Le trio toulousain de Slift revient avec un nouvel album nommé ILLION disponible le 26 janvier chez Sub Pop. Nous sommes revenus avec Jean, au chant et à la guitare sur les aventures de sa composition.
C’est le premier album que vous sortez chez Sub Pop et votre première sortie depuis le succès d’UMMON en 2020. Quel était le contexte dans lequel vous étiez avant de vous mettre à composer ILLION ?
UMMON était sorti juste avant le premier confinement. On a juste eu quelques concerts pour le défendre et ensuite, on a été confiné. On s’est donc mis à bosser sur ILLION en ayant nos premières idées dès 2020. On a voulu se donner un cap pour le prochain disque et au-delà de ça, on avait des idées qu’on voulait développer. On ne voulait pas se répéter et évoluer dans notre jeu. On ne s’est pas mis de barrières et on a expérimenté pas mal de nouvelles choses.
Pour la composition, vous fonctionnez comment ?
J’amène souvent un espèce de squelette global, une mélodie, un thème ou une structure de morceau sur laquelle on va jammer avec Canek et Rémi. Souvent, on les joue en concert et on modifie petit à petit. Il y a des allers-retours et on arrive à la version studio. Ca nous arrive aussi d’avoir des morceaux qui sont issus de jams, notamment pour les nouveaux morceaux sur lesquels on travaille actuellement.
Vous vous êtes faits plaisir sur la durée des morceaux sur ce deuxième album, où L’on dépasse régulièrement les 10 minutes par titre. C’est une chose que vous faisiez déjà par le passé mais qui est ici une constante sur tout le disque. Comment vous avez réussi à jongler avec cet aspect en termes de composition et notamment pour l’équilibre entre le planant du psyché et le son plus lourd et frontal qui font partie de votre musique ?
Tu as bien résumé les deux aspects qu’on a voulu développer. On voulait être plus rentre dedans, frontal, même metal sans forcément en écouter nous-même d’ailleurs. Puis, le faire cohabiter avec du psyché au sein d’un même morceau. Par contre, on ne l’a pas conscientiser. On ne s’est pas donné de limites pour essayer d’avoir un passage radio par exemple. On aime bien les morceaux à tiroirs avec plusieurs ambiances et ça correspondait qu’on avait envie de faire sur ce disque.
Et en live, ça nous permettra de les modifier. Je pense qu’on va même être amener à raccourcir certains morceaux en fonction de la durée des sets. On va devoir faire des choix.
Question personnelle pour toi, comment tu te challenges à la guitare pour évoluer d’un album à l’autre ? Il y a des solos assez monstrueux sur ILLION, notamment sur Confluence par exemple.
Bonne question ! J’essaie d’écouter des choses différentes. J’ai l’impression que lorsqu’on joue de la gratte, on a des automatismes visuels et des habitudes par rapport au manche, ou aux gammes qu’on a l’habitude de jouer. On peut s’enfermer là-dedans donc j’essaie de repenser le truc et de ne pas sonner comme une guitare. J’essaie d’éviter les plans de guitaristes, même s’il y en a plein dans le disque. J’essaie de me demander comment ferait un pianiste ou un trompettiste. Souvent les soufflants ont un rapport différent à l’instrument parce qu’ils doivent respirer. A la guitare, tu peux débouler pendant 5 minutes sans t’arrêter. Après, j’essaie de penser plus aux mélodies quand j’improvise et j’ai travaillé cette partie-là pour éviter de me répéter et surtout que cela reste fun.
Il est difficile de dissocier les titres mais peux-tu nous en dire plus sur la création du titre ‘The Story That Has Never Been Told’ ?
Pour moi, c’est le morceau qui clôture le disque. On voulait faire un titre « intemporel » avec un chant quasi grégorien qui peut venir d’un temps très ancien qu’on ne peut pas assimiler à un style récent comme le post-punk par exemple. Toute la fin est elle une transe qui monte juste en longueur avec l’intensité qu’on a de jouer nos instruments. Ca faisait très longtemps qu’on avait envie de démarrer un morceau avec une énoncé de chant très traditionnel qui devient ensuite très psyché.
C’est l’un des titres que je préfère jouer, j’écoute rarement notre musique mais j’en suis fier.
Vous avez dit que ce disque, « c’est l’effondrement de l’humanité et la renaissance de toute chose dans l’espace-temps ». Peux-tu nous expliquer dans les grandes lignes le déroulé de ce qu’il se passe le long de la tracklist ?
‘A la base, je suis très partisan de laisser les gens se faire leur propre interprétation. Il m’arrive moi-même régulièrement en tant qu’auditeur d’être déçu du vrai sens de certains morceaux que j’écoute. Chaque sens est tout aussi valable selon moi.’
Pour le déroulé du disque, la première partie est plus rentre-dedans parce qu’elle correspond à la chute de l’humanité. Si c’était un film de SF, on y verrait les humains de classes très supérieures quitter la Terre en quête d’un nouveau monde tout en regardant les autres rester sur la planète. Ils partent en quête d’un nouveau monde mais ça foire. Ils deviennent tous fous à bord du vaisseau dans lequel ils ont embarqué, le Nimh. Le voyage dure des milliers d’années donc on y voit plusieurs générations d’humains. Certains parmi eux voient les faibles du système, décident de se rebeller et réussisse à fuir le vaisseau.
C’est là que commence la deuxième partie du disque où ces personnes vont rencontrer les tisseurs de l’univers, de l’espace et du temps. Ce sont les personnages que l’on voit sur la pochette. C’est eux qui ont accès à tous les possibles. Toute la fin du disque raconte donc ça avec la cité d’Uruk, ville en Mésopotamie qui est le signe d’un nouveau commencement. Ils se rendent compte qu’il n’y en a pas qu’une et qu’il y aura d’autres planètes, d’autres individus et qu’il y a un côté cyclique où tout se répète.
En rapport avec ça, votre imagerie est bien sûr très travaillée et la pochette d’UMMON avait bien fonctionné en vinyle et en merch. Comment vous avez procédé pour ce deuxième album ?
On a retravaillé avec Casa qui avait signé la pochette d’UMMON. On avait eu la pochette avant la fin du premier disque et ça nous a influencé cette noirceur pour les compositions et la manière de jouer. C’est difficile de dire en quoi le noir et blanc peut impacter notre jeu mais ça nous a amené à choisir d’autres effets, un son plus brut et minéral. Pour ILLION, on a eu la pochette à la fin donc ça n’a pas eu d’incidence sur les morceaux. L’idée des personnages des tisseurs était déjà là lors de la composition et le résultat fait un peu peur d’ailleurs. (rires)
Il y a clairement eu un avant/après avec votre session KEXP de 2019 enregistré dans le cadre des Transmusicales de Rennes. Ca vous a vraiment permis de passer un cap en termes de notoriété mondiale parce que tout le monde a été impressionné par la puissance de votre son. Est-ce que tu peux décrire ce que ça a donné de l’intérieur cet engouement et ce que ça a changé pour vous ?
C’était une grosse surprise. Ca a tourné beaucoup et on ne s’y attendait pas spécialement. Ca fait plaisir de voir qu’on touche autant de gens.
‘C’était en plein confinement donc comme tout le monde, on l’a vécu à travers les écrans. Par contre, quand on a repris les dates : là on a vu la différence ! On s’est mis à faire des salles plus grandes avec du monde. Avant, on jouait plus dans les bars et dans des petits clubs. Ca nous a changé la vie. Mais ça n’a rien changé sur notre manière de composer, ça ne nous met pas plus de pression.’
Avec ILLION, on n’a eu aucun respect vis-à-vis d’une certaine attente : on a suivi nos envies et j’espère que cela ne changera jamais. On souhaite rester honnête et produire quelque chose dont on est fiers, qu’on défendra en tournée.
Ca nous a ouvert les portes, notamment pour tourner aux Etats-Unis qui était une vraie expérience.
D’ailleurs, l’histoire d’amour continue avec KEXP puisque vous leur avez déjà partagé 3 titres en exclu. On se rend bien compte du potentiel des nouveaux titres. Il y a une énorme tournée européenne qui s’étale sur plus de six semaines entre les mois de février et avril prochains. Quelles sont les nouveautés que vous nous préparez ?
On a des idées de setlists qu’on joue et les morceaux d’UMMON et d’ILLION se mixent bien. Pour les morceaux plus anciens, ce sera plus compliqué de les faire rentrer. On va sûrement passer sur un format 1h30 pour nos concerts pour avoir le temps. Il va falloir faire des choix.
La scène psychédélique mondiale est très prolifique et très appréciée dans le monde avec pour acteurs principaux les King Gizzard & les Osees pour ne citer qu’eux. Vous, vous écoutez quels artistes au quotidien ?
Ca dépend beaucoup. Rémi écoute beaucoup Radiohead par exemple. Moi, j’écoute pas mal de jazz et je suis un grand fan de Miles Davis et d’Alice Coltrane. J’ai découvert Nils Frahm que j’aime beaucoup mais j’écoute peu de rock en ce moment. J’ai eu une période post-hardcore avec Neurosis et Birds In Row aussi. On écoute tous des choses différentes et on n’a pas de chapelle particulière.
Le dernier disque de psyché que j’ai aimé, c’est l’album Population II de Montreal. On en écoute plus trop, on a beaucoup écouté du King Gizzard et des Osees aux débuts de Slift mais plus maintenant.
Quelle est la première anecdote qui te vient en tête quand tu penses à ILLION ?
C’est la réaction de mon frère sur le morceau ILLION. C’est la première fois depuis qu’on joue de la musique ensemble que je le vois aussi impliqué, précis et fier d’un morceau. Pour lui, il est certain qu’on ne fera jamais mieux tellement il en est hyper fier. D’habitude, il peut rester plus distant mais là, il était à fond. J’y pense assez souvent.
Une dernière question pour la route : il en est où ce projet d’album avec Etienne Jaumet de Zombie Zombie ?
Il faut qu’on se dégage du temps pour le faire, on espère que ça se fera. Etienne est très occupé mais il a joué sur deux morceaux d’ILLION. C’est donc dans nos esprits pour le moment mais il n’est pas encore dans les tuyaux. Aussi pour des raisons d’agenda.