Le 30 août, Yannis Philippakis célèbre la fin de l’été avec Yannis & The Yaw, un EP qu’il a eu le plaisir de produire en compagnie de la légende Tony Allen. Rencontre avec un des grands noms du rock anglais des années 2000 autour d’un projet qui démarra par une rencontre inattendue.
Cet EP s’appelle Lagos Paris London. Paris faisant référence à la ville qui a hébergé les sessions de studio. Peux-tu nous rappeler comment s’est fait l’opportunité et la rencontre ?
J’ai un ami qui travaillait chez le label Because et avec les Foals, nous travaillions avec eux. Il m’a appelé un jour pour me parler de cette possibilité de travailler avec Tony Allen. Nous étions déjà d’énormes fans des albums de Tony et de ce qu’il a pu faire avec Fela Kuti ou avec Sebastien Tellier. A ce moment de la discussion, j’ai répondu que je sauterais sur l’occasion dès que la tournée dans laquelle nous étions se termine. La tournée s’est arrêté à la période de Noël, je suis retourné à Londres et j’ai failli ne pas le faire car j’étais usé. C’est un de mes amis qui m’a poussé à le faire en me disant que j’allais regretter plus tard de ne pas y être allé.
On s’est donc rencontrés à Paris et dans l’après-midi même, on avait 2 chansons quasi finies.
Vous avez directement travaillés via une sorte de jam session ?
J’étais assez intimidé au début. Il m’a fallu quelques minutes pour me sentir à l’aise et lui paraissait dans son monde. En accordant ma guitare, j’ai joué un riff. Tony est entré à ce moment-là et tout était enregistré sur bande puisque cela tournait sans interruption. On a travaillé autour de ce riff et c’est ce qui a donné ‘Walk Through Fire’. Avec quelques modifications et des overdubs. En partant de ce morceau, cela a permis d’installer une ambiance.
Vous n’aviez rien en tête à cette étape de la collaboration, vous ne saviez pas si vous alliez accoucher d’un album, d’un EP ou de quoique ce soit d’autre.
Non, je croyais même que j’allais être invité à participer à une chanson qui était déjà écrite. Je ne savais pas ce qui était prévu, ni à quoi m’attendre. Je m’attendais juste à jouer avec lui. J’ai découvert sur place que nous allions jammer. Les autres membres du groupe avaient déjà tous joué avec lui : les Vincents (Taeger, Tourelle) et Ludovic Bruni. Ce qui a rendu la collaboration plus facile parce qu’ils avaient l’habitude de travailler avec lui et ils connaissaient bien le matériel, ça a accéléré les choses quand on cherchait tel type de son pour la guitare par exemple. Tout ça était aussi très old school, d’aller dans un studio et jouer avec le groupe qui y est pour construire les chansons.
Quand Tony Allen est décédé en mars 2020, c’est là qu’est venu de donner une sortie et un nom à ce projet ?
Non après cette première rencontre, nous avions fait 3 morceaux en deux jours. Mais nous n’avions pas les voix. Je suis revenu trois mois plus tard pour finir uniquement ‘Walk Through Fire’. ‘Rain Can’t Reach Us’ a eu une piste vocale à cette période et je n’arrivais pas à faire mieux. Pendant 3 ans, c’était quasiment devenu quelque chose que je ne voulais pas confronter ou que je ne voulais pas finir. Entre temps, je venais régulièrement à Paris et nous avons réussi à nous voir pour une autre session où est né ‘Under The Strikes’. A l’issue de tout ça, on avait donc 4 chansons avec l’intention de les sortir sous une forme. Le titre ‘Clementine’ vient aussi de là, d’une session où Tony était absent. Ensuite, j’ai fait un album avec les Foals et Tony en a fait de son côté.
‘Pendant deux ans, le projet est resté en stand-by : aussi parce que lorsqu’un nouveau Foals sort, je suis parti sur la route pendant deux ans. Dans mon esprit, on allait donc finir ce projet à un moment et le jouer sur scène dans la foulée. Puis le COVID est arrivé…’
Il n’y a que 5 morceaux mais un nombre important d’ambiances dans cet EP. Je pense à ‘Night Green, Heavy Love’ qui est plus mystérieuse…
Elle a un côté vaudou. Au studio, on avait un rythme de travail spécifique. Le matin, c’était assez lent : ce qui est tout à fait normal pour un studio. L’après-midi, on démarrait en se mettant dans l’ambiance en essayant de jouer des choses très énergiques. A un moment, on fumait des joints et vers 17/18 heures, on buvait quelques verres. De ce moment entre 19 et 20h où on atteint une sorte de pic où chaque membre du groupe est suffisamment dans le mood pour capturer une certaine sorte de magie. Ce titre est né comme ça. En venant d’une idée de boucle que je devais avoir d’un morceau destiné aux Foals, comme tout ce que je fais en musique. J’ai proposé au groupe d’essayer et pour moi l’intention, c’est d’être comme dans une forêt tropicale. Il y avait quelque chose de primitif et mystique, avec un rythme basé sur des claquements de main. On ne l’a joué qu’une fois. Ce que vous entendez sur le disque a été très peu modifié, cela n’a pas été joué au clic, je voulais garder une ambiance intimiste.
‘C’est resté une piste instrumentale pendant 4 ans. Je voulais que les Young Fathers chantent dessus, je leur ai envoyé en leur expliquant le projet mais il ne le sentait pas. Sûrement à cause des percussions à mon avis : ce n’est pas au clic, elles ne se répètent pas. J’ai essayé avec quelqu’un d’autre et à la fin du compte, je l’ai faite moi-même en une prise assise sur un canapé avec un petit micro pour garder l’atmosphère de la prise initiale.’
Cette chanson en particulier m’a appris à ne pas trop interférer dans la création musicale et de laisser parfois le morceau comme il est. Ces derniers temps, l’industrie musicale a tendance à ensuite regarder une grille pour voir ce qu’il manque ou ce qu’il faudrait ajouter. Pour que ce soit compact, digeste ou sympa. Je préfère que ca reste naturel et non photoshopable.
De l’extérieur, on peut voir les Foals comme une bande de frères. Cela fait plus de 15 ans que tu joues avec les mêmes personnes. Là, tu n’avais jamais joué avec qui que ce soit avant de les rencontrer. A quel point ça a affecté ton chant et ton jeu de guitares ?
Ca a changé ma vision du travail en studio et aussi l’approche du groove. Savoir ce qui porte vraiment la chanson. Comprendre comment la création d’une chanson peut être magique, respecter ce process et y croire. Aussi bien dans la pratique que dans l’état d’esprit. Tu dois le sentir, tu dois te sentir à ta place, tu ne dois pas forcer la productivité. Tu ne peux pas t’aider de la technologie pour chercher la perfection. Cette méthodologie instaurée par Tony et les Vincents m’a amené à considérer tout ça et depuis, je l’ai intégré.
Dans notre manière occidentale de sentir la musique, ça peut paraître objectif. Alors que l’approche africaine est plus subjective. Ca a eu un impact aussi sur mon jeu de guitares. Peut-être aussi à un point où ça a pu en frustrer certains.
Quels seront les membres avec toi en tournée ?
Le bassiste sera celui qui accompagné Tony pendant qu’il était sur Gorillaz et sur d’autres projets. A la guitare, ce sera Dave Okumu qui a eu l’habitude de jouer avec lui et c’est un de mes guitaristes préférés. Ça va vraiment être un groupe incroyable et fun à voir jouer. Je suis très content de jouer à Paris parce que depuis les débuts avec les Foals en 2008, on avait senti quelque chose en quittant la scène de La Maroquinerie. Dans une période où on tournait énormément et on enchaînait les dates, les excès et les soirées, on a vraiment senti quelque chose de différent en quittant la scène.
Je vous avais découvert à cette époque là au Splendid de Lille dans le cadre du festival des Inrocks et je me souviens que tu avais l’habitude à l’époque de disparaître de la scène en fin de set pour revenir à travers la fosse. A propos des Foals, ça vous fait quoi de regarder dans le rétro et de vous rendre compte que vous avez réussi à être l’un des rares groupes à guitares, à rester avec la même formation, la même bande. Le départ et le retour de Walter en est un exemple assez explicite.
Je ne sais pas comment répondre à ça mais on peut être fiers d’être encore là après autant de temps. Pas grand monde n’aurait parié sur nous à l’époque. Nous avons eu l’occasion d’évoluer en tant que musiciens mais aussi en tant que personnes grâce aux voyages, au temps passé ensemble et c’est incroyable d’avoir eu la chance de partager ce lien. Pour le meilleur et pour le pire, nous serons toujours connectés via le groupe. Ce que tu disais sur Walter, c’est vrai qu’il est parti pendant 7 ans et il nous a demandé si il pouvait revenir à travers un coup de fil. C’est assez peu commun et c’est vrai que si nous avions une approche différente, il n’aurait sûrement pas pu prendre sa place. On est comme un gang et la plupart des accomplissements du groupe viennent de là.
‘La meilleure réponse que je peux donner, c’est ça : certains des plus gros shows que nous avons joué avec Foals se sont déroulés sans lui. Je les ai adoré, j’aime toujours jouer sur scène. Mais en quittant la scène, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que j’aurais voulu que Walter soit avec nous. Ce qui compte, ce n’est pas seulement la salle ou la ville où nous jouons mais le lien amical et les choses que nous vivons et partageons tous ensemble.’
Récemment, tes paroles semblent inspirer par le temps qui passe, les changements climatiques, les mouvements dans le monde et le climat social également. On le voit depuis les deux albums des Foals de 2019 et aussi dans cet EP avec un titre comme Under The Strikes écrit lorsque tu étais à Paris pendant les grèves des éboueurs.
Définitivement mais sur ce projet avec Tony, j’ai approché l’écriture différemment. Parmi les Foals, les paroles sont de mon ressort et elles traitent vraiment de ce que je ressens, de ce que je suis et ce que je vis. Avec Tony comme c’était un projet commun, je voulais que cela porte sa patte. Il m’a donc encouragé à aller vers un contexte plus social et politique. Pour ouvrir les thèmes au public, à la société. Que ce ne soit pas trop introspectif, contrairement à ce que moi je peux écrire.
Pour les clips, vous avez fonctionné comment ?
C’est Kit, un de mes amis qui est aussi en charge de percussions dans les Foals, qui m’a parlé de l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la génération d’images. On a fait cette exposition à Londres où on a utilisé des cassettes VHS et des télés cathodiques pour le clip de ‘Walk Through Fire’ : on voulait que ça créé des interactions avec les passants. On s’est posés des questions sur l’image de Tony, sur comment on communiquait autour de l’EP parce que je ne voulais pas forcément utiliser des images de lui ou de moi avec lui. Le logo et l’imagerie de la pochette de l’EP ont été designés par un autre artiste qui a été sensible au style et aux influences de la musique de Tony.
Au vu de la durée de l’EP, on doit s’attendre à des inédits sur scène lors de la tournée à venir ? Voire du jam ?
J’ai profité de cette semaine pour faire quelques jams avec l’un des guitaristes du groupe. On va jouer l’EP au complet bien sûr. Ainsi que quelques covers de Tony. Le groupe est excellent et sait très facilement improviser donc on va laisser de la place au jam dans le set. L’idée, c’est de transcender les chansons dans la durée et ça va rester très frais pour nous parce que nous n’avons pas eu l’occasion de beaucoup les jouer.
A côté de ce projet, tu t’occupes aussi de bande-son pour le théâtre ?
Alexander Zeldin est un ami metteur en scène et réalisateur et il est basé à Paris. Il a écrit une pièce à propos de la vie de sa mère et une autre à propos du mythe d’Antigone recontextualisé dans une Angleterre moderne et qui démarrera au National Theater de Londres en octobre prochain. Ça lui permet d’évoquer la crise économique, le fait que nous n’avons pas les mêmes possibilités que les générations précédentes. Au casting, il y a Emma Darcy et Tobias Menzies. Ce sera de la musique assez lourde, orientée indus et uniquement à base de synthés donc très différent de ce que j’ai pu faire jusqu’à présent.
Quelle est la dernière chose qui t’ait fait rire ?
Ce matin, mon manager m’a expliqué dans le détail ce pourquoi aujourd’hui, qui est censé être la journée la plus longue de l’année ne l’est pas. Un sujet assez complexe pour débuter la journée et qu’il maitrise sur le bout des doigts, ça m’a fait marrer.