Déjà 10 ans pour le premier EP des Preoccupations. Les ex Viet Cong déboulent avec Arrangements le 16 Septembre : un retour aux guitares et un disque enregistré en deux temps. Avant et après la pandémie. Rencontre avec Matt Fleberg, chanteur et guitariste du groupe.
C’était particulier de composer et d’enregistrer Arrangements en deux temps, non ?
Quand on regarde en arrière, on peut se demander ce qu’on a fait depuis 2018. Mais il s’avère qu’il y avait des circonstances atténuantes puisque le monde s’est complètement arrêté. On a commencé à enregistrer en 2019. Puis après on est partis en vacances et on était censés terminer le disque, y ajouter des voix et c’est là que tout s’est arrêté. On se disait que ça n’allait pas durer indéfiniment puis au bout de six mois, je me suis dit que j’allais le terminer par moi-même.
Je me suis donc démerdé pour récupérer les pistes et faire avec le micro que j’ai chez moi et mes quelques compresseurs. Au final, ça a été un processus assez rapide, plus que ce qu’on a fait par le passé.
C’est aussi la première fois que vous avez du composer à distance ?
Oui, heureusement ce n’était que pour les voix et l’écriture. Je ne me vois pas enregistrer les autres enregistrements à distance. Ce qui est cool aussi, c’est que nous n’avions pas de délai particulier. Cela nous a permis d’avoir à la fois le recul et le temps nécessaire.
‘Ricochet’ et ‘Death of Melody’ sont les deux singles. Peux-tu me dire pourquoi vous les avez choisi ?
‘Ricochet’ était la plus dynamique du disque et un bon retour des riffs de guitares après un virage vers les synthés sur le disque précédent. Alors que ‘Death of Melody’ montrait un autre aspect du disque qui est plus shoegaze.
Les paroles de Ricochet sont assez apocalyptiques avec la mention de centres commerciaux abandonnés, de jours de plus en plus secs et chauds et des dernières gouttes d’eau qui s’évaporent. Un univers assez contemporain et proche de l’été qui vient de se dérouler. Quelles sont tes sources d’inspirations ?
C’est drôle. J’ai toujours écrit à propos des mêmes thèmes : l’isolation, la fin du monde. Mais visiblement cette fois c’est devenu plus pertinent. Non pas que je sois un prophète mais tout ce que j’ai écrit l’a été avant la pandémie. Les réapprendre pour les jouer live, je me rends compte que je parle de porter un masque.
J’espère que tout ce que j’ai écrit ne va pas se passer pour de vrai parce que sinon on est foutus !
Ça me rappelle le morceau Processed by The Boys de Protomartyr où Joe Casey a été aussi qualifié de prophétique puisqu’il y parlait d’un virus venu d’ailleurs…
C’est sûr : tout est sa faute, il a tout écrit !
Après avoir tout enregistré par vous-même, vous avez bossé avec Graham Walsh d’Holy Fuck pour le mix et Mikey Young de Total Control pour le mastering. Comment vous vous êtes entourés ?
Ça a été facile. On a travaillé avec Graham sur tout à part le dernier album. Il est capable de ranger ce qu’on lui envoie et de trier. Il n’a pas peur de nous dire quand ça ne marche pas. Il a un studio cool, il sait ajouter les effets et sons qu’on apprécie. Pour une fois, on a su lui donner quelque chose de plus ordonné.
Pour Mikey, il est hilarant. Tu as un million de possibilités pour le mastering de ton disque. On lui a envoyé l’album et deux jours plus tard il avait fini en nous demandant une somme dérisoire. On n’avait absolument rien à toucher et on aurait pu payer 20 fois le prix en passant par quelq’un d’autre sans avoir le même résultat. Il n’en a rien à foutre, il mixe les disques qu’il veut et qu’il aime. Ce qui est drôle aussi, c’est qu’on ne s’est même jamais vu puisqu’il est en banlieue de Melbourne.
Arrangements brasse un certain nombre d’ambiances en peu de temps. Le titre Advisor ressort de la tracklist car construit en deux temps et qui résume un peu les différentes influences du disque. Peux-tu m’en dire plus sur sa construction ?
C’est évidemment deux chansons que nous avons rassemblées. On était en train de jammer puis à un moment on s’est dit que ce serait bien d’avoir ce titre qui mélange un morceau rock standard et une intro plutôt drone portée par des synthés. L’influence de morceaux construits à partir de 3 accords, comme Spacemen 3 que j’écoutais beaucoup à ce moment-là. J’avais aussi envie d’utiliser des micros qui te donnent la sensation d’être dans la pièce avec nous. Comme une mouche sur le mur. Notre ami Rashad y a ajouté une couche supplémentaire en jouant du violoncelle pour ce titre et quelques autres.
Vous avez l’habitude de faire des albums compris entre 7 et 9 morceaux. Une tendance assez proche des disques qu’on pouvait retrouver dans les disques de rock des années 70. Comme les premiers solos d’Iggy Pop par exemple. C’est un vrai souhait ou une pure coïncidence ?
C’est une coïncidence mais en fait, on pense à chaque fois aux deux faces d’un vinyle lorsqu’on va enregistrer un album. La même logique que pour les cassettes, qui était le format que j’écoutais quand j’étais petit et qui a donné le nom de notre premier EP. Pour garantir un son optimal en vinyle, il faut être sous les 40 minutes donc on arrive à la fin à ce genre de durée.
La pochette du disque change radicalement des précédentes avec une photo qui mélange vos visages. Comment vous en êtes arrivés à ce résultat ?
C’était intentionnel. On n’avait jamais été sur la pochette de nos disques et on s’est dit que c’était peut-être le moment. On a travaillé avec le photographe Eric Tanner qui a fait une quadruple exposition. La manière dont il a mixé les photos te permet te voir un membre différent sur la photo en fonction de l’angle ou de l’attention que tu y portes. Ce qui est assez cohérent avec le son de l’album puisque tu entends la basse, la batterie, les guitares ou ma voix sortir d’un coup : c’’était donc le parfait alignement des planètes. Puis au quatrième album, il était temps qu’on montre nos têtes !
Récemment avec Alex Edkins de METZ, on discutait de la profusion qualité de la scène canadienne et nord-américaine de ses dix dernières années dont vous faites partie. Quel est ton avis de l’intérieur ?
J’étais au premier concert de METZ lorsqu’ils ont joué à Toronto du côté de Kensington Market. Je me rappelle avoir été complétement soufflé. Je connais leur bassiste Chris depuis toujours puisqu’avant il était promoteur et organisait tous nos concerts à Toronto. Il jouait aussi dans des groupes émos. C’est drôle parce que nous jouons tous des musiques assez anguleuses et particulières et on est tous passés par des phases. Cela a été populaire à un moment, ensuite tu avais l’impression que tous les concerts se résumaient à un mec avec un ordi. Puis, c’est revenu : les guitares sont à nouveau cools, les jeunes découvrent tous les groupes de post-punk du moment. IDLES et Fontaines DC sont en train d’exploser et cela me donne envie de jouer à nouveau. C’est logique dans un sens : quand tu as été enfermé dans ton appart pendant deux ans et que tu sors enfin de chez toi pour aller à un concert, tu n’as pas envie de voir quelqu’un devant un ordi. Tu as été toi-même devant ton ordi pendant deux ans !
A propos des concerts, comment vous préparez les futures setlists ?
C’est la reprise : c’était notre premier concert en 9 mois au festival Canela Party à Malaga le week-end dernier ! On a joué devant 7 000 personnes et je n’aurais pas dit que c’était la meilleure option pour redémarrer mais ça l’a fait. On a joué quatre nouveaux morceaux et 2/3 de chaque disque. Nous avons besoin de travailler le set pour trouver le bon flow, on essaie de s’adapter en fonction de la réaction du public aussi lorsqu’on joue en salles. Eviter de jouer trop long car tout le monde n’a pas forcément envie de s’en prendre plein la gueule pendant une heure et quart.
Vous finissez toujours avec Death ? Ca peut être fatigant de finir toujours avec la même chanson pour autant d’années, non ?
Justement, on avait fait une tournée en co-headline avec METZ fin 2021 et on a décidé de la mettre de côté après ça. On l’a fera peut-être à nouveau dans un format plus condensé au lieu de faire une version jammée de 22 minutes comme on peut faire. (rires)
Comment s’était fait le split EP que vous avez fait avec Protomartyr ?
A un moment, on se croisait tellement sur la route qu’on est devenus amis et on s’est dit qu’on devait faire une tournée ensemble. On s’entend bien musicalement mais aussi personnellement. Par exemple, je vois très régulièrement leur batteur Alex qui vit aussi à Brooklyn. Cet EP s’est fait dans un esprit de compétition : faites une cover d’un de nos morceaux, on fait la même chose et on verra celle qui sonne le mieux !
Quelle est la dernière chose qui vous ait fait marrer en tant que groupe ?
Regarder notre guitariste Danny dans un festival est toujours hilarant. Il rebondit dans tous les sens, dit bonjour à tout le monde et fait tout et n’importe quoi. Même dans le van, il a toujours des vannes à la con. On a un sens de l’humour assez sombre sinon, je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’avoir aucune de ces blagues à l’écrit. (rires)