On en a connu des arrivées au Hellfest et c’était sans mentir la meilleure gestion qu’il nous ait été donnés de voir. Que des metalleux calmes. Personne ne se marche dessus pour arriver à la pose bracelets et on n’est au final pas si nombreux à attendre le coup d’envoi. Peut être grâce aux pass envoyés par la poste à ceux qui en avaient fait la demande. Peut être parce que l’accès au camping était déjà possible pour ceux qui présentaient leur place.
En tout cas c’était propre. L’expérience paie et avec seize années au compteur la machine Hellfest est tellement bien huilée qu’on en oublie presque tout ce qui a été corrigé au fil des ans, et qui pose toujours problème chez la concurrence.
Alors qu’est-ce qui a changé cette année ? Passons tout de suite au premier jour pour le découvrir.
Les nouveautés de ce Hellfest 2023
Le crâne d’accueil
Les festivaliers qui passent la cathédrale peuvent saluer une nouvelle version du crâne aux papillons de Philippe Pasqua. Sauf que celui-ci est un miroir et nous renvoie notre réflexion déformée. Une vanité version 2023. Clairement, ça avait de la gueule.
The Sanctuary
A peine entrés sur le site du Hellfest, on se retrouve face à LA nouveauté de l’année : un temple cyclopéen couleur ébène. Ses immenses colonnes sont recouvertes d’abominations biomécaniques. Au dessus du fronton, un sombre Baphomet jette un regard accusateur sur la file de fidèles qui se masse déjà devant ses portes. Les offrandes se font par cashless ou carte bleue et les cultistes repartent avec un témoignage de leur dévotion : du merch. La queue restera longue et vigoureuse depuis l’ouverture jeudi après-midi jusqu’au samedi soir, moment où un certain nombre d’articles étaient de toute façon épuisés.
Sur l’entablement, on peut lire « The Sanctuary ». Le temple étant situé à l’emplacement de l’ancienne Valley, la théorie est que ce serait Elder qui aurait invoqué la chose l’an dernier en criant trois fois « Sanctuary ! ». Et puisque l’ancienne Valley n’est plus, on a directement filé voir à quoi ressemble la nouvelle.
La nouvelle Valley
Et c’est le choc. Question capacité, c’est pas forcément ça. L’espace devant la scène est limité par un énorme bar posé à quelques mètres, encadré par deux petites régies. Pour l’accès, c’est goulot d’étranglement sur goulot d’étranglement : une première fois pour passer entre le mur de l’espace Lemmy/restauration et l’ex-skatepark/Hellfresh, puis pour accéder à la scène par devant où s’agglutinent les premiers arrivés, par derrière avec la queue du bar et les stands de nourriture, ou même sur les côtés par le mince espace entre les régies et le bar. Pas de problème quand le festival était peu rempli. En soirée c’était une autre histoire.
Alors il y a bien sûr pas mal d’émotion là-dedans. La Valley c’était pour beaucoup une maison qui accueillait des groupes à l’ambiance particulière, qui protégeait du Soleil et de la pluie et qui permettait de taper les meilleures siestes sur du psyche en début d’après-midi. Le sentiment de certains est donc qu’on s’est un peu fait exproprier.
Quand on arrive à dépasser le couloir de la Valley, on arrive à…
La roue de Charon
La création de Peter Hudson a connu le Burning Man mais fait depuis rouler ses os à travers le monde. Les nantais ont pu en profiter en juillet 2022 et elle sera à Paris en juillet 2023. Entre temps elle est au Hellfest, juste derrière la Valley. Et on n’aurait pas pu imaginer meilleur cadre ! Les rameurs squelettiques s’inscrivent parfaitement dans l’esthétique du festival et le fait de devoir tirer des cordes pour l’activer constitue une activité fort réjouissante pour le metalleux désœuvré. On n’a malheureusement pas eu l’occasion de la voir de nuit mais il parait que lorsque la lumière stroboscopique frappait le rameur du bas, l’effet était saisissant.
Code Orange
C’est Code Orange qui ouvre les hostilités pour ce Hellfest 2023 sur la Mainstage 2 ! Surprise, Jami Morgan entre en scène le visage recouvert d’un masque de chair absolument dégueulasse. Heureusement, le gimmick ne durera pas et il l’enlève immédiatement. Pas de masque non-plus sur le visage du batteur. Dans un move assez Deftones, Code Orange nous avait raconté l’histoire du batteur au masque de fer quand son batteur-chanteur était passé chanteur-chanteur. Mais tout ça c’est terminé. On retrouve désormais derrière les futs Max Portnoy, en tant que membre à part entière. Oui, c’est le fils de Mike. On se doute bien que la tentation est grande de sortir un jeu de mots à base de nepo-machin pour faire rire vos amis de Twitter, mais il faudrait beaucoup de mauvaise foi pour ne pas constater que le Max défonce. Tant techniquement que par son attitude, c’est le match parfait.
On compte aussi malheureusement l’absence du guitariste Dominic Landolina, resté chez lui pour soigner son pied après une grosse opération.
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La première partie du set nous offre un son plus que passable. Ne vous fiez pas à la retransmission d’Arte, le mix était bien différent depuis le pit. Quand on n’entend pas le chant ou la guitare de Reba sur ses parties, il y a un souci. Heureusement tout s’arrange progressivement et on finit par se faire casser la gueule convenablement. La setlist est parfaite et la rage du groupe emporte irrésistiblement tous les festivaliers déjà arrivés. On regrette seulement ce slot un peu insuffisant. Ils auraient mérité tellement plus : plus tard et plus long.
Coheed And Cambria
A chaque fois que j’essaye de m’intéresser à Coheed And Cambria je me prends le mur des dix concept albums, de la série de comics en 32 numéros, du roman… et de tout ce lore dont doivent se délecter ceux qui ont fait le travail. Travail probablement équivalent à une thèse et demi.
On se contentera ici d’un constat de surface : les chansons à la tonalité plus pop semblent laisser le public froid, tandis que ça s’agite plus sur les passages prog. On refuse la facilité et on ovationne la complexité. Le public de Coheed And Cambria est décidément fort érudit. Sans surprise, gros climax sur le « Welcome Home » de clôture.
Imperial Triumphant
Si Imperial Triumphant peut paraitre assez hermétique pour le non-initié sur album, l’expérience live durant ce Hellfest se révèle bien plus accessible. Oh, bien sûr on parle de musique d’avant-garde volontairement dissonante, mais les musiciens aux allures de sons of the harpy font tout pour faire entrer le spectateur dans la performance.
Beaucoup de complicité dans leur jeu de scène et un bassiste très démonstratif. Tout l’inverse de la leçon élitiste à laquelle on aurait pu s’attendre. Les interludes entre les morceaux participent à tisser cette ambiance black-jazz de film noir glacé et personne n’est surpris quand ils finissent par sortir une bouteille de champagne en fin de set.
Generation Sex
La vieillesse est un naufrage, mais pas pour les punks ! Enfin si. Particulièrement pour les punks. Generation Sex c’est 50% Generation X avec Billy Idol et le bassiste Tony James, et 50% Sex Pistols avec le batteur Paul Cook et le guitariste Steve Jones.
Le résultat est aussi triste que réjouissant. Il n’est plus possible de se mentir : Billy Idol a une voix de vieil homme et on n’est seulement heureux de le voir pour ce qu’il représente. Derrière son kit, Paul Cook semble dans une détresse absolue : ses bras continuent de jouer tandis qu’il appelle à l’aide du regard la caméra dès qu’elle s’approche de lui. Seul Steve Jones a vraiment l’air de se marrer.
On ne redira jamais assez à quel point il est important de rester actif après un certain âge et l’initiative est à saluer de ce point de vue là. Le concert aura probablement fait gagner quelques années de vie aux anciens présents sur scène et dans le public du Hellfest. Pour les autres, c’était juste un moment pénible à passer.
Harakiri For The Sky
Avant KG et JB dimanche, on a eu MS et JJ le jeudi. Les deux musiciens de Harakiri For The Sky étaient sous la Temple accompagnés de leur groupe pour nous faire gouter à leur black aventureux. Comme ce fut souvent le cas sous cette tente, le son était assez fort. A cela s’ajoutait une batterie dont les blasts avaient tendance à bouffer tout le reste. Mais si on met de côté ces considérations, il faut bien avouer que les autrichiens nous ont attrapés par les trippes pour nous emmener très haut, propulsés par la puissance de leur bassiste hélicoptère. Ou plutôt par des mélodies épiques de guitare qui auront fait remuer le croupion des plus récalcitrants.
Pour terminer son set, HFTS abat son joker : la reprise de « Song to Say Goodbye » de Placebo. C’en est trop. Les spectateurs joignent leurs mains et les lèvent vers le ciel alors que des larmes noires coulent de leurs yeux écarquillés. La marée mélancolique se déverse jusque dans la tente voisine et on raclera encore un peu de ce divin goudron alors que commence le set de Candlemass…
Candlemass
Sous l’Altar. Troisième fois que Candlemass joue au Hellfest et troisième fois qu’ils passent sous l’Altar. A croire que Leif Edling a réussi à les convaincre qu’ils jouaient du death. Pour ceux qui n’auraient pas compris, Candlemass c’est du doom. C’est même un des fondateurs du genre. 2018 avait marqué le retour de Johan Längqvist, le chanteur présent sur leur album phare « Epicus Doomicus Metallicus ». En 2023 il est toujours là. Il a juste abandonné son look de playboy pour s’approprier la crasse propre à la fonction. Et il rayonne. On aurait pu croire que les années auraient fait déteindre sa joie mais non, le Johan semble ravi et exulte entre les morceaux. Il s’excuse de la taille du backdrop qu’il qualifie de timbre-poste, comme si on en avait quelque chose à faire. Ce qu’on veut c’est boire vos riffs les gars !
Et des riffs il y en avait. Ils coulaient clairs et limpides en un flot continu au risque de nous waterboarder violemment. Mais on a tout bu jusqu’à la lie parce qu’une fois encore le son était pratiquement irréprochable.
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Ils sont partis en nous suppliant de les laisser mourir seuls. Peu de chances qu’on s’exécute : la tente était pleine et tant qu’ils reviendront on sera là pour les voir.
Architects
Première tête d’affiche de la soirée, Architects vient crier haut et fort son statut de headliner sur la Mainstage 2 du Hellfest ! Si en 2019 leur présence à cet horaire et sur cette même scène était impressionnante, elle est tout ce qu’il y a de plus normal aujourd’hui.
Entre temps, le groupe a sorti deux albums visant les stades et le très grand public. Ils composeront l’essentiel de la setlist à l’exception de trois titres. Et ça marche. Sam gueule sur le public comme un coach de crossfit et obtient un certain nombre de figures proprement exécutées. Mention spéciale à l’énorme circle pit sur « When We Were Young ».
On en ressort suants et ravis, mais avec le sentiment d’avoir perdu quelque chose en chemin. Si les anciennes compositions pouvaient se révéler déchirantes de sincérité, c’est nettement moins le cas des nouvelles qui semblent surtout viser la performance et l’entertainment. En somme, on est passés de belles œuvres à de bons produits. Mais bon, l’amour qu’on leur porte est bien trop grand pour qu’on les abandonne maintenant. On ne perd pas espoir : on a déjà vu des artistes revenir de bien plus loin que ça.
Amenra
Disclaimer : ce soir c’était mon onzième concert d’Amenra et j’avais assisté une semaine avant à une prestation du groupe absolument parfaite. Les attentes et la perception de ce live sont donc forcément marquées par ça.
Les spectateurs du Hellfest étaient là bien en avance pour se faire une place au live d’Amenra. Choix judicieux, vu le bloc sclérosé que deviendra l’espace Valley une fois le concert commencé. Je parviens tout de même à me trouver un petit coin à la barrière. Mais dès les premiers beats c’est la douche froide. Les passages calmes sont tolérables, mais dès que la batterie se fait entendre c’est l’équivalent d’un coup de bélier directement sur mes tympans. La question se pose alors : oui, on voit bien, mais est-ce que c’est si intéressant si on n’entend rien ? Suivie d’une autre question un peu plus urgente : est-ce que j’ai vraiment envie de perdre l’audition pour un groupe que j’ai déjà vu dix fois ? La question a pas été vite répondue, j’ai quand même tenu trois chansons, dont le classique « Razoreater » enfin de retour sur la liste… et je me suis barré.
Ou plutôt j’ai reculé pour aller me placer au fond au centre. C’était un peu mieux. Mais pas beaucoup mieux. J’avais heureusement autour de moi quelques spectateurs passionnés, mais pas suffisamment pour ne pas entendre les cocasses « à poil ! » entre les chansons. Cette vue d’ensemble de la scène permettait aussi d’apprécier le choix vestimentaire osé de ce mec qui s’est dit que le concert était bien trop sombre et qu’il était donc judicieux d’ajouter un peu de lumière à tout ça au moyen de son magnifique bonnet lapin lumineux.
Mais bon, suffit de ne pas se laisser déconcentrer pour rentrer dans le concert, enfin… jusqu’à l’intro de « A Solitary Reign ». Moment qu’a choisi une bande de géronto-clowns pour s’infiltrer dans les interstices laissés par le silence entre les notes avec un irrésistible :
« I WAS MADE FOR LOVIN’ YOU BAAAAYBY ! YOU WERE MADE FOR LOVIN’ ME ! »
Oui. Dans une coïncidence de l’enfer, c’est précisément à ce moment que Kiss joue son hit intergalactique sur la Mainstage derrière. Je regarde les spectateurs autour de moi… Et on éclate de rire. Parce que c’est pas possible là, on veut bien faire un max d’efforts pour se concentrer malgré le son effroyable et le public bovin, mais là c’est juste le sort qui s’acharne !
Tout ça est d’autant plus frustrant que sur scène tout était plus que carré, le light show et les projections magnifiques, la setlist incroyable et oui, même le son a fini par s’améliorer avant la fin du concert. Je pense vraiment que pour ceux qui ont eu la chance d’être assez bien placés l’expérience a pu être transcendantale.
Fishbone
OK soyons honnêtes, de Fishbone je ne connaissais que « Servitude ». Et donc pour moi, c’était du metal fusion.
Arrivée sur la warzone alors que le soundcheck s’éternise, puis le concert commence enfin et… c’est du ska, non attendez, là c’est du reggae… et ça là, c’est du funk… ah non, c’est carrément du jazz. Vous l’aurez compris, les mecs passent de genre en genre et mélangent les sonorités sans qu’il soit possible de se raccrocher à quoi que ce soit. On se retrouve donc projetés dans leur délire, oubliant qu’on était à la base venus voir un groupe de metal. Il vient même un passage où on cherche la contrebasse sur scène, avant de comprendre que c’est le bassiste qui vient de passer en mode full jazz sans demander l’avis de personne.
Le « Servitude » promis arrive finalement en fin de set et les metalleux repartent se coucher, un grand sourire accroché au visage avant d’attaquer le second jour de ce Hellfest cuvée 2023.
HELLFEST 2023 – VENDREDI 16 JUIN