On peut pas éternellement se voiler la face, celui qui écrit ces lignes est un Lofofurax.
Groupe polymorphe et hybride, Lofofora est connu pour être un des groupes précurseurs de la fusion à la française. Loin de l’univers jazz, dont il a quand même emprunté quelques sonorités sur son 1er album, le combo a su évoluer entre punk et groove métal voguant contre vents et marées de la hype. Ce style, ce son, cette pâte caractéristique n’a eu cesse de s’affirmer toujours plus au fil du temps, et ce, même au gré des changements de line-up. 30 ans d’une intégrité sans pareille où la profondeur du message n’a que d’égale l’insoutenable légèreté du propos.
Et les revoici donc nos tontons flingueurs de la scène musicale énervée française, toujours prêts à nous éparpiller les tympans façon puzzle. On les avait pourtant quitté sur un album acoustique fin et savoureux, preuve s’il en est que leur plan de carrière se résume à leurs envies; ce Vanités, 10ème album au compteur, est donc en quelque sorte un retour aux affaires.
Quel plaisir de retrouver la sueur et l’électrique pour disjoncter à souhait.
Car en terme de pétage de plombs, le quatuor déroule son savoir faire de vieux briscards tout au long de l’album. Les riffs et les soli de Daniel mettent le feu comme jamais, les lignes de basse de Phil surfent sur les vagues d’une mer déchainée, Vincent fracasse tel un Louison Bobet roulant roulant sur les pavés du Paris Roubaix. La production rend particulièrement honneur à ce brio. L’enregistrement s’est effectué, dans un premier temps, sur bande magnétique, à l’ancienne comme de bons petits artisans de l’anarchie, et a pour effet de produire un son ample et chaleureux vraiment pas dégueu. Une mention toute spéciale pour les ponts qui viennent étoffer certains des titres, et même s’ils prennent parfois les dit-titres à contre pied, ils s’insèrent parfaitement dans ceux-ci. Une belle démonstration d’expérience en terme de songwriting : on nous laisse respirer, parfois voir le soleil au-dessus des nuages pour mieux nous faire replonger la tête sous les flots du tumulte.
Alors évidemment Lofo ne serait pas Lofo sans Reuno, en ce qui concerne l’auteur de ces lignes, probablement le mec qui a le mieux écrit sur la société française : de ses rimes riches à ses punchlines en passant par son flow rocailleux et les images qu’il invoque, à l’instar de ses camarades, le garçon a du talent. Pour autant, ses thèmes d’écriture ne se renouvellent pas outre mesure mais sont toujours diablement efficaces et pertinents. Tantôt célébrant la déchéance de notre société aussi bien d’un point de vue global (« Bonne Guerre« , « L’Exemple« , « Les Seigneurs« ) que sous le microscope d’un drame social tel un Ken Loach (« Les Fauves« ). Tantôt ciblant la bêtise humaine de façon spécifique comme l’intelligence des gens sur les réseaux sociaux (« Le Venin« ) ou bien les illusions dont ils se bercent (« Le Futur« ).
Il aime aussi à se transformer en ce qu’il dénonce, peut-être pour tenter d’exorciser un peu plus ce machisme toujours ambiant (« Le Mâle« ). Parfois il sait rester mystérieux et sibyllin, nous propose-t-il une ballade dans la tête d’un tueur en série sur « Désastre » ? Même si on aime ce côté virulent et revendicatif, tel un ado toujours prêt à se rebeller contre la société injuste qui l’entoure, c’est peut-être dans le rôle d’adolescent attardé qu’on le préfère. Toujours partant pour hurler l’urgence de vivre à fond jusqu’à en paraître lubrique et cru (« X-It« ). D’ailleurs ne recommandait-il pas, fût-un temps, de baiser sa vie, de la faire jouir ? Ici, il s’adresse directement à elle dans un monologue tragico-comique (« Le Refus« ). Au bout de cette valse improbable entre un punk et un métalleux, arrive alors la lumière avec « La Surface » dont le riff bluesy conclut l’album en groove et (presque) en douceur. Le groupe trentenaire y rit du temps qui passe, un peu plus sage sans vraiment l’être.
L’impression qu’il se dégage de cet album est peut-être une synthèse juste et maîtrisée de ce que le groupe nous a offert tout au long de sa carrière.
Sans être pour autant non plus un best-of, ne se surprend-t-on pas à espérer entendre un « Ah non ! Surtout pas le gaz ! Si ça pouvait sauter à la gueule de tous ces cons ! » sur l’intro de « L’Exemple » et sa basse ronflante ? N’y aurait-il pas un clin d’œil aux couilles d’un Macho (Blues) sur « Le Mâle » ni aux Gens sur « Le Venin » ?
Pour conclure sur le temps qui passe et cet esprit de synthèse, n’oublions pas de parler de l’artwork pour lequel Phil illustre encore sa créativité de plasticien. Alors qu’il avait ressorti son Pyrograveur Super Labo pour réaliser la pochette du précédent album, on en était presque à se demander ce que ça pourrait donner s’il ressortait son Mako Moulages. Non content de réaliser la nouvelle typo du groupe, c’est à l’art pictural et photographique auquel il se frotte, aidé de Michel Leray et Nigentz, ils réalisent un cliché traité comme une nature morte bien spécifique : une vanité. Un crâne et des éléments retraçant la carrière du groupe peuvent s’admirer de face mais également d’en haut à l’intérieur de la pochette de l’album. Un truc à en rendre presque nostalgique les fans.
Tout ce que l’on peut espérer, c’est que Lofofora, cactus magique, continue de piquer notre intérêt et de nous faire halluciner. Connaissant un tant soit peu les gaillards, on peut leur faire confiance.