C’est via Skype que nous discutons avec l’adorable Teri Gender Bender de Le Butcherettes. Visage et voix d’un groupe mutant dans sa formation, elle nous parle en pleine tournée à Los Angeles de son dernier disque, bi/MENTAL.
Salut, Je suis très content de te parler car je t’ai vu plusieurs fois via At The Drive In ou Antemasque à Paris, en tête d’affiche ou en support. Voire même en albums via les solos d’Omar Rodriguez-Lopez et Bosnian Rainbows, donc on a des choses à se dire.
Il est 9h30, je suis au café et à Los Angeles. Je m’excuse, ça en fait de la patience de m’entendre autant ! C’était comme aller à l’école, garder l’esprit au travail. Les albums d’Omar, c’était comme aller au magasins de bonbons. Chanter tous ces trucs que j’ai écrit et qu’il me fasse confiance avec sa musique, c’est super qu’il m’ait donné la chance de tout ruiner.
Vous avez une tournée en cours, non ?
Oui, tout se passe bien. Il y a eu un peu de neige, on a du annuler un show à Seattle par exemple parce que c’était dangereux pour les gens de venir avec une tempête de dingue jamais vue. Nous ne sommes pas habitués à un temps aussi froid.
Maintenant que le point météo est fait, je voulais parler de l’album que j’ai depuis quelques mois. Pour moi, bi/MENTAL est le disque qui résume au mieux votre folie, votre style et une orientation plus cadrée et solide d’un point de vue sonore et interprétation. Qu’en penses tu de ce quatrième disque ?
Merci beaucoup, c’est ce que les artistes ont envie d’entendre. Que leur travail avec le temps puisse être un exemple de résumé de leurs travaux passés. J’avais envie de retravailler le son, d’être en contradiction sur cet album qui représente un combat contre la mère, à proprement parler. C’était une période de ma vie violente sur laquelle je voulais revenir, quelque chose dénué d’écoute et il était important pour moi d’en faire quelque chose de beau et de repartir à zéro. J’ai beaucoup apprécié le travail effectué par les autres, comme Jerry à la production et Manfred à la basse qui déchire tout.
Plus d’Omar dans la pièce.
Première fois que vous attaquez la production sans Omar et vous intégrez 2 nouveaux membres de la famille Rodriguez-Lopez. Qu’a fait l’ajout de sang neuf : ça s’est fait naturellement ou c’était un renouveau nécessaire ?
Plutôt naturel, oui. J’avais une idée de l’album et je voulais que Manfred en fasse partie à la basse. J’aime bien son jeu, notamment sur Antemasque que l’on a accompagné en tournée longtemps. Les étoiles se sont alignées et tout le monde avait le temps de s’impliquer. Ça me donne l’impression qu’il est là depuis longtemps car on a l’habitude de se croiser tout le monde via différents projets.
Qui s’occupe de vos pochettes à et de vos clips ? Quelle attention portez-vous à votre univers visuel très cohérente d’un album de l’autre ?
Nous essayons de faire en sorte d’être impliqué dans tout. Nous avons toujours travaillé étroitement avec les artistes inclus dans les clips et pochettes. C’est important pour nous d’être heureux du résultat final. On réalise que l’engagement avec le public est différent aujourd’hui. L’idée est de faire comprendre que nous n’essayons pas de vendre quelque chose mais que nous prenons plaisir à proposer quelque chose de complet et c’est primordial pour nous que le premier contact avec le groupe soit de notre ressort. On se casse aussi la tête sur l’ordre de la tracklist et l’équilibre de l’album entier lors d’une écoute complète. On veut que l’expérience soit aussi physique, c’est aussi pour ça que nous sommes très contents que les gens rachètent des vinyles.
A la prod avec Jerry Harrison des Talking Heads, tu as eu l’occasion de travailler avec une de tes icônes ?
Oui, j’étais flatté et étonné qu’il ait le temps et l’humilité de pouvoir travailler avec nous. Autant pour la production que pour les instruments où il a joué des parties de piano, de xylophone. Il a vraiment mis du coeur à l’ouvrage et j’avais besoin au-delà d’un avis de producteur, d’un avis de musicien. Il m’a aussi apporté l’importance des ponts : j’avais pour habitude de ne pas en avoir dans mes démos. Avec mes influences punk rock, je zappais et ça permet maintenant d’avoir une histoire plus longue et plus construite à raconter. Comparativement à Omar qui est plus sur l’instinct, Jerry se base sur la technique et l’écriture plus classique en changeant un accord ou en demandant une note plus haute. Ce qui n’est pas un mal considérant que je n’avais pas cette habitude et cette fois, j’avais aussi plus de temps. Cela m’a même donné du temps pour m’organiser avec un vrai rétro-planning : de la pré-prod, au choix des chansons à la post-prod. J’ai même des titres pour d’autres projets potentiellement. Ça nous a permis d’ajouter les featurings pour apporter des protagonistes différents à cette histoire et construire cette chose, los protagonistas… (elle commence à parler espagnol et part dans un rire de sorcière dont elle a le secret)
En termes de composition, quel est le process : assez collaboratif ou vous êtes à la tête du son du groupe ? De l’extérieur, ça a l’air très centré sur toi.
C’est un peu des deux. Ils aident à traduire ce que j’ai dans la tête et ensuite, construisent autour en fonction de ce qu’ils interprètent et ce qu’ils veulent explorer. Ca ouvre aussi une brèche pour le prochain album où j’ai envie d’être plus collaborative, plus proche d’un jam.
Votre précédent disque, A Raw Youth, évoquait votre jeunesse. En termes de thèmes, le disque est centré autour de la bipolarité, les problèmes de santé mentale de ta mère dont le communiqué de presse parle. Comment vous avez attaqué le retour en studio car je suppose que c’est un sujet délicat à aborder pour toi…
C’est délicat et aussi embarrassant car c’est ma vie. Cela me faisait flipper pendant toutes ces années. C’est mon expérience aussi en tant qu’artiste : de se découvrir, comprendre ce qui est normal ou non. De vivre dans une famille compliquée où il y a des bagarres, où ta mère est malade mentalement. C’est difficile de se construire en tant que femme, en termes de confiance en soi, d’alimentation. Lorsque j’étais en train d’écrire l’album, j’ai mis du temps avant de me rendre compte de ce que j’abordais. J’ai eu une sorte de déclic à un moment qui me rappelait des épisodes de ma vie où ma mère me courrait après avec un couteau à l’âge de 15 ans. A cette époque, je comprenais rien, je croyais que j’étais fautive et je me demandais ce que j’avais fait. Surtout que le lendemain, elle avait complètement oublié et me demandait comment j’allais tout en me préparant le petit déjeuner. Mes amies avaient aussi des familles dysfonctionnelles dans ce genre donc ça me permettait de relativiser un minimum.
Aujourd’hui, j’essaie de porter ça avec fierté. De toute façon, nous allons tous mourir donc mieux vaut en faire quelque chose…🤣
La mélodie du temps qui passe.
Ça me rappelle l’une des paroles de QOTSA sur le dernier disque où il dit en gros que la vie est dure car personne n’en est jamais sortie vivant. Vous vous sentez plus à l’aise avec les années qui passent. Comment vous voyez votre évolution avec le temps en 12 ans et quel regard posez vous sur vos débuts ?
Oh, j’espère que je suis une meilleure chanteuse. Je suis maintenant plus consciente de ça. Quand t’es jeune, tu ne fais gaffe à rien, gueule comme un putois pour atteindre une note et le lendemain, tu ne t’en souviens plus. Je vais avoir 30 ans en mai prochain et mes genoux couinent. Alejandra a mal au dos, les autres essaient de souffrir en silence. Maintenant, j’essaie de faire plus attention à mon corps et de faire attention à notre manière de jouer plus. C’est ce que je pense quand je réfléchis à Led Zeppelin, King Crimson et à ce genre de groupes qui ont réussis à rester dans le temps. Au début, le groupe c’était moi, un batteur et beaucoup d’efforts physiques. Mais tu ne peux pas faire ça toute ta vie.
Vous êtes habitué aux feats avec Alice Bag, Iggy Pop, Henry Rollins, Shirley Manson. Doux hasard ou vous voulez vraiment faire rentrer des invités de choix dans votre univers à chaque disque ?
Honnêtement, c’est un honneur pour sûr. Qu’ils prennent le temps de venir sur nos albums et de s’adapter à nous. C’est la même chose dans le sens inverse où j’ai le challenge de devoir relever ce défi. Je ne sais pas comment ils le prennent mais c’est comme ça que je le vois. Je trouve ça toujours flippant de sortir de sa coquille. Jello en feat sur le premier titre nous a vu en se pointant tôt à un concert d’Iggy Pop et a voulu nous rencontrer. Iggy nous a découvert lors d’un show à Los Angeles. Pour Alice Bag, l’album était quasi bouclé et on a eu l’opportunité de la faire chanter. C’est comme si la vie te disait : hé, regarde ça peut se passer ! Je me suis donc retrouvé à la moitié de l’enregistrement à présenter un Q&A avec Alice Bag pour parler avec elle sur sa vie, son oeuvre, ses échecs… On est devenues amies et je lui ai demandé de venir pour une collaboration. Sans ça, je ne lui aurais jamais demandé. Elle ne me connaissait pas, je serais passé pour une perv’.
Peux tu m’en dire plus sur la/SANDIA ? C’est toi qui chante ? Ta voix est difficile à reconnaître et j’ai cherché plusieurs fois le featuring.
C’est La Ferte, elle a tout déchiré. Elle a fait ça en quelques prises. Cette chanson, c’est l’histoire d’un kidnapping d’une femme enceinte qui devient éprise de son ravisseur. C’est basé sur une histoire vraie. Elle est venue en plein milieu d’une tournée enregistrer le morceau en voyageant plusieurs heures de Chihuahua à El Paso.
Tu as une interprétation très théâtrale dans ton chant. Comment les autres arts tels que le cinéma nourrissent ta musique ?
Définitivement. Quand j’étais petite, mon père écoutait du ballet en boucle quand il était de bonne humeur. De l’opéra, du Queen, Janis Joplin. Ma mère était actrice quand elle était plus jeune. Elle a toujours été assez visible dans une pièce et a une manière particulière d’occuper l’espace. C’est drôle comment les gènes peuvent jouer et influencer ton propre parcours.
L’an passé, je t’ai vu en première partie de ATDI et DFA. Comme d’habitude tu as slammé dans la foule et je me souviens que tu es quasiment tombé sur ma tête . Des blessures ou autres fails à raconter ?
Tellement, je touche du bois mais rien de grave. Je dois avoir un ange gardien car je n’ai jamais rien cassé. Je dois faire attention maintenant en vieillissant, à moi et au public. Je n’ai pas envie de me retrouver attaqué légalement. Après à Paris ou au Mexique, il y a un esprit punk où le public s’en branle si tu lui pètes le nez ! 😅
Laissons parler les gens
Je me souviens qu’à la réformation d’At The Drive In, il y avait la rumeur d’un disque de Bosnian Rainbows entièrement en espagnol. Vrai ou faux ?
La rumeur est correcte. Nous avons plus de 20 chansons, dont la moitié en espagnol. On les laisse au placard pour le moment et on aimerait faire ça bien et tourner dessus d’ailleurs. Tous ses mecs sont bien occupés entre des tournées et des bandes sons pour le cinéma donc ça va prendre un peu de temps.
C’est pareil pour le fameux second disque d’Antemasque qui dort depuis 2 ans, non ?
Oh oui putain, cet album est incroyable. Travis Barker à la batterie, je te tease juste.
Envoie-moi un lien, je dirais rien !
Je te l’envoie mentalement, j’espère que tu l’entendras. 😉
Je vais manquer votre passage à Paris, je serais en voyage à New-York. On peut espérer un passage en festival ?
Je sais que nous avons un festival en France entre la fin juin et la fin juillet. C’est la première fois que ça nous arrive donc ça me fait flipper et ça m’excite.
Ça me fait plaisir de l’entendre, c’est toujours une expérience. Quel est ton dernier coup de cœur musical ?
Il s’avère que j’écoute beaucoup le dernier album d’Ariana Grande, Thank You Next. Holy Fuck ! La production, les couches, sa voix, je dois vraiment regarder qui a fait ça, le songwriting. Je suis putain de jalouse. Je suis mono-maniaque sur les écoutes de disques donc je n’écoute que ça.
Sinon, c’est Blood Orange, Erykah Badu, Kendrick Lamar. Ce qui se passe globalement en R’n’B, je dois dire qu’en termes de production ils sont actuellement au-dessus et ça inspire à passer un niveau et à se poser des questions sur la manière dont ils sont arrivés à ce résultat.
C’est drôle car les gens qui vous écoutent doivent se dire que tu écoutes des trucs très énervés. Je me rappelle que sur Wrecking Ball de Miley Cyrus que tu reprends en live, tu t’étonnais sur les 6 personnes impliquées. J’ai cette autre question que je pose toujours : Quel anecdote ou aventure de tournée t’a fait marrer avec le groupe ?
La dernière fois, nous devions nous arrêter à la pharmacie pour Alejandra. On était garés sur le parking et nous avons changé de place pendant qu’elle était à l’intérieur. Dès qu’elle est sortie, nous avons commencé à klaxonner jusqu’à ce qu’elle nous trouve. Elle a mis des plombes à nous trouver et elle était honteuse. Les mecs du groupe l’ont filmé pendant ce temps-là pour voir sa tête. C’était infantile, elle n’a pas kiffé mais ça nous a fait marrer.
Je suis à court de questions mais j’aimerais ajouter que je n’étais pas un grand fan de A Raw Youth. En écoutant respectivement ta discographie, je me suis retrouvé à apprécier ce disque que je trouvais soft et je trouve que bi/MENTAL fait un pont qui permet de mieux le comprendre. Cela ne m’arrive pas souvent d’avoir ce genre de retour sur impression et je ne m’y attendais pas sur ce disque.
Merci beaucoup. Il n’y a aucun problème par rapport à ça, c’est étonnant de voir comment on peut réagir avec le temps sur un disque.
C’est peut-être l’âge qui change mon avis.
Non, assez avec l’âge. On doit juste boire de l’eau et rester hydraté.
Ou boire autre chose de l’eau et s’hydrater. Merci beaucoup pour ton temps. Passe le bonjour à Omar et à toute cette famille : ATDI, TMV, Antemasque et Bosnian Rainbows. C’est grâce à ces génies que j’ai connu ton groupe. Santé à eux et dis aussi. Et les petits jumeaux de Cédric sont adorables.
Ce sont des gens adorables également, ils nous ont ouvert beaucoup de portes, je leur ferais passer le message et les petits grandissent si vites.