Phoenix – Wolfgang Amadeus Phoenix

Pour les 10 ans du disque l’an passé, nous avons hésité à contacter le groupe pour leur poser des questions à propos de ce fantastique quatrième album. De nombreux making-of vidéo et articles longs formats existent et il n’était pas nécessaire les importuner. Cependant, un tel disque mérite un énième coup d’œil et nous mixerons souvenirs, impressions et anecdotes glanées.

Du leak au pic.

En 2009, les Phoenix débarquent avec « 1901 » comme premier single et l’effet est saisissant. Quel est ce hook de malade, ce single imparable et cette sensation de fraîcheur ? Quelques jours après, le leak entier est là : 10 semaines avant sa sortie ! Ce qui n’était qu’une curiosité prend des allures de épiphénomène. La pochette, les clips, l’organisation de sa tracklist, une tournée mondiale triomphante, le Grammy pour clôturer : WAP est un parcours du Grand Chelem et du combattant à la fois. Une histoire si belle pour une bande de potes loin d’être prophète en son propre pays. Comme six après mois la sortie, lors de cette date d’octobre 2009 à l’Aéronef Thomas Mars remercie le public d’être venu nombreux en comparaison d’une salle très clairsemée lors de leur dernier passage lillois.

Un lieu et un homme pour avancer doucement mais sûrement.

Chacun de leur disque est synonyme d’une nouvelle méthode de travail, d’un nouveau cadre et d’une envie d’autre chose. D’un travail effectué en journée, en opposition avec le taf de nuit, en 24/24 ou en 3 mois comme l’avaient été les autres travaux du groupe. Le boulot a d’ailleurs démarré pendant trois semaines, dans une péniche sur la Seine ayant appartenu au peintre Théodore Gericault. Avant que l’ami Philippe Zdar ne prête son studio Motorbass du 9ème arrondissement de Paris encore en plein travaux, pour que la troupe puisse bosser sans pression. 5 jours par semaine, entre 11 et 21h de mai 2007 à décembre 2008. Côté matériels, ils décident de jouer avec des micros un peu usés par la vie, histoire de laisser de la place aux souffles et à de la respiration plutôt que d’obtenir un son clinique. Une entrave à la technique pour un résultat plus chaleureux. Riches de centaines de bouts de chansons, ils jouent au puzzle et traînent parfois à se décider. Au départ de passage pour embarquer des vinyles pour ses DJ sets, Zdar est là pour donner son avis, aider à trier et les incite à insister sur certains titres parfois. Aux dires du groupe, il devient vite le membre supplémentaire d’une bande qui compte autant de personnes que de songwriter / producteur. Deux, trois semaines de ces petites touches passent et en un rendez-vous au café du coin, Phoenix lui propose officiellement le statut de co-producteur du disque. Ses remarques et conseils s’avèrent décisifs comme dans le son de batterie, mélangeant prises réelles et reproductions synthétiques des beats par clavier sur « 1901 » ou l’usage d’une boîte à rythmes sur « Rome« .

Le talent, le hasard, la spontanéité font que lors de l’enregistrement, ce sont souvent les premières prises qui sont conservées. « Armistice » en fait partie. Chaque titre est le fruit d’un collage de 4 à 5 bouts de morceaux enregistrés sur des dictaphones dans 5 lieux différents. Un millier d’enregistrements de la sorte auraient été répertoriés avant de finir intégrées dans l’album.

Rome wasn’t build in a day.
Thomas Mars décrit le travail en studio sur ce disque d’une manière manichéenne : noir ou blanc. Soit le groupe est satisfait et sort le champ’ lorsqu’un morceau est bouclé, soit il rentre dépité, doit tout repenser en prenant la route du tunnel de Saint-Cloud la nuit à l’issue d’une journée de studio.
« Fences » passe ainsi in extremis la tracklist. Adorée par Zdar dans une version avec un chant en « yaourt », il découvre à son retour de vacances estivales à Ibiza que le groupe n’en veut plus. A force d’insister au point de passer derrière la batterie, le titre est modifié : des paroles sont trouvées, la mélodie initiale sera replacée et un pont en fin de titre est ajouté pour donner la mouture finale. Les synthés et micros utilisés sont ici encore assez anciens, utilisés volontairement pour obtenir un son proche de la cassette usée. Même histoire pour « Rome » a mis du temps à obtenir le plébiscite nécessaire pour passer le final cut.
Deux déclarations d’intention.
Amoureux de tous les genres, « Liztomania » se voit porté par l’envie d’un titre aux accents d’AC/DC pour sa simplicité et l’efficacité des guitares et « Billie Jean » pour le clap pop de sa rythmique. Cette envie de kick, le producteur la motive par ses racines électro, tout comme son goût pour les mixes forts en basses sont liés a ses débuts dans le hip-hop avec MC Solaar. « Liztomania » et « 1901 » et leurs intros fracassantes sont directement placées en début de disque et figurent parmi les premiers titres enregistrés dans leurs versions définitives. Ils représentent pour le groupe le résumé du fruit des 18 mois de labeurs et sont encore maintenant un duo imparable.
Seul point où le groupe ne fléchira pas : la reverb sur les voix. Bien que Zdar soit abonné à ça via son amour pour la musique anglo-saxonne, ils s’y opposent et le chant restera en avant dans le mix sans y ajouter d’effet particulier. Du chemin a été parcouru quand on entend les voix couvertes d’effets de Ti Amo. Enfin, les compresseurs feront leurs boulots sur le son. Un travail caractéristique du producteur que beaucoup auront rêvé de reproduire sans y parvenir. L’envie de « faire ni trop simple, ni trop compliqué » comme décrit par Zdar dans les vidéos commentées traduisent bien comment le disque a pu être aussi international et populaire. Autre combat, l’ordre des titres où « Love Like A Sunset » n’est pas laissé en fin de parcours comme la logique l’aurait voulu mais en quatrième piste, comme un nouveau départ après un trio de tête sans temps mort. Cet instru si chère aux cœurs de ses créateurs est née d’une énième session tardive de puzzle entre 30 bouts de morceaux existants avec l’influence de Steve Reich et Neil Young.

For Lovers In A Rush, For Lovers Always.

L’une des infos de choix que cette série de vidéos commentées offertes par le groupe nous apprend que le disque aurait pu comporter des interludes mises de côté et virées assez rapidement pour garder un ensemble concis, solide et sans fioritures. Le souci du détail de la troupe ira jusqu’à soigner la fin de la tracklist et en aucun cas de l’achever par un titre mou. « Armistice » est donc menée tambour battant avec des percussions immanquables, que l’on n’a pas fini de singer les bras en l’air ou en tapant sur les genoux et ses mots qu’on comprend difficilement à l’oreille : For Lovers In A Rush, For Lovers Always.

Evocateur.

La nostalgie, le romantisme, la candeur, la grandeur, un sentiment de puissance venu d’ailleurs, WAP collectionne les émotions tout en capitalisant sur les force de ses créateurs. Les guitares d’It’s Never Been Like That, la concision pop de United, les mélodies chaleureuses de Alphabetical sont combinées pour un mélange savamment équilibré et par conséquent assez universel. Ce qui est étrange également, c’est le consensus derrière WAP alors que son aîné, tout aussi excellent en est si proche. Bien sûr le son n’est pas le même avec pour résumer : une autre production plus abrupte avec plus de guitares et moins de synthés. L’ensemble est très joyeux et donne juste, et c’est con à dire comme à lire, mais envie de vivre. Regarder la route défiler sur « Love Is Like A Sunset« , envie de filer à « Rome » les yeux dans le ciel pendant que l’avion nous y emmène sur la chanson du même nom, crier en yaourt les yeux fermés les paroles de ses tubes, autant de choses faites régulièrement depuis 2009 et qui ne sont pas là de s’arrêter…

Si vous voulez en savoir plus sur le groupe de A à Z, le livre Liberté, Egalité, Phoenix! est sorti en octobre dernier pour fêter les 20 ans du groupe. Un bel objet, assez complet qui revient sur leurs rencontres, leurs débuts et chaque disque dans le détail sous forme d’histoire orale.