Première édition du festival Amiénois organisé par la mythique salle La Lune des Pirates, la programmation nous a poussés à poser quelques questions à Antoine Grillon, programmateur de la salle et donc du festival, qui réunira The Liminanas, Slowdive, Son Lux, Concrete Knives et bien d’autres noms très sympa de l’indé.
La mise en orbite.
Peux-tu nous parler de la genèse de ce festival ?
Il y a plusieurs éléments qui y ont contribué. L’an dernier, la Lune des Pirates qui est une salle historique d’Amiens a fêté ses 30 ans, une semaine évènement a eu lieu en Mai 2017 et dont la clôture était un concert en plein air, hors les murs, sur le Parc St Pierre qui est à 300/400m de la salle actuellement. Et il y avait peu, ou pas, de propositions faites auparavant sur cet espace, en tout cas, sous la forme d’un festival de musiques actuelles. Mais ça nous semblait intéressant car proche du centre ville, proche de la Lune des Pirates, on voulait donc garder une forme de lien avec ce que l’on fait tout au long de l’année, on a organisé ce concert qui était gratuit avec une belle scène, une programmation assez variée, puisqu’on n’avait pas établi de direction artistique précise. Ça se voulait surtout représentatif de ce que peut être la salle dans son ensemble voire même ce qu’elle a pu être par le passé, c’était un peu le grand écart entre électro et l’artiste marseillais French79 et Peter Hook de New Order/Joy Division. On a aussi travaillé sur une création locale, puisque l’on a accompagné Louis Aguilar qui était avec un orchestre du conservatoire et qui a ouvert la soirée, ce qui était assez joli puisque c’est un songwriter faisant de la folk et pour le coup, accompagné de 11 musiciens et donc une nouvelle orchestration.
Ce concert a donc donné des idées et à l’asso, au public qui était très demandeur mais aussi aux partenaires institutionnels qui finançaient et financent à nouveau l’événement. Et puis on considère qu’il y a un créneau à prendre car Amiens, c’est aussi une métropole de plus de 180 000 habitants sans proposition de festival de musiques actuelles en extérieur, avec une ambition de rayonnement régional voire même national. Et puis il faut savoir que la Lune, c’est une très petite salle de 250 places et avoir l’opportunité de faire un festival, c’est une opportunité de toucher d’autres publics, d’autres artistes et c’est très complémentaire de notre programmation, d’autant plus que l’on est sur un projet de nouveau lieu, d’une nouvelle salle qui devrait être livrée en novembre 2020 sous l’égide d’Amiens Métropole. Cela préfigure donc aussi l’arrivée de cette nouvelle salle et cela prépare les publics pour demain.
« Avoir l’opportunité de faire un festival, c’est une opportunité de toucher d’autres publics, d’autres artistes… »
J’aime beaucoup le nom du festival, je me rends compte en te posant la question là tout de suite que c’est forcément lié à l’univers de la salle La Lune, mais ça vous est venu d’où ? C’est assez poétique et en tant que graphiste, j’aime beaucoup l’identité visuelle construite autour de l’événement, comment avez-vous mûri tout ça ?
En fait, quand on lance un festival, il faut que le propos artistique soit fort quand même. Et le propos artistique passe à la fois par la programmation mais pas seulement, le nom, le visuel, c’est un ensemble. Cette direction artistique fait tout autant partie que le nom des artistes proposés. On a voulu travailler le festival comme une marque, même si c’est un peu moche de dire ça…
Mais une réalité…
C’est un outil de com’ qui reprend effectivement le champ lexical de la salle et puis il y a quelque chose qui interroge derrière ce nom, on peut lui chercher une signification, ça ne veut pas dire grand chose en l’état et pourtant, on peut tout aussi bien s’imaginer des choses du point de vue du public, mais on peut aussi trouver une signification puisque le festival se déroule au moment du solstice et on est presque à minuit avant qu’il ne fasse nuit…
… Ça me plait beaucoup comme explication en tout cas !
Quant à l’affiche, on a travaillé avec Formes Vives qui a ce côté très créatif, très indépendant dans leurs travaux et le fait qu’ils n’aient même jamais travaillé sur des propositions de festivals de musiques actuelles. Donc ça participe à créer notre propre identité plutôt que de travailler avec des agences qui bossent déjà sur de gros festivals, ce qui aurait pu aboutir à avoir une com’ semblable à ce qui peut déjà exister alors qu’on voulait avoir notre propre patte. Et il y avait un vrai souhait d’avoir une affiche un peu artistique même si cela reste un outil de com’ mais l’idée que les gens aient envie de l’avoir, de l’encadrer, ça marchait bien aussi. On a d’ailleurs fait des impressions en sérigraphie à 100% pour donner un petit truc en plus à ce visuel un peu énigmatique aussi.
Les jours et la nuit.
Vous avez une programmation hyper intéressante, personnellement, c’est limite un best of de ce que j’ai eu le plaisir de voir cette année. Mine de rien, vous avez une prog’ portée par quelques gros noms mais aussi des groupes plus « pointus », comment tu as abordé cette « problématique » ?
Initialement, y’a la volonté de faire un festival de musiques indépendantes donc, qui sous-entend programmer des groupes moins connus du grand public, moins médiatisés voire même ce que l’on appelle des exclus avec des groupes qui viennent pour la première fois en France ou en Province. Je pense par exemple à Sorry, Warmduscher qui ont très peu de dates même si là, on parle des mecs de Fat White Family qui ne sont pas des inconnus mais il faut être dedans pour connaitre ce genre de projet. C’est aussi une veille, c’est aussi mon métier depuis plusieurs années, je travaille sur la prog’ de La Lune donc j’ai aussi l’occasion de proposer des groupes en découverte, émergents. La difficulté a été de créer un festival de musiques indé mais un festival qui vend du ticket aussi parce que sur une première année, il faut qu’on arrive à boucler le tout et on sait à quel point c’est difficile aussi pour se lancer, d’où le lien encore une fois avec l’identité visuelle qui est assez cohérente.
Et c’est pour ça qu’on va aussi retrouver un projet comme Eddy De Pretto ou encore Polo & Pan qui sont plus « grand public » mais dont on a besoin aussi pour séduire d’autres publics et sortir de notre quotidien nombriliste de la Lune, salle qui a une bonne fréquentation, pas mal d’abonnés mais là, pour un festival, c’est une autre dimension. Ça nécessite de séduire ces autres publics que l’on n’a pas forcément au quotidien chez nous et le tout sans que cela ne dénature trop l’idée initiale. On essaie de se dire qu’on aura à la fois des gens capables de faire des bornes pour voir Slowdive, Amber Arcades, The Soft Moon, une fanbase de ces groupes qui ont finalement peu tourné et malgré ça, on ne veut pas faire un festival trop pointu, et qui séduise aussi les amiénois avec des noms comme Eddy de Pretto, au final, c’est un équilibre à trouver.
« Un festival, c’est une autre dimension nécessitant de séduire d’autres publics que l’on n’a pas forcément au quotidien et le tout sans que cela ne dénature trop l’idée initiale. »
En plus, il faut aussi souligner que vous avez un tarif hyper abordable pour ces différentes journées !
C’est quelque chose que l’on s’applique quotidiennement à la Lune, on est plutôt sensibles au pouvoir d’achat, on bénéficie aussi de subventions et on veut avant tout qu’il y ait le plus de monde possible sur cet événement, que le tarif ne soit pas un frein. Alors bien sûr, tout ça a un coût entre les nombreux groupes programmés sur la soirée, les têtes d’affiche qui se paient, mais on a essayé d’être le plus raisonnable possible et 25€ la journée en plein tarif, 40€ le pass 2 jours, c’est quand même très abordable.
D’ailleurs, on a évoqué principalement les 2 premières journées tournées vers les concerts mais il y aura aussi une troisième journée plus tournée vers les activités, tu peux m’en dire un peu plus ?
On finalise justement encore tout ça, mais le dimanche 24 juin sera totalement gratuit, on est sur un format familial, detox/chill, avec sur l’une des deux scènes, puisque les autres jours, on aura un plateau réparti entre la petite scène et la grande scène, un spectacle jeune public autour de 12h30 et ensuite on bascule sur des sets plus electro mais une programmation très découvertes orientée familles et des activités en parallèle comme un petit marché des créateurs qui seront sur site, avec les foodtrucks, les bars, des cours de yoga. Histoire de finir tranquillement et encore de la gratuité parce que s’il y a eu un frein pour venir les 2 jours précédents, malgré le prix du ticket abordable comme tu l’as rappelé, là il n’y a plus d’excuse pour ne pas venir le dimanche. [Ndr : De nouvelles infos sont dispos à ce propos via la page FB du festival].
De la même manière, j’ai vu que vous proposiez le ticket gratuit aux enfants de moins de 12 ans.
Je ne suis pas sûr que beaucoup d’enfants de moins de 12 ans viendront mais on ne veut pas que ce soit un frein de venir en famille. Des bouchons d’oreilles seront distribués sur place, de la restauration et sans faire la clôture à 1h30 du matin, peut-être que les familles peuvent faire un 18h-22h… Et puis en termes de cibles, on est plus sur du 25-50 que des moins de 25 ans, on a très peu de musiques électroniques en dehors de Vladimir Cauchemar, il y a peu de hip hop aussi et on sait que les jeunes écoutent majoritairement ces styles, ça ne veut pas dire qu’on sera interdits à cette tranche d’âge mais on a conscience de la cible en regard de la programmation, et donc des gens qui ont probablement des enfants et il fallait trouver une réponse à ça.
Cadre(s) et festival.
Tu évoquais le fait de tenir ça sur un parc de la ville, tu peux m’en dire plus pour moi qui ne suis pas du coin ?
Oui, tout à fait, c’est un parc verdoyant à deux pas du centre-ville, à 10mn à pied de la gare aussi pour ceux qui viennent d’un peu plus loin, ce qui facilite grandement l’accès. Le fait d’avoir le centre à côté permet d’avoir aisément accès aux propositions hôtelières, Airbnb, puisqu’il n’y aura pas de camping sur place. Et le parc en lui-même est assez imposant, on n’en utilise d’ailleurs qu’une petite partie et le cadre est vraiment sympa, il y a des petits cours d’eau, des étangs au milieu du parc, on longe la Somme et on a une véritable proximité avec les hortillonnages qui font partie du patrimoine amiénois. Et d’ailleurs à ce titre, on va probablement proposer des petites balades en barques avec animations musicales et probablement offertes au public pour les personnes ayant les pass 2 jours. On est en train de finaliser ça, on travaille sur des extras et l’idée de faire découvrir notre ville au public extérieur, puisqu’on a aussi un beau patrimoine.
Quant au festival, j’imagine que l’idée est de l’inscrire dans la durée ?
Oui, même si on y va étape par étape, on ne peut pas l’assurer car si on perd 100 000€ sur cette opération, on ne pourra pas le refaire. L’équation est simple, plus il y aura de public, plus il y aura de chance que l’on renouvelle mais ce serait frustrant de lancer un festival et s’arrêter à la première édition. Surtout que les retombées pour ce type d’événement se font rarement la première année mais plutôt la troisième ou la quatrième quand on est identifiés.
J’ai une petite pensée pour feu le festival Heartbeats, je sais que vous êtes assez proche du milieu musical lillois, est-ce que vous avez discuté avec les organisateurs de l’événement pour essayer d’éviter certains pièges ?
Oui, même si j’ai pas mal soutenu cet événement organisé par des partenaires et ami.e.s, on sait que financièrement, ça ne s’est pas bien passé et il fallait aussi avoir les infos sur ce qui a coincé et ne pas reproduire les mêmes erreurs. Donc oui, on essaye d’être humbles en ayant un contrôle budgétaire rigoureux et si ça marche, on essaiera de faire un peu mieux l’année d’après, parce qu’on peut vite se casser la gueule aussi !
Dernière question, c’est peut-être l’occasion de parler de la salle même, vous êtes dans une période transitoire, tu peux nous en dire plus ?
C’est une salle de 500 places qui devrait sortir de terre sur l’automne 2020, on y ajouterait des studios de répétition, de nouveaux espaces administratifs et tout ce qui va avec. La particularité de ce projet est qu’il s’inscrit dans une complémentarité avec l’existant. La salle actuelle deviendra un « club » à part entière, on piloterait un projet à deux lieux et 3/400m d’écart, la salle étant déjà à la base atypique, on continue dans l’atypique mais qui va trouver aussi une cohérence dans la mise en place du projet que l’on prépare. On reste pas très loin, dans notre quartier historique d’Amiens, celui de Saint-Leu, donc il y a une véritable continuité et surtout il n’y aura aucune fermeture de salle contrairement aux copains du Grand Mix qui sont obligés de faire une année de transition.
Est-ce que ça change ta manière d’aborder la programmation de la salle ?
Pas de façon radicale puisque la Lune est bien identifiée et ça permet de faire des groupes le lundi soir, le mardi soir qui sont des groupes plus à même de faire des jauges de 500 places. Il nous arrive de faire des coups comme récemment Kadavar ou encore L’Or du Commun en hip hop où on aurait fait 500 places. Malgré tout, on n’a pas voulu se lancer sur une jauge de 1000 places, on voulait s’inscrire dans une continuité du projet artistique de la Lune actuelle et agrandir à ce point nous aurait placés dans une logistique bien différente avec une direction artistique moins pointue, plus de spectacles type variété. 500 places nous permettent de rester dans l’indé qui est notre cœur de programmation.