5 kilos pour 36 ans de carrière, il fallait bien ça pour un livre qui retrace les aventures de Richard Bellia. Depuis 1980, ce photographe passionné de musique a trainé son argentique sur de nombreuses scènes et photographié la plupart des pointures rock des dernières décennies : The Cure, Nirvana, Iggy Pop, David Bowie et bien d’autres. Une interview garantie sans langue de bois.
Tu viens de publier Un œil sur la musique, comment t’est venue l’idée de sortir ce livre contenant 35 ans d’archives ?
Après toutes ces années, je dirai que c’était dans l’ordre des choses de sortir un livre mais je voulais que ce soit un projet fun. Pour ça, il fallait qu’il soit imposant. Je suis donc parti sur l’idée d’un livre de 5 kilos en me disant que cela aurait une allure incroyable. Il fallait cependant de la matière pour le remplir, j’ai donc décidé de représenter différents courants musicaux via les représentants du genre, comme Nirvana pour le Grunge avant de l’élargir à une famille de musiciens.
Si on reprend l’histoire au début, pourquoi as-tu décidé d’orienter ton activité vers la photographie musicale ?
Pour être honnête, j’aime d’abord la musique, l’intérêt pour la photo est venu plus tardivement. Faire photos me donnait surtout l’occasion d’aller à des concerts, de rencontrer des artistes. La photographie crée du lien avec les autres, on peut retrouver un mec un an après une séance et se dire « tiens tu te souviens la photo qu’on a faite » et le contact est tout de suite réactivé. C’est ce qui m’a motivé au départ.
Comment as-tu vécu la période du passage de l’argentique au numérique ?
Il y a un peu plus de 10 ans, j ‘ai acheté un appareil numérique que j’ai gardé environ 2 ans. A une époque, ça m’a intéressé notamment dans les contextes peu lumineux. Je me suis mis à rêver de toutes les photos que je ne pouvais pas faire avant et qui devenaient possibles. Les numériques fonctionnent très bien en basses lumières mais deviennent merdiques dès qu’il y en a beaucoup. Mais je me suis rendu compte que cela ne me convenait pas lorsque j’ai voulu aller au bout du process, c’est-à dire tenir un bout de papier dans les mains. Là, le résultat n’était vraiment pas satisfaisant. J’ai réalisé qu’on perdait énormément en passant au numérique : la qualité, le charme, le rendu, et surtout on ne sait plus faire rien de ses dix doigts.
As-tu le sentiment que le numérique a appauvri la valeur de photographie ?
A mort ! Il n’y a d’ailleurs pas de grands photographes qui émergent depuis le début des années 2000. On leur donne tous la même chance, le même matériel qui coûte super cher et » Démerdez-vous ! ». Il n’y a plus de noms de référence à citer, que ce soit dans la musique, l’architecture, les portraitistes. Et n’oublions pas que le numérique produit des images retouchées et non des photographies.
Selon toi, quel est l’atout de la photo argentique en live ?
Premièrement, c’est toujours plus beau en argentique. On peut décider de la sensibilité de la pellicule, elle peut être en 400 sur le papier et on la pousse à 1600 avant de compenser la sous-exposition en la sur développant pour récupérer un grain magnifique. Avec une pellicule, on gagne beaucoup d’informations dans les basses et les hautes lumières, elle est infiniment supérieure au numérique sur ce point.
« J’ai réalisé qu’on perdait énormément en passant au numérique. »
Comment réagis-tu aux exigences de certains artistes en live ?
Je pense que les personnes qui utilisent un numérique ne doivent pas se plaindre des artistes car ils font des images retouchées par des logiciels et non des photos. Partant de cet argument, les artistes pourraient leur refuser des pass photos donc ils devraient commencer par dire merci. Les « photographes numériques » qui râlent parce qu’ils ne peuvent pas faire leur travail, devraient s’écouter parler, ils se rendraient alors compte qu’ils prennent ça pour un travail. On peut les retoquer là-dessus.
Des musiciens qui ne veulent pas être photographiés, j’en ai vu pleins mais ils font souvent une musique atroce donc ce n’est pas une grande perte. En tout cas, il n’y a pas davantage de restrictions aujourd’hui qu’il n’y en avait avant.
D’un point de vue plus économique, comment dégage-t-on des revenus en faisant de la photographie musicale en 2016 ? Tu as notamment un partenariat avec YellowKorner.
YellowKorner m’a appelé il y a 3-4 ans, mais j’ai arrêté avec eux au printemps. Ce n’est pas la chose dont je suis le plus fier même si je suis reconnaissant des revenus que cela m’a apporté.
Je n’ai pas d’autres métiers en parallèle, je ne demande pas d’aides, je gagne uniquement ma vie avec mes photos. Cela ne me rend pas riche, je vis très simplement mais je suis hyper fier de ne faire que ça. Ceux qui me font travailler sont des musiciens, des personnes qui achètent mes photos, je fais quelques expositions. Je fais pas mal de procès aussi quand on me vole mes photos, je les ai tous gagné depuis 30 ans. Et on me propose des projets auxquels je n’aurai jamais pensé. J’ai fait une chambre d’artiste dans un hôtel en Angleterre. Je viens de finir une installation à Lille dans un hôtel de luxe qui propose maintenant une suite Richard Bellia. Le livre a aussi pour vocation de m’apporter de la visibilité pour que de nouveaux artistes acceptent que je les prenne en photo, qu’on me propose des expos, etc.
« Les artistes n’ont pas d’avantages d’exigences aujourd’hui qu’auparavant. »
La photographie dans le secteur musical est bien plus ouverte qu’auparavant, il n’ya plus seulement des « professionnels ». Comment vois-tu cette cohabitation, en conditions live notamment ?
Quand je fais des photos, il n’y a personne à côté de moi, je reste dans mon coin. Je ne considère pas que la plupart de ces personnes font de la photographie, si c’était le cas ils n’achèteraient pas des appareils aussi chers. Ils claquent 4000 euros dans un boitier ! Quand j’ai commencé, on n’aurait jamais mis ce prix-là dans un appareil. C’était le prix d’une voiture pour nos parents ! Ils se font juste rincé par des multinationales, c’est un énorme gâchis.
Je ne leur en veux pas mais ils perdent leur temps. Un jour, ils en auront marre de ne rien avoir entre les mains. Ils mourront et ils n’auront qu’un cloud à transmettre à leurs enfants et s’ils arrêtent de payer, ils perdront tout. Et puis, tu vas au Hellfest ou aux Vieilles Charrues et tu tombes sur des centaines de mecs avec la même tête, le même matos, totalement interchangeables. Je suis vraiment navré pour eux au fond quand je vois le temps et l’argent qu’ils perdent.
Quel conseil donnerais-tu à un jeune photographe qui voudrait se lancer ?
Je lui conseillerais de préférer les focales fixes aux zooms parce qu’elles ouvrent mieux. Je lui conseillerais aussi de ne pas choisir un appareil photo mais plutôt des optiques, l’élément qui prend de bonnes photos. Et aussi d’arrêter de mettre des bouchons sur les optiques, ça ne sert à rien. Mettre un bouchon sur ses optiques, c’est aussi con que de couper le gaz avant de sortir acheter du pain. Si on s’intéresse un minimum à l’optique, on comprend qu’ils sont inutiles.
Aujourd’hui, quels sont les photographes musicaux que tu suis ?
Mon copain Mehdi Benkler, dont je suis fan. Il a 26 ans maintenant, il en avait 19 quand il m’a contacté en me disant qu’il faisait de la photographie de concert. Il utilisait le même matériel que moi ! Il est maintenant photographe officiel de Montreux, il gagne sa vie, c’est génial. Charles Pietri qui est mon assistant, responsable d’édition sur mon bouquin, il est aussi super fort. J’aime beaucoup Steeve Gullic en Angleterre, et Renan Peron également.
En 35 ans, tu as aussi été témoin de l’évolution du rock, de la scène. Quels sont tes regrets ?
Les consoles numériques et les lampes LED sont les deux choses qui me saoulent en 2016. Les LED coûtent moins cher, elles ne cassent pas mais sont hyper moches, très froides et ne font pas de blanc, on a perdu cette couleur sur scène. Et c’est tellement pas glamour ! La numérisation du son, c’est pareil. Maintenant, le son a moins d’attaque, on n’entend pas le solo du guitariste. Tout est uniformisé. Mais ça reviendra et les jeunes qui remettront tout ça en place, nous prendront pour des baltringues.