Rencontre avec les 5 membres de The Murder Capital, nouveau phénomène du rock anglais. Première date parisienne à la Boule Noire, premier disque accompagné d’un casting de foufou aux manettes. Exercice périlleux de l’interview avec un groupe dont on ne connaît que 3 morceaux.
Ambiance toute première fois.
Première à Paris pour vous les gars, non ?
Oui, au moment où tu bookes la tournée, toutes les dates s’ajoutent et quand les billets commencent à se vendre, c’est là que tu prends du recul et que tu te dis que c’est génial que des gens à Paris aient envie de te voir en concert. On est bénis !
Je sais que vous avez sûrement déjà répondu à certaines de ses questions mais on ne vous connaît pas encore en France car vous n’avez pas d’album, ni d’interview française pour le moment. Comment tout a démarré ?
On s’est rencontrés à l’Université de musique à Dublin. On s’est formés avec les membres en place il y a un an : on a remplacé le batteur et le bassiste entre temps car ils souhaitaient faire autre chose. Après une série de concerts à l’école, nous avions pour ambition de faire ça à temps plein 6 jours sur 7 et autant d’heures que possible donc on s’est retrouvés à 5 ici présents. Gabriel et moi, on se mettait des caisses ensemble au bar une fois par semaine. Je l’ai même jeté à l’eau une fois, et il a fini par nous rejoindre à la basse. Notre batteur nous a rejoint via un de nos potes de Fontaines DC.
On s’est rencontrés à Dublin mais nous venons tous de villes irlandaises différentes. Lorsque nous avons dévoilé la vidéo de More is Less, c’est là que tout a démarré pour nous. Les retours sont allés bien au-delà de ce que nous avions imaginé ! Nous avons construit notre équipe à partir de calls avec Londres où nous avons pu trouver agent et manager. Le reste est pour le moment est très mystérieux pour nous : d’avoir autant de choses qui nous arrivent en si peu de temps.
C’est impressionnant en effet. Vous avez aussi un label avec Human Season Records. C’est pour vous pour le moment avec d’autres groupes dans le futur peut-être ?
Oui, nous avons voulu cette structure pour être indépendants et une manière de garder le contrôle sur nos chansons.
Comment tout a pu aller si vite ? Parce que je n’ai entendu parler de vous ici qu’à l’annonce de Rock en Seine il y a 3 semaines. Après renseignements bien entendu, j’ai vu que vous aviez ouverts pour Shame, IDLES et Fontaines DC au Royaume-Uni.
La plupart des groupes en Irlande pense qu’une journée par semaine de répétition est suffisante. En travaillant de manière plus compacte, on arrive à condenser le résultat et à accélérer la manoeuvre. On a aussi été très chanceux de pouvoir répéter 6 jours par semaine. C’est une question de circonstance, où on a pu être disponible et mettre en place les conditions nécessaires à cela. En tant qu’artiste, c’est génial de n’avoir rien d’autre à penser qu’à toi lorsque tu dois te concentrer pour sortir quelque chose. Récemment, on a été très inspirés par un documentaire sur la photographe et artiste Francesca Woodman. Son père lui disait : « si tu n’es pas assez inspiré aujourd’hui, va donc dans ton atelier et taille tes crayons ». Pour nous, c’est du travail à proprement parler : je ne fais rien d’autre à part écrire des chansons, des poèmes et chanter.
Il y a aussi cette belle histoire où le père de l’un d’entre nous est pêcheur et pendant 2 semaines, il n’arrivait plus à quitter son bateau. Nous sommes exactement dans la même situation dans le studio en train de répéter.
Mission Top Secrète.
Récemment, vous étiez à Londres pour enregistrer l’album, non ?
Oui.
SPOILER ALERT ! Que pouvez-vous m’en dire et comment vous vous êtes retrouvés en compagnie d’Alan Moulder et Flood ?
Il est fini, nous sommes dans les dernières étapes du mastering. Nous allons jouer la plupart du disque ce soir. Pour Moulder et Flood, ils voulaient juste le faire. Ils nous ont contacté en étant très honnête et si enthousiaste qu’on n’a pas réfléchi très longtemps avant d’accepter. Flood était tous les jours avec nous, très impliqué. Dans l’empathie, très en rapport avec ce qu’il ressent, rien à voir avec l’archétype du mec qui a tout vu, tout connu, un peu blasé. Ses retours sont si utiles. Avant la sortie d’une chanson ou d’un album, tu t’attends à imaginer le résultat de ton travail comme si tu pouvais y voir un objet. Jamais on aurait cru que le résultat sonne exactement comme on l’aurait voulu. Nous avons pu passer des semaines à retravailler le son de la batterie, des guitares, etc…
A un moment, Flood nous a conseillé d’enregistrer tout l’album live sur bande en invitant nos proches. Et c’est ce qu’on a fait, ça nous a paru dingue et inattendue comme expérience. Il te pousse en tant que groupe mais aussi comme individu et fait attention à la manière dont tu perçois les choses et ses retours.
C’était la première fois que vous enregistriez avec un producteur ?
Oui. Nous avions enregistré avec d’autres personnes pour des démos, notamment avec ceux qui ont enregistré les premiers morceaux de Fontaines DC à Dublin. Toutes les personnes avec qui nous avons pu bossé étaient là pour taffer et c’était en même temps fun donc nous n’avons eu que de bonnes expériences.
Comment vous composez ?
On se met dans une pièce, on se balance des idées à la gueule, on se bat avec et ça se termine une fois que tout le monde est content avec le résultat. C’est dur d’arriver à obtenir la satisfaction de 5 personnes de manière équitable mais quelque soit le temps nécessaire pour y parvenir, le résultat à la fin est incroyable. On est dans un cycle assez répétitif : un seul studio, on fait toujours la même chose, on va toujours au même bar, on part dans le même bar. On doit donc se pousser un max entre nous et se challenger pour aller plus loin. On essaie vraiment de soucier chacun de l’autre : on est entre meilleurs amis ici donc si on se prend la tete dans le studio, on va avoir du mal à aller boire une bière après. Il y a toujours le moment très gênant de la première bière. (rires)
C’est drôle d’ailleurs parce que ça fait une bonne trentaine de groupes que j’interviewe et c’est très rare d’avoir le groupe entier en interview. Je vous ai vus dehors pendant 5 minutes et vous étiez tous les 5 en train de vous marrer. Ca fait plaisir à voir et on voit de l’extérieur que c’est sincère.
Ce qu’on produit est à partir d’un mélange d’amour et de peur. La peur venant sûrement d’un manque d’amour, si tu vois où je veux en venir. On a l’impression d’avoir construit un vrai sens de la fraternité tous ensemble et ça conduit tout ce que l’on fait.
Dead Serious.
Je ne sais pas si c’est une coincidence mais avec tous les groupes avec lesquels vous avez déjà partagé l’affiche, on sent une envie commune d’avoir un son très sec, de dégager quelque chose de très authentique, engagé autant dans l’interprétation, les concerts que politiquement. Est-ce que vous savez vous pourquoi ce type de groupe émerge en ce moment ?
Ca ne s’en va jamais vraiment. La musique est si cyclique qu’elle n’est jamais partie. Il y a une certaine urgence dans les groupes du moment, un manque de connexion, une envie d’appartenance et de reconnecter avec le réel. On voit en tout cas qu’il y a de l’espace pour tous ces groupes aujourd’hui qui ont quelque chose d’intéressant à dire sans forcément se répéter ou se copier. Ca me fait penser à Interstellar : pour moi, le rock c’est le bouquin derrière l’étagère toujours prêt à s’incruster. Il est là prêt à éclater la bibliothèque.
Ce que je voulais dire, c’est que si tu compares à ce qu’ils passaient il y a 15 ans : c’était les Strokes, The Hives, Franz Ferdinand, etc… Tous étaient là pour balancer des chansons, nous faire danser mais c’était assez guilleret. Aujourd’hui, les groupes rocks qui percent sont aussi fun à entendre et à voir mais la dimension émotionnelle et l’engagement n’est pas du tout le même.
Peut-être que les groupes engagés étaient là aussi mais n’ont pas franchi le devant de la scène. Ils passaient tous à la radio, ici on est dans une niche. Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est intéressant de voir que les premières personnes à le valider, c’est nous. C’est parce que nous sommes authentiques envers ce que nous avons envie de faire que potentiellement, ça plait ensuite à d’autres et c’est ce qui nous importe et nous fait plaisir. Il y a des chansons qu’on a faite que j’aime autant que des personnes qui nous sont proches, c’est comme le résultat de notre amitié. C’est très cool à voir aussi l’engagement des fans des groupes dont on parle. Les fans d’IDLES par exemple sont vraiment très impliqués et quand tu les vois captivés, le sourire aux lèvres en concert ou sur les réseaux sociaux, tu as vraiment l’impression d’une famille. Transmettre des émotions, retranscrire tout un état d’esprit via un simple concert ou quelques chansons, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau à faire vivre via la musique et IDLES fait ça très bien car aujourd’hui certains de leurs fans te diront qu’IDLES, c’est une manière de vivre. En comparaison hier, nous avons regardé le film des Who dans le van hier en arrivant ici et après on est sortis prendre des trottinettes électriques tout en chantant My Generation des Who.
Il y a aussi la notion de tribu. Rien que le fait d’être dans un van sonne tribal car tu fais partie d’une bande assez rare de personnes à le faire et surtout tu le vis qu’avec les autres membres du groupe. Parfois, je me demande même qui j’étais avant d’avoir commencer le groupe. J’ai l’impression que rien ne peut m’arriver en étant dans ce groupe car j’ai 4 amis pour me soutenir et que ça semble être assez. (rires)
Tu te découvres aussi toi-même en étant dans un groupe, tu te confrontes à toi et aux autres en essayant d’être le meilleur. On essaie de prendre soin de chacun et d’éviter de tout foutre en l’air en nous négligeant. Il y a un poème qui dit qu’à la fin de notre vie, la fortune et la gloire disparaitront et que la seule chose qui restera ce sera tes relations avec les autres et ça résume assez bien notre vision. C’est ce qui me retient de partir en couilles et de faire des choses pour de mauvaises raisons. On a l’impression de faire partie d’un club de foot ou d’échecs et tes coups foireux doivent se faire rares car ils ont un impact sur les autres.
La plupart des choses que j’ai pu lire sur vous en matière d’inspiration pour l’album sont liées à la ville de Dublin : la hausse des loyers, la faible offre immobilière, la gentrification. Est-ce vraiment la source principale de vos chansons ?
Ce serait plutôt la condition humaine et comprendre l’empathie par exemple. Ca peut aller de simples détails du quotidien, d’autres artistes en photo, peintures… L’une de mes pires périodes de ma vie était liée à Dublin et à la recherche d’un appartement. Ca peut se ressentir dans ma musique. Une partie de ma famille travaille dans l’architecture et comme je suis très influencé par mon environnement physique, ça me donne à réfléchir sur où l’on vit, comment ça a été pensé mixé à mon humeur du moment sur une journée en particulier.
A quoi correspond The Murder Capital ?
Beaucoup de nos proches ont soufferts de maladie mentale et on a perdu des gens à cause de suicides. même si je n’ai pas la vision détaillée et qu’il existe un certain nombre de personnes engagées sur ce sujet, j’ai l’impression qu’on pourrait faire mieux pour aider ces personnes en détresse. On n’a pas connu de guerres dans notre génération mais on sent qu’il y a une bataille intérieure qui se mène avec des taux de suicides très élevés en Irlande. Il y a un sentiment d’incompréhension et le manque de réponse que l’on peut amener à ce type de problème : ça devient une espèce de statistique qu’on regarde consterné sans comprendre.
J’espère en tant que groupe, on peut aider un jeune qui se sent seul. Je n’ai aucune compétence en psycho-thérapie mais le fait de savoir que je peux jouer de la musique qui éloigne l’auditeur d’un sentiment de tristesse infinie, c’est déjà ça de pris. Si grace à ça, tu peux te sentir moins seul et amener ton esprit ailleurs… même sur scène, quand je chante et que je ferme les yeux, je me sens à la fois très absent et nulle part. Une sensation bizarre mais qui exprime bien les drôles de sentiments que la musique peut te faire ressentir.
Dernière question : quelle est la dernière chose qui vous ait fait rire en tant que groupe ?
On arrête pas de se marrer en réalité, on adore ça et surtout on s’entend super bien donc on balance des conneries en permanence. Parfois, je ne sais même plus si on est des musiciens ou des comédiens de stand-up. En général, on profite des after shows pour créer des espèces de personnages dans lesquels on s’engouffre le temps d’une soirée et on en profite pour les faire revenir de temps à autre.