C’est le premier jour de grève en France et le chanteur d’HMLTD Henry Chisolm est à Paris pour parler de leur premier album à paraître le 7 février, The West is Dead.
Avoir un bon concept.
Quelles sont les nouvelles ?
Ca fait plaisir d’être à Paris, j’avais envie de sortir de Londres pour prendre l’air. Et découvrir la ville dans un contexte différent avec la grève où tout le monde est à pied ou en trottinette électrique, ça fait du bien. C’est ce que j’apprécie chez les français aussi, ne pas se laisser faire et défendre ses droits. J’ai un côté optimiste qui me laisse à penser que faire la grève finira par avoir un impact sur les droits des travailleurs. Vous pouvez être reconnaissant, vous vous élevez face au bullshit contrairement à nous. (rires)
Comment vous êtes vous rencontrés ?
A l’université : nous étions tous à Londres avec pour prétexte d’étudier pour rencontrer des artistes et se lancer dans la création. La seule manière d’y parvenir, c’est d’avoir un prêt étudiant de la part du gouvernement pour se lancer. On a tous réussi à faire ça pour avoir les moyens psychologiques et financiers pour créer ce projet.
Dans quel état d’esprit étiez-vous avant de démarrer le travail pour The West Is Dead ?
C’est intéressant car nous avions commencé à écrire et enregistrer des chansons avant de savoir qu’elles finiraient dans le disque. Bien sûr nous savions qu’à un moment, nous en sortirions un. Ca fait vraiment un an et demi que nous avons un concept clair pour avoir un ensemble assez cohérent. A partir de là, nous avons réarrangé certains morceaux et nous en avons écrit de nouveaux pour avoir un disque avec une vraie histoire au lieu d’une collection de chansons.
Vous avez écrit un manifeste en complément du communiqué de presse annonçant l’album. Comment vous est venu cette idée ?
Quand nous avons commencé à réfléchir au concept censé porté le disque, nous avons réalisé que nous parlions beaucoup de la masculinité. Ce qui est assez drôle du point de vue de 5 mecs hétérosexuels. A ça nous avons ajouté d’autres sujets connexes comme le patriarcat, le contexte politique, la rivalité. Des notions parfois opposées à ce que nous voulons mettre en avant comme l’amour, la compassion, l’empathie et la solidarité.
Multi-cartes.
Votre son est très varié musicalement avec certaines chansons qui fonctionnent presque en duo. Comment avez-vous procédé pour remettre les pièces du puzzle en ordre ?
Une fois que nous avions identifié les thèmes que nous allions parcourir : on a fait en sorte de garder un socle narratif au long du disque pour que le tout s’articule. Ce qui nous a permis de jongler avec du punk, de la trap, de l’électro, etc… Il y a aussi beaucoup de morceaux qui n’ont pas été retenus car il ne rentrait pas dans le concept d’album. C’est pourquoi il y a des titres opéra, néo-metal et hip-hop qui ne sont pas dans le mix final. On avait aussi un enjeu à rester concis. Enfin, le plus concis que l’on puisse être car l’album fait quand même 50 minutes ! (rires)
L’album a des allures de voyage car il est tellement touffu que c’est un exercice d’aller décortiquer les différents styles. Il y a aussi un côté épisodique propre aux séries TV où une chanson démarre une histoire et la suivante la continue.
C’est un album en 2 parties : Movement 1 allant jusqu’à « Satan, Luella & I » et Movement 2 qui prend la suite . C’est d’ailleurs comme ça que le vinyle est pensé avec une partie par face.
En termes de composition, comment vous fonctionnez ?
C’est l’anarchie : il n’y a pas de règles. Parfois, j’arrive avec des paroles et on bidouille quelque chose avec un guitariste. Ca peut aussi être un jam. « Mikey’s Song » a commencé avec uniquement la partie de synthé pendant 2 mois et ensuite, j’ai ajouté les paroles. C’est ce qui explique ce pourquoi nous jonglons avec autant de genres musicaux : nous sommes des personnes très chaotiques et bordéliques. (rires)
« Quand la relation avec Sony s’arrêtera, appelez-nous. »
Malgré votre jeunesse, vous avez déjà pas mal de featurings à votre actif. Lorsqu’on vous écoute, on a parfois l’impression de passer par 4 ou 5 groupes différents.
Le nombre d’heures que nous avons passé sur ce premier disque est sûrement 4 à 5 fois supérieur au nombre d’heures passées en moyenne par un groupe sur son premier disque. Nous y avons passé presque 2 ans.
Vous êtes déjà passé par un certain nombre d’étapes avec notamment votre signature avec Sony, puis la fin de votre contrat.
Ca peut sonner cliché mais quand j’ai écouté la première fois le disque lors de la réception du pressing en vinyle, je me suis dit que l’album aurait été tellement différent sans ce parcours. Toute cette galère, cette souffrance, ce doute, ces conflits ont rendu service au disque et le résultat final justifient tout ça.
Comment s’est passé votre rencontre avec votre nouveau label, Lucky Number ?
C’est une histoire assez drôle. Après notre premier gros concert suivant la signature avec Sony qui a lieu au 100 Club à Londres, Michael et Steven de Lucky Number étaient déjà dans le public et nous suivaient depuis un bail. Ils ont discutés avec notre manager Milo ce soir-là et lui ont dit : quand la relation avec Sony s’arrêtera, appelez-nous.
Ils avaient raison donc quand ça s’est passé, on les a contacté. Ce sont des passionnés : ils ne font pas d’argent, ils ont la cinquantaine et vivent comme des étudiants. Ils font ce métier car ils adorent la musique, les groupes qu’ils soutiennent et ont envie de faire partie d’un projet créatif. C’est unique : au lieu de faire partie d’un catalogue d’artistes et d’être perçu comme un investissement de la part d’un gros label, c’est très excitant de faire partie de cette aventure collaborative. Tout est communautaire : les clips et la direction artistique bien sûr mais aussi la promo. Dans une major, tu parles à quelqu’un qui répond aux objectifs posés par son patron, qui lui-même répond aux objectifs de ces actionnaires. On est très reconnaissant et chanceux d’avoir leur soutien indéfectible face à tout notre bullshit et notre désorganisation. (rires)
Cela fait bientôt 4 ans entre les débuts du groupe et la sortie prochaine du disque en février. Vous avez déjà connu un certain emballement médiatique avec des articles dans tous les sens très tôt. Vous avez même fait un passage dans l’un des rares shows TV à proposer une pause musicale avec Quotidien.
Antoine Griezmann et Marion Cotillard étaient chez Quotidien cette semaine-là, ça nous a scotché. (rires)
Ce que nous avons réalisé, c’est que la hype est un phénomène très rapide, éphémère et assez inintéressant en fin de compte. Au début, nous étions obsédés par ça et ensuite, tu te rends compte que tu finiras par faire ton temps. Encore plus aujourd’hui avec le nombre de groupes et la rapidité de la circulation de l’information. Ce qui durera, c’est la qualité dans l’art. Tu dois donc faire un maximum attention à ce que tu vas produire sans trop perdre de temps et d’attention face à ce qui t’entoure et qui pourrait t’influencer négativement. Tu dois rester sincère et ensemble en tant que groupe et depuis que nous avons pris ça en compte, nous sommes plus heureux dans nos vies et contents de ce que nous produisons. La hype dure 6 mois, une bonne chanson c’est pour toujours.
Savoir bien s’entourer.
Vous êtes créatifs sur tous les tableaux : clips, pochettes, vêtements, etc… Comment vous fonctionnez entre ce que vous produisez par vous-même et les artistes que vous choisissez pour collaborer ?
On est intéressés par l’idée de créer un monde dans lequel on peut rentrer à travers notre musique et l’univers visuel qu’il peut y avoir tout autour. On essaie de le faire avec humilité en étant conscient de nos limites en tant qu’artiste. Nous sommes musiciens et il existe bien d’autres artistes : réalisateurs, des designers de mode, de plateau, des graphistes, etc… Nous voulons donc collaborer un maximum avec ces gens pour créer une communauté de collaborateurs. C’est ce que nous avons mis en place à Londres. Par exemple notre styliste, Danielle, est une artiste incroyable et l’une de mes meilleures amies. Travailler seul, c’est nul et le résultat final sera rarement à la hauteur de tes attentes. Tout tient dans la collaboration.
Si on prend l’exemple d’une vidéo comme « Why? », ça se passe comment ? L’artiste vient avec un concept de vidéo et vous trouvez la chanson qui convient le mieux ? Ou vous « briefez » quelqu’un que vous avez identifié ?
Avec ce titre, on savait quels sentiments on voulait faire transparaître et c’est une chanson assez émouvante. On voulait que le clip soit fait en animation et il a été réalisé par la soeur de notre bassiste Nico. Travailler avec quelqu’un que tu connais, que t’apprécies fait partie pour nous de notre logique. Ca a été ensuite produit par un collectif basé à Paris nommé 99 Degres. On leur a expliqué le sens de la chanson, on a bossé ensemble sur les storyboards et ensuite, ils nous ont donné ce superbe résultat. C’est un bel exemple de travail collaboratif et communautaire.
A propos de communauté, est-ce que vous avez un groupe de potes à nous conseiller ?
Silk Armor, c’est le projet musical du gars qui s’occupe de nos lumières. C’est l’un de nos meilleurs amis : il nous suit en tournée depuis ses 16 ans et a lâché l’école pour nous. Excellent musicien, c’est super contemporain, direct et génial.
PVA, un nouveau groupe de Londres qui mélange disco, électro, punk et rock. Ils ont joué beaucoup au Windmill et ils sont canons en live. Ca me rappelle un peu CSS que j’adore.
Sorry, un autre groupe londonien. Sûrement celui dont je suis le plus jaloux pour leur incroyable songwriting et leur vision.
NDLR : Ils seront au Supersonic gratuitement le 18 février et vous avait déjà pu les croiser en France en première partie de Shame fin 2018.
D’ailleurs, est-ce qu’il existe une vraie scène à Londres aujourd’hui ? D’ici, on a un vrai sentiment de profusion.
Oui, c’est dément. Je crois connaître plus de monde faisant partie d’un groupe que l’inverse. Tout le monde est dans un groupe à South London et si ce n’est pas le cas, ils produisent ou essaient de monter un groupe.
Je me souviens avoir lu dans une interview qu’une bonne partie de l’argent que vous aviez gagné de Sony est partie dans la déco de votre première scène. A ce propos, quels sont les plans pour les concerts de 2020 ?
Nous allons explorer les thèmes de l’album, à savoir la mythologie gréco-romaine. On aura des amphores comme sur la pochette mais aussi des piliers et colonnes pour rappeler les bacchanales et orgies de l’époque.
Et vous passerez par Paris…
C’est toujours très fun de jouer ici parce que le public se lâche bien et c’est assez décomplexé. En tout cas pour le moment, j’aime bien ce moment où les gens lâchent prise et s’expriment pendant un concert.
Est-ce que vous êtes inspirés par des endroits en particulier ?
Londres m’inspire beaucoup, pour tout. Malgré la place financière que la ville peut être et la gentrification, Londres est toujours un endroit particulier. Il y règne toujours un anti-establishment et une culture underground et c’est génial d’y participer. L’album est d’ailleurs une représentation de tout ça et est très marqué par la ville. Je ne sais même pas comment c’est possible, vu comment la ville est chère et infectée par le néo-libéralisme.
Aujourd’hui, nous enregistrons dans nos chambres car nous n’avons pas d’argent. Les voix sont par exemple enregistrées dans nos placards et parfois les prises sont ruinées car on a le voisin d’à côté qui tape dans le mur à cause du bruit. « Pourquoi tu chantes de l’opéra !? » C’est fun et ça donne des limites. C’est important pour la création : lorsque tu n’as pas de limites de temps ou d’argent, tu es dépassé.
Vous collectionnez les genres musicaux : indie rock, opéra, cabaret. Quelle musique écoutez-vous ?
On regarde beaucoup d’animation japonaise : Jojo, One Punch Man, Evangelion Neon Genesis. On se retrouve donc à écouter la musique qui va avec et ça nous inspire car c’est assez dramatique et grandiloquent. En général en tournée, on essaie de ne pas trop écouter de musique. On reste concentrés mais surtout si tu es entouré par de la musique en permanence avec les balances, la première partie et ton concert, ça devient du bruit et c’est la pire chose qu’il puisse arriver à la musique. Ou alors on passe de la musique classique, quelque chose avec beaucoup de respiration.
Quelle est la dernière chose qui vous ait fait marrer ? En tournée, lors de l’enregistrement, en promo, ce que tu veux.
Ah, excellente question à poser. Merde, il se passe tellement de trucs drôles dans la vie du groupe que si le projet foire, j’aurais du bon matériel pour une série comique.
Fin 2018, nous étions en Allemagne pour un concert. Notre batteur Achilleas est catholique orthodoxe, très croyant. Notre guitariste Duke est lui athée et contre le christianisme. Nous étions pas loin d’Hamburg et nous sommes passés à côté d’une église. Duke s’est pris pour un espèce de prophète, est monté en haut de l’église et à dire des blasphèmes. Notre batteur l’a super mal pris, s’est énervé et a menacé d’appeler la police. Duke a continué à dire ses conneries et Achilleas a mis sa menace à exécution en appelant les flics. A la fin, il s’est rendu compte que c’était stupide d’appeler les flics pour ça mais dans l’état d’esprit dans lequel il était, ça lui paraissait logique. La police s’est plaint de se retrouver au milieu d’une dispute et est vite repartie. C’est sûrement l’histoire la plus ridicule qu’il nous ait arrivé.