10 ans. En février 2008, je réalisais ma première interview avec Girls in Hawaii, le coeur encore vibrant des retrouvailles à la Cigale, 3 mois plus tôt. Début Février 2018, nouvelle proposition d’interview… L’intervalle a vu naître 2 albums, des EP, des tournées, 10 années traversées de moments sombres pour finalement retrouver this light. On a fait le bilan avec Antoine, l’un des 2 piliers du groupe.
La dernière fois que j’ai fait une interview avec Girls in Hawaii, c’était il y a quasiment 10 ans jour pour jour… Je t’avoue que ça m’a mis un coup de vieux. Quel regard portes-tu sur cette décennie écoulée ?
A l’époque, on avait sorti un premier album mais c’était encore le début pour nous. Je suis encore étonné que ça ait duré aussi longtemps et que ça continue. A chaque fois qu’on fait des dédicaces à la fin des concerts, on rencontre des gens qui nous ont connu à la sortie du premier album en 2003. Pour nos deux premiers albums, les gens font souvent référence à ce qu’ils faisaient ou ce qu’ils étaient à l’époque. Quand les personnes de 35-40 ans nous disent : “J’étais étudiant, j’étais en vacances en Espagne avec des potes, on l’a écouté pendant un mois”, on se rend compte que ces albums sont très générationnels. C’est beau et gratifiant d’avoir fait un objet avec un tel impact et en même temps, ça me fait un peu flipper ! Ca rend aussi nostalgique quand les personnes te parlent toujours de ce que tu as fait dix ans plus tôt.
Est-ce qu’à l’époque de Plan your escape en 2008, vous espériez être au stade où vous en êtes aujourd’hui ?
On était déjà super content d’avoir sorti un 2ème disque, on a eu beaucoup de mal à le faire et à le défendre parce qu’il était très différent du premier album. Il était moins pop, mois immédiat et léger alors que pas mal de monde s’attendait à la même chose. Sincèrement, je ne projetais rien à long terme, je ne me voyais pas faire encore 4 ou 5 albums de façon aussi douloureuse que celui-ci. Au commencement, il y a toujours uniquement Lio et moi ; on jette les bases du disque pendant plusieurs mois chacun dans notre coin. On a compris avec les années qu’il faut en avoir fondamentalement envie pour rendre la chose facile. Ca parait tout bête mais on a mis longtemps à le comprendre.
A l’époque de Plan your escape, c’était très difficile car on avait la pression de refaire un disque. On avait très envie mais on n’avait pas digéré les 3 ans de tournée pour le précédent et on n’avait pas le mode d’emploi pour gérer de la vie de musiciens à temps plein. Du coup, on travaillait souvent dessus par obligation, sur des horaires de bureau pour un résultat catastrophique. Il fallait presque qu’on soit désespérés pour arriver à sortir quelque chose de correct, c’est devenu un disque de réaction ou de mauvaise humeur par moment.
Heureusement, les 2 albums suivants ont été bien plus agréables. On a préféré enregistrer en studio et plus par nous-mêmes comme avant. A chaque fois on partait dans des délires alors qu’on n’est pas ingénieurs du son. On a aussi travaillé avec un producteur qui sait rendre tout assez léger. Pour lui, si tu n’as rien trouvé en travaillant 2 jours sur une chanson, ça ne sert à rien de creuser alors qu’avant on pouvait y passer 6 mois. Il nous a fait prendre conscience qu’un disque est juste une carte postale d’une période, il n’y a aucun intérêt à le rendre parfait.
« Je ne projetais rien à long terme, je ne me voyais pas faire encore 4 ou 5 albums de façon aussi douloureuse que celui-ci. »
Il y a 10 ans, il y avait encore toute l’effervescence de la scène belge qui s’est diluée aujourd’hui. On a de super nouveaux groupes mais qui n’apparaissent plus comme une scène. Et parmi les groupes de l’époque, vous faites partis des plus visibles : certains comme Vénus ont disparus, d’autres comme Millionaire ou Sharko sont réapparus mais plus confidentiellement et on ne sait pas vraiment si on verra le 4ème album de Ghinzu. Vous êtes les survivants, c’est presque ironique quand on sait à quel point vous aviez eu du mal à sortir votre 2ème album. Aujourd’hui, que retiens-tu de cette période ?
La scène du rock belge a été initiée par les groupes flamands qui nous ont apporté une énorme énergie, c’était miraculeux pour nous. A l’époque, i y a eu une synergie entre les musiciens, les festivals, les programmateurs, les journalistes et un public conséquent. Il y a même eu un âge d’or avec une volonté politique d’aider les artistes financièrement. Ce dynamisme nous a porté jusqu’en France, ça a motivé pleins d’autres groupes. Malheureusement, ce cycle a pris fin avec la crise économique de 2008 et c’est bien plus compliqué aujourd’hui pour les petits labels et les festivals, les radios sont aussi devenues plus commerciales.
On est passés miraculeusement entre les gouttes grâce à un lien très fort avec notre public qui compense nos difficultés à passer en radio. La fidélité du public nous permet aussi de tourner. Aujourd’hui, les groupes actifs et motivants comme Balthazar sont de nouveau plutôt en Flandres, ils ont recréé une scène intéressantes.
Il y a aussi de jeunes groupes francophones qu’on côtoie, ils ont commencé à faire de la musique en écoutant ce qu’on faisait. Notre relation ressemble à la relation paternelle qu’on a avec dEUS, il y a de l’admiration et en même temps la volonté de tuer le père. On en rigole beaucoup avec des groupes comme Robbing millions ou BRNS avec lequel on a une chouette relation.
Finalement, cette excitation est passée dans le rap avec Roméo Elvis, Caballero. Vous avez écouté pas mal de hip-hop en préparant cet album, est-ce que tu suis particulièrement ces artistes ?
On voit cette vague qui ressemble à ce qu’on a vécu il y a 15 ans. Tous les festivals en Belgique changent leur programmation, ils gardent une tente pour le rock en soirée mais sinon il y a essentiellement du hip-hop. C’est incroyable de voir l’impact qu’ils ont sur le net et c’est génial parce qu’ils le font par leurs propres moyens. Le résultat est à la fois hyper professionnel et en même temps très branleur dans le plaisir qu’ils y prennent. Le phénomène m’intéresse beaucoup mais je suis plutôt intéressé par des choses comme PNL dans le hip- hop. J’adore le paysage sonore qu’ils ont réussi à créer certainement parce que je ne viens pas du rap à la base. Je trouve cela un peu pauvre musicalement lorsqu’on rappe pendant 10 minutes sur un sample en boucle, il me manque souvent de la musicalité. Je trouve PNL très singulier et planant avec les synthé très 80s difficilement identifiables. On a souvent des débats avec Lio qui est fan de Booba, il ne jure que par lui. Je pense qu’il adore son côté musclé qui en impose. il a même été le voir à Bruxelles !
En terme de production, est-ce que le hip-hop vous a influencé sur Nocturne ?
Carrément notamment sur le parti pris minimaliste avec juste un son de synthé, un beat pour apporter de la rythmique et une voix. C’est très percutant et enveloppant. On a aussi été inspiré par l’électro mais aussi dans sa simplicité. On voulait un son très minimaliste avec des synthés plutôt que des guitares, on a beaucoup orienté l’album dans ce sens.
Je trouve qu’il y a une filiation très claire entre Everest et Nocturne qu’on ne retrouvait pas dans le chaînage des précédents albums. L’as-tu ressenti également ?
Oui, tout à fait. Chaque précédent album était éloigné dans le temps et possédait sa propre identité, ils étaient vraiment en rupture. Pour Everest, on avait trouvé en la personne de Luuk Cox, notre producteur, une méthode de travail simple qui nous avait fait du bien. Au départ en écrivant Nocturne, on avait choisi de travailler avec un nouveau producteur parce que c’est toujours excitant mais plus on y réfléchissait, plus on avait envie de retravailler avec Luuk. Il y a une filiation parce qu’on a commencé à vraiment bien fonctionner ensemble sur la fin de production d’Everest, avec des morceaux comme Wars en partant d’idées toutes simples qu’on ne trouvait pas forcément intéressantes. On a continué de travailler comme ça sur Nocturne, on arrivait avec des chansons moins cadenassées qui laissaient davantage de place à l’amusement.
Je ne voulais pas trop te parler de l’hypnose parce que tout le monde vous en a parlé. Mais je n’ai pas trop saisi le chemin qui vous a amené de cette approche très introspective à votre album le plus ouvert sur l’extérieur.
Notre ligne directrice dès le début était de parler plus du monde extérieur et d’être moins introspectifs sur Nocturne. En général quand on commence un disque, on en parle vers la fin de la tournée, pour imaginer ce que sera la suite et on établit souvent assez bien ce que sera le suivant. Pour celui-ci, l’objectif était d’avoir quelque chose de minimal, un son synthétique, moins de guitare, des voix plus en avant et de parler du monde qui nous entourait. Pour nous, c’était difficile d’assumer cela, de savoir comment on allait le faire, on n’avait pas envie de faire un truc politique. On n’est pas assez bons en anglais pour faire des descriptions réalistes. Donc au départ, l’hypnose a été un moyen de se libérer. On voulait que la remise en marche créative soit moins douloureuse que d’habitude. Pour cela, j’ai vu un thérapeute qui m’a dit qu’il pouvait initier de la créativité et travailler dans l’inconscient pour rendre ça plus agréable. C’était vraiment un usage facilitant pour atteindre notre but.
« Sur Nocturne, l’objectif était d’avoir quelque chose de minimal, des voix plus en avant et de parler du monde qui nous entourait. »
Et est-ce que ça a joué sur votre approche de la scène aussi ? Je vous trouve bien plus à l’aise qu’avant, ça se voyait déjà un peu sur la tournée d’Everest. Peut-être que cela vient aussi de vos choix scénographiques qui ont évolué vers plus de légèreté.
On s’assume beaucoup plus sur scène qu’à l’époque où on mettait des films et des télés pour que les gens ne nous regardent pas. On accepte maintenant d’être le centre d’intérêt d’un concert de Girls in Hawaii. Et je pense qu’on stresse beaucoup moins qu’avant, on a de la bouteille ! On est aussi confiants dans notre équipe donc on est plus libres de s’amuser. Mais tout ça n’est pas lié à l’hypnose, c’est vraiment lié la confiance en soi acquise au fil des années.
Sur les 2 dernières tournées, vous aviez prolongé le plaisir avec une tournée acoustique. Est-ce quelque chose que vous aimeriez refaire avec cet album ?
On y pense, on aimerait beaucoup prolonger mais on ne sait pas encore comment. On aimerait quand même bien refaire un petit cycle d’une vingtaine de dates mais ça ne nous intéresse pas de refaire une tournée acoustique. On le refera certainement un jour mais là, on a envie de quelque chose de plus excitant.
De toute façon, il vous reste encore quelques dates pour y réfléchir avec notamment un nouveau concert à Paris. Je crois que je vous aurais vu dans toutes les salles parisiennes !
C’est vrai qu’on en a fait beaucoup, il nous reste le Grand Rex ! On a effectivement encore plusieurs dates en France et une tournée italienne, puis les festivals d’été. On est sur la route pour une année encore. Mais on a répété beaucoup de morceaux pour avoir un set qui évolue tout le temps. Pour Everest, on avait une scénographie très calée et du coup on avait vraiment du mal à le faire évoluer, on en avait marre à la fin. Cette fois-ci, on n’a pas scénographie le spectacle pour pouvoir réadapter l’ordre en permanence. Ca nous permet de remettre de l’excitation pendant 2-3 jours quand la routine s’est installée.
Dans une interview, vous disiez que la Belgique était le pays où vous aviez le plus de pression, l’Allemagne le pays plus roots et la France, le pays où l’accueil était le plus chaleureux. Vous avez dit ça parce que c’était un média français ?
A Paris en tout cas, ça a toujours été dingue !
Je dis ça en rigolant mais j’ai un souvenir encore très vibrant et affectueux pour le concert de la Cigale en 2007 qui avait été annoncé de manière assez confidentielle et pourtant, on sentait vraiment la chaleur de la fanbase. C’était une sacrée soirée !
Oui, c’est une date qui devait tomber à la sortie de notre album mais on l’a repoussée de 6 mois et c’est devenu une date bizarre mais complètement dingue. C’est hyper chaleureux parce qu’il y a des endroits où les gens sont chauds en règle générale dans la vie comme à Liège en Belgique mais ça peut être un peu chiant parce qu’ils sont surexcités et ils n’écoutent pas trop. Le public parisien est toujours méga chaleureux quand il applaudit et ça nous porte à fond mais il est aussi très concentré dans les moments plus intimes, c’est ce mix qui a toujours rendu les concerts incroyables à Paris. Et en France, la qualité du réseaux de salles est superbe donc on retrouve des conditions propices partout où on va.