait du bien.
Avec l’arrivée de l’album, cela leur permet aussi d’arriver aux concerts en vous connaissant mieux. Une fois passé le stade de la découverte.
Je pense aussi que les nouveaux morceaux leur permettent de ressentir plus d’émotions, quelque chose de nouveau et qui donne moins l’impression de foncer à travers un mur. (rires)
Vous avez pu tourner en première partie avec des groupes comme The Murder Capital et aussi avec les Foals dans une tournée des stades. C’est rare pour un groupe aussi jeune. Ca a du être intimidant comme expérience, non ?
C’était dingue. On est passés de salles où on jouaient devant 150 personnes, à 2000 personnes avec les Murder Capital, à 10 000 avec les Foals. C’est incroyable bien sûr mais c’est la première fois que tu le fais où ça fait flipper. Tu es dans une situation surréaliste où tu te sens comme spectateur de la scène que tu es en train de vivre. C’est si différent de jouer au Zénith de Paris et au Supersonic. Le fait de pouvoir voir tout le monde, comparativement au fait de voir des gens à perte de vue. Tu te demandes vraiment où tu es. Mais tu te rends vite compte que tu es juste à un endroit où tu dois faire ce que tu as à faire. C’est un mélange de confort et d’inconfort.
C’est un moment où tu apprends énormément aussi sur la manière dont les groupes se préparent et fonctionnent pendant ce genre de tournées. C’est quelque chose que l’on vise.
Apprendre à avoir le niveau d’intensité et d’accessibilité requis quelque soit la salle dans laquelle tu joues. Allez, une dernière question pour la route : quelle est la dernière chose qui vous a fait rire en tant que groupe ?
On fait beaucoup de private jokes qui ne font rire que nous mais il y a quelque chose qu’on dit tout le temps. On a un guitariste supplémentaire en tournée qui vient avec nous en fonction des shows.
Il est allemand. On a joué un show ensemble le jour de la sortie de l’album au Rough Trade. Tout le monde s’amuse, on passe un bon moment après le concert et on était en retard pour le bus du départ. Ce qui fait que le bus est en retard de quelques minutes.
Et là, il me regarde énervé et me dit : ‘ça ne serait jamais arrivé en Allemagne.’
Il avait l’air vraiment saoulé pour un truc tellement quelconque que maintenant, on l’utilise pour tout. Quand on fait tomber un verre par exemple. On l’a expliqué à certains de nos potes, ça commence à devenir un truc entre nous. Mais il n’est pas encore au courant par contre. (Rires)