Si vous aimez un tant soit peu la musique et que vous connaissez YouTube, il y a de fortes chances que vous connaissiez ces 4 lettres en caps lock : KEXP. Des sessions régulières de 30 minutes avec 4/5 morceaux, une interview rapide et une qualité sonore inégalée. Les artistes de toutes tailles s’y rendent régulièrement avec amour et générosité pour faire vibrer les murs de cette radio basée à Seattle. Interview à distance avec Cheryl Waters sur les coulisses de cette institution dont les mots découvertes et passion sont ancrés dans leur ADN.
Un petit cours d’histoire pour commencer.
Il est assez difficile de trouver des interviews sur KEXP en français alors pour poser le contexte, comment tout ça a démarré ?
Toutes les infos sont sur la page prévue à cet effet sur le site de la radio. En résumé, nous sommes nés le 14 juin 1972, date où nous avons eu notre licence radio et où nous étions diffusé sur le campus de l’université de Washington. Tout a démarré avec des étudiants avec un transmetteur. A partir de 1982, on a eu la possibilité de s’étendre au-delà du district de Washington et ainsi de suite avec les années. A partir de 2000, nous avons été les premiers au monde à être diffusé sur Internet en streaming 7j/7 et 24h/24 en offrant une qualité audio similaire à celle du CD. Très tôt, nous avons embrassé la technologie en essayant d’apporter de la nouveauté : des playlists en temps réel, la création de podcasts, un accès à nos archives audio en streaming et l’intégration de lives en vidéo dans notre studio. Ce qui nous amène aujourd’hui à avoir des milliers de vidéos en ligne et nous venons d’atteindre les 2 millions d’abonnés et quasiment le milliard de vidéos vues.
Pour le fun, on vous met la première vidéo live hébergée sur YouTube par KEXP.
Nous ne nous considérons plus vraiment comme une station de radio. Nous sommes très heureux d’avoir un signal radio et d’être diffusé mais maintenant, nous sommes une plate-forme multicanal de découvertes. Nous voulons que notre auditeur découvre son nouveau groupe préféré, que ce soit via le blog, une vidéo YouTube ou un de nos podcasts. Nous n’avons pas d’obligation à jouer les tubes du moment donc dès que l’on aime un titre, on le joue. Point.
Votre line-up est assez incroyable, vous arrivez très souvent à défricher des talents, avant même la sortie de leur album. Comment vous occupez-vous de la programmation ? Vous arrivez souvent à avoir les groupes très tôt, cela doit nécessiter du temps et un travail d’équipe.
Tout le monde ici est passionné par la musique et c’est notre mission de faire découvrir de nouvelles choses. En tant que station de radio, nous avons beaucoup de morceaux à programmer et cela nécessite un temps considérable d’identification et chaque membre de l’équipe y participe et a la possibilité de proposer ce qu’il souhaite. Nous avons un directeur artistique depuis plus de 30 ans et tous les jours, toute la journée il est le seul à avoir un bureau à lui pour écouter de la musique. Tous les autres sont en open space. Il passe ce qu’il considère comme la meilleure musique actuelle. Ensuite, chaque présentateur a sa couleur musicale préférée : pop, reggae, metal, soul, latino, world, etc… On doit avoir 16 ou 17 genres musicaux différents représentés dans les shows de notre programmation. La moitié de ce qu’on passe doit venir de ce process mais nous avons plus de 300 disques en rotation. Nous ne sommes pas focalisés sur les singles, nous ne jouons pas de titres du top 40 US. On a la liberté de jouer ce qu’on veut, on peut zapper ce qui ne nous intéresse pas et jouer n’importe morceau de l’album. Le DA nous propose également des extraits de critiques ou des morceaux qu’il a apprécié mais c’est au DJ de choisir.
J’ai personnellement de la musique tous les jours envoyée par les groupes, les labels, les promoteurs. Je ne peux pas écouter tout ce que je reçois mais j’essaie de prendre le temps pour un maximum et c’est la même chose pour les 40 autres DJs de la station. Avec toute la musique qui a pu passé dans les oreilles de nos animateurs, il y a des dizaines d’années d’expérience musicale avec des vies dédiées à la musique. Nous n’avons pas de playlists de radio, nous voulons vraiment que les gens découvrent leur nouveau groupe préféré sur KEXP mais nous faisons aussi des focus sur des groupes oubliés ou des classiques. On souhaite avoir un mix équilibré entre des choses populaires et d’autres qui le sont moins. Ce qui donne un mélange entre Prince, les Clash, Janelle Monaé et bien d’autres. Tout ça participe à la différence de KEXP et à notre culture où l’on essaie d’équilibrer entre nouveautés et influences du passé. Nos auditeurs nous attendent au tournant également, on échange beaucoup et pour eux, ils doivent vivre un véritable voyage musical. C’est ce qui explique pourquoi nous nous déplaçons en Islande ou en France pour enregistrer des concerts sur ces scènes européennes.
» Nous n’avons pas d’obligation à jouer les tubes du moment donc dès que l’on aime un titre, on le joue. Point. »
Une relation de confiance avant tout.
La qualité d’enregistrement de vos shows est toujours stupéfiante. On vit dans une époque où voir de la musique sur une TV ou un écran est assez rare, sortis des talks-shows US. Comment vous faîtes financièrement parlant et techniquement pour concurrencer ce type de show qui bénéficie de moyens plus conséquents ?
Je ne suis pas experte sur la partie technique mais il est important pour nous en tant que producteur de contenu de bénéficier d’un matériel à la pointe. Nous avons des transmetteurs radio nous permettant de diffuser en haute qualité à travers la radio mais nous devons aussi assurer la partie web. Nous avons un département ingénierie et production en charge de ça pour délivrer la meilleure qualité possible. Nous sommes une ONG fondée majoritairement par des dons de nos auditeurs et de certaines sociétés : nous ne passons pas de pub donc je ne sais pas exactement si nous bénéficions de la dernière techno à la pointe. Récemment, nous avons pu aussi avoir de nouveaux locaux qui nous permettent d’accueillir les groupes différemment et ça se ressent dans nos vidéos.
A travers les années, vous avez eu des invités généreux dans la fréquence et la qualité de leurs prestations : King Gizzard, Ty Segall, Father John Misty, Young Fathers pour en citer quelques-uns. On voit qu’ils sont contents d’être là pour chaque sortie d’album. J’ai donc cette question horrible pour toi : quelles sont les prestations les plus fun, épiques ou mémorables que tu aies pu voir ?
C’est trop difficile pour moi d’en choisir parmi ceux que j’ai pu voir. C’est drôle parmi ceux que tu as cité parce que nous étions parmi les premiers à les découvrir et nous souhaitions les mettre en avant auprès de nos auditeurs. Tout comme il est important pour nous d’établir des relations de qualité et de confiance avec notre public, nous faisons de même avec les artistes. C’est très important pour nous de les suivre. A chaque fois que Ty Segall, FJM ou King Gizzard vient, c’est spécial. La première fois avec eux, je ne les avais jamais vu en live avant de les voir ici. La même chose pour London Grammar, Daughter, HAELOS où je retenais ma respiration en assistant à leurs performances. Je me souviens de cette première fois, de l’excitation, des frissons.
Encore plus à ta place où tu es la seule à partager le studio pendant le live !
C’est un vrai privilège d’avoir leur confiance. Les gens nous considèrent comme un interlocuteur de confiance et nous faisons très attention à la qualité de ce que nous proposons. C’est pourquoi nous sommes différents des services de streaming, il y a toujours quelqu’un qui décide ce que l’on va diffuser.
Est-ce que tu peux m’en dire plus sur les vidéos que vous avez faite pour Iceland Airwaves et les Transmusicales de Rennes ? Est-ce qu’il y a d’autres lieux prévus, comme le Levitation en France ?
Nous avons commencé à nous déplacer en 2004 à New York avec le CMJ. L’expérience a marché donc nous avions de suite envie d’aller à l’international. Il y a 10 ans, on a démarré par Iceland Airwaves. Notre Chief Content Officer avait voyagé là-bas et il a ramené des tonnes de musique. Si certains groupes ont pu voyager jusqu’ici, on s’est dit que c’était à nous de venir pour ceux qui n’ont pas encore de tournée prévue aux États-Unis. Ça a été un carton. La scène musicale là-bas est incroyable et nous voudrions en faire plus ailleurs dans le monde si nous le pouvons. Nous sommes allés aussi a Mexico, Londres ou à Rennes mais nous ne pouvons pas voyager trop car nous souhaitons aussi mettre en avant notre scène locale. L’idée est de ramener un aperçu des festivals où nous allons, de leur communauté et je pense que nous y parvenons. Nous retournerons à Iceland Airwaves en novembre prochain et pour le moment, rien d’autre n’est prévu cette année.
Des vues par centaines de millions.
On a parlé plus tôt du succès de votre chaîne YouTube. Avez-vous vu votre popularité augmenter suite à la mise en ligne des vidéos ? Est-ce que ça a eu un impact sur l’audience radio ? Quelles sont les prochaines étapes : l’ouverture d’un autre bureau en dehors de Seattle, etc ?
Nous sommes toujours en train de réfléchir à la prochaine étape pour expérimenter la musique. L’ouverture d’un autre bureau n’est pas envisagé pour le moment et je ne pense pas que nous devons le faire car nous sommes mondialement visible aujourd’hui. Seattle est notre maison et nous en sommes fiers. On peut faire beaucoup de choses d’ici entre l’audio, la vidéo et les podcasts : les possibilités nous paraissent déjà quasi illimitées.
Cela peut aussi être un festival KEXP avec vos découvertes à l’échelle de Seattle…
On ne sait jamais, bien qu’il y a déjà beaucoup de festivals. (rires)
Dernière question : cela fait combien de temps que tu es à KEXP et comment ça a commencé pour toi ?
Je viens de fêter mes 25 ans ici. J’ai commencé de nuit comme animatrice bénévole et j’ai fait 2 nuits par semaines pendant de longues années. J’en suis tombé amoureuse, je ne pouvais pas m’arrêter et je répondais favorablement à un show dès que je le pouvais. J’ai aussi aidé à la promotion de la radio. On m’a proposé un job à mi-temps en 1997 puis un plein temps 2 ans plus tard. En 2005, j’ai commencé l’après-midi 5 jours par semaine. Je m’occupe également aujourd’hui de l’organisation des lives : je les trouve et booke en fonction de ce que nous jouons en radio et des nouveautés que nous identifions entre temps. Je fais ça en dehors de mon temps d’antenne et nous avons 3 à 400 shows lives par an à Seattle.
» On peut faire beaucoup de choses d’ici entre l’audio, la vidéo et les podcasts : les possibilités nous paraissent déjà quasi illimitées. «