C’est seulement le deuxième jour du Hellfest mais avec ce report on va essayer de répondre à deux questions essentielles :
- C’était quoi le meilleur concert du Hellfest 2023 ?
- Qu’est ce qui se passe concrètement quand tu te coupes la langue au Hellfest ?
Escape The Fate
Petite mise en jambe matinale avec le retour d’Escape The Fate. N’ayant pas connu ce délire babylissé à l’époque, je n’ai même pas l’excuse de la nostalgie. D’un autre côté les premiers fans ne sont peut-être pas là non-plus vu que du line up original la formation ne conserve que le batteur. En tout cas, les plus heureux étaient certainement sur scène ce matin. Le chanteur Craig Mabbitt, dont la qualité principale est de ne pas être Ronnie Radke, a sorti son plus beau t-shirt Elden Ring et déverse toute sa joie de vivre sur un public à peine consentant. Musicalement, absolument rien de plus ou de moins qu’il y a quinze ans mais on ne demandait pas autre chose. Puis le groupe lance son single de retour qui clame que « I h8 U more than I h8 myself » et les cheveux des dix premiers rangs se lissent instantanément. Passé le premier couplet, un flot continu d’eyeliner se met à suinter de leurs yeux. Les plus réticents s’enfuient aux toilettes pour se rincer le visage mais la majorité embrasse la vague emocorisante et répond par de multiples cœurs avec leurs doigts, dont les ongles sont désormais recouverts d’un vernis noir.
Helms Alee
Peut-être la découverte du Hellfest, Helms Alee est quand même actif depuis 2007 et compte six albums studio. Aussi incroyables qu’inclassables, on les retrouve logiquement sur la Valley avec le reste des freaks au genre non identifié. Ou plutôt « genres » tellement on retrouve de sensations associées à des scènes différentes, depuis les tréfonds embrumés doom/psyche glissant sur le shoegaze, vers des cris et structures post-hardcore/post-metal, pour parfois se permettre des titres « juste » grunge. Helms Alee c’est un guitariste, une bassiste et une batteuse, et à trois ils peuvent tout faire. Les trois chantent, avec des voix aux styles aussi différents que complémentaires.
A la fin du concert ils remballent leur matos sans un mot, avant de relever la tête, surpris qu’il y ait encore du monde devant la scène pour les acclamer. Allez y jeter une oreille, c’est votre futur groupe préféré.
Primitive Man
En 2017 ils avaient réussi l’exploit de vider la Valley du Hellfest en moins de dix minutes. Cette année la tente n’existe plus et il n’y a donc rien à vider. Mais ceux qui sont restés méritent d’autant plus le respect qu’il est midi au Soleil et que ça commence à sentir le cochon grillé. Expérience totale, l’extrême pesanteur du Primitive Man se conjugue à celle de l’astre solaire pour nous écraser. Toujours aussi dense et sans compromis, on ne regrette rien mais c’est avec soulagement qu’on se traîne péniblement vers l’ombre salvatrice de l’Altar pour…
Full of Hell
Full of Hell, qui a sorti cette année l’énorme parpaing graisseux « Suffocating Hallucination »… avec Primitive Man ! On se prend donc à espérer un featuring exceptionnel comme on en voit qu’au Hellfest ! Mais non. La chose aurait probablement été trop compliquée à organiser et jamais on ne verra poindre la douce tête de l’Ethan Lee McCarthy. Mais celle de l’acerbe Dylan Walker nous suffira amplement.
Etouffant sur album, Full of Hell présente en live un show capable de faire entrer dans leur délire les spectateurs habituellement assez éloignés de ce type de sonorités. Grosse présence scénique bien sûr, mais aussi ce petit plus de voir effectivement qui joue quoi et comment se passent leurs expérimentations. On n’est donc pas surpris de voir que ça réagit assez bien dans le public quand un beau pit se forme au milieu de la tente. Toujours à l’aise, Dylan harangue les courageux :
« Est-ce que vous prévoyez de vous taper une petite insolation aujourd’hui ? Non ? Ça va venir. »
On le prend au mot et on repart donc se faire cuire la couenne devant la Valley pour…
Bongripper
Bongripper ne s’est jamais pris au sérieux. Les titres de leurs morceaux sont toujours à prendre au troisième degré et ceux qui ne l’auraient pas compris sont souvent surpris de voir débarquer sur scène quatre mecs tout ce qu’il y a de plus normal. Mais même en sachant cela, il faut avouer que les chicaguais étaient ce vendredi particulièrement décontractés. Pour tout dire, on en a carrément vu un s’étirer, évitant de justesse un bâillement. Alors certes, ce manque de théâtralité et le fait que la prestation se déroule en plein cagnard en a laissé plus d’un sur le bord de la route… mais les dégénérés amateurs de Sleep-worship dont je fais partie ont sans s’y méprendre senti leur cerveau pétiller.
Greg Puciato
Homme aux multiples groupes, Greg Puciato était là pour défendre son projet solo. La setlist fait donc la part belle aux deux albums sortis en son nom : « Child Soldier: Creator of God » et « Mirrorcell ». Si on se doute bien que les nombreux festivaliers présents ne connaissaient pas forcément les morceaux, tous semblaient assez captivés par la présence du bonhomme. Vêtu d’un simple t-shirt U2 porté à l’envers, Puciato dégage un truc à la fois fascinant et ordinaire : un talent exceptionnel avec zéro prise de tête.
Il se rappelle de l’incroyable concert de Jerry Cantrell donné l’an dernier à l’ancienne Valley et nous offre une reprise de « Them Bones » d’Alice In Chains, rien que pour nous ! On a aussi droit à une reprise du « One of Us Is the Killer » de The Dillinger Escape Plan. Un moment assez drôle où il se permet d’arrêter son groupe, parce qu’il entend bien que quelqu’un est désaccordé. Tout le monde se regarde d’un aire suspicieux. Le whodunit est réel. Mais alors que tout ça aurait pu être gênant, le Greg en profite pour vanner des mecs du public au hasard, tel un standupper de l’extrême.
On va de surprise en surprise alors forcément, comme on n’a pas oublié que le turbo-tube de son dernier album bénéficiait d’un featuring avec Reba Meyers de Code Orange… qui a joué la veille… On se prend donc à espérer un featuring exceptionnel comme on en voit qu’au Hellfest ! Mais non. Planté à la barrière avec un t-shirt dont le dos clame fièrement « THINNERS OF THE FUCKIN’ HERD » un fan observait anxieusement le côté de la scène depuis le début du concert. Il a été déçu. Toutes nos pensées pour lui dans ce moment qui a sans doute été difficile. Reste que « Lowered » est quand même excellent. Allez l’écouter si ce n’est déjà fait. En boucle, de préférence.
Notre tristesse est pas loin d’être infinie quand le Greg quitte la scène. Nous étions alors loin de nous douter qu’il pointerait de nouveau le bout de son nez avant la fin du week end.
Triggerfinger
Triggerfinger c’est du stoner pour mamans ! Et ce n’était visiblement pas une simple vanne, vu l’armée de quarantenaires frétillant aux premiers rangs. Il est vrai que le chanteur Ruben a une bonne vibe de playboy des fonds marins, mais nul ne pourrait l’accuser de faire un amalgame entre la coquetterie et la classe. La même chose ne peut être dite du public, en mode full enterrement de vie de jeune fille, qui lui hurle des « à poil ! » entre les morceaux. Le phénomène trouvera son acmé quand le Ruben osera enlever sa veste. Un effeuillage immédiatement suivi d’un rugissement libidineux : « ouuuuuuuuuuuuh ! ». Mi-amusé, mi-agacé, il tourne le truc en dérision :
« Lundi j’aimerais que vous fassiez la même chose au boulot quand un de vos collègues enlèvera sa veste. »
En dehors de cela, Triggerfinger est aujourd’hui une machine bien huilée, et ce soir elle tourne à plein régime.
Les heavy dandys nous servent une recette connue mais proprement exécutée. N’ayant pas suivi l’actualité récente des belges, on découvre avec tristesse que Monsieur Paul n’est plus là. Heureusement, on retrouve toujours derrière les futs un Monsieur Mario, un peu plus calme mais toujours prêt à faire le show. Sur le côté de la scène, le guitar tech ressemble presque à un quatrième membre du groupe vu qu’il est toujours là le manche à la main, Ruben changeant de guitare à chaque chanson.
Vivement la prochaine fois. On amènera nos mamans.
Botch
Trente ans depuis leur formation. Vingt ans depuis leur séparation. Botch c’est dix ans de carrière entre 1993 et 2002 et une empreinte indélébile sur tous les trucs en -core qui ont suivi. Enfin les bons en tout cas. La tournée de reformation a commencé en février mais ils sont tellement au point qu’on pourrait croire qu’ils n’étaient jamais partis. Les deux emmanchés Brian Cook / Dave Knudson s’emboitent avec une précision stupéfiante. On est nuls en maths mais sur ce cours on a tout compris, et qu’est-ce que la leçon était bonne ! Les gros riffs ravageurs vont et viennent avant même d’avoir pu être assimilés tandis que des panic chords outrancières nous maintiennent sur la pointe des pieds. On s’est faits déstructurer les neurones.
Aucun doute là-dessus : c’était le meilleur concert du Hellfest 2023 !
Seul bémol : la petite vieille au premier rang qui profitait des passages calmes pour faire des vocalises et hurler de la chanson française. Elle s’est pris un coup de pied au cul d’une spectatrice au regard vengeur, mais c’était visiblement pas suffisant pour la décourager.
Sum 41
Le concert de Sum 41 a déjà commencé quand j’arrive devant les mainstages. Technique habituelle, je remonte la foule par le couloir du mur de gauche pour arriver sur l’avant. L’idée est d’ensuite opérer une petite translation pour rejoindre le pit central. En chemin je trouve un pré-pit : un petit pit d’une dizaine de personnes qui s’échauffent gentiment.
C’est à ce moment-là que je ressens un grand CLAC. Ma mâchoire vient de se refermer d’un coup, alors que ma langue était malheureusement devant mes dents. Après des années passées dans des pits de diverses intensités où j’ai pu croiser des kids qui venaient au concert avec leur protège dents, je sais très bien que c’est possible de se bouffer la langue. Surprise, aujourd’hui c’était mon tour. Le sang commence à me remplir la bouche et je me doute que je vais bientôt tomber.
Je file à contre-courant vers le mûr que je viens de quitter. Je m’assois, tente d’évaluer ce que j’ai dans la bouche : du sang et plus trop de sensation sur une bonne partie de la langue. Je sors mon portable et ouvre l’application Hellfest pour trouver la map. Mauvaise nouvelle, le poste de secours des mainstages est à l’exact opposé de l’endroit où je me trouve. Il va falloir faire le tour. Pas découragé, je me lève, fais trois mètres, puis me rassois contre le mur. Bon, je tiens pas debout. Ça va être long.
Je me relève et je devais probablement pas avoir l’air fringuant puisque c’est à ce moment qu’un mec me repère. « Eh, ça va ? » J’essaye comme je peux de lui expliquer/mimer que je me suis bouffé la langue. « OK, je suis avec mon frère, on va t’amener au poste de secours. » Le mec me saisit le bras et commence à remonter la foule. C’est long mais on finit par arriver au niveau des restos devant la grande roue. « On va aller plus vite, je vais te prendre sur mon dos. » Je suis maintenant un sac à patates humain. En fait, le mec est militaire et s’il a l’air de savoir ce qu’il fait, c’est parce qu’il sait exactement ce qu’il fait. « Les postes de secours sont toujours à la sortie, on va aller par là. » Il me pose des questions pour me tenir éveillé. J’essaye de répondre comme je peux. Quand enfin on arrive à la cathédrale, le vigile nous explique que le poste de secours n’est pas là, mais « de l’autre côté ». De l’autre côté il n’y a rien. On part demander au vigile devant l’espace VIP du Hellfest : c’était bien de l’autre côté, c’est-à-dire au bout du couloir de la sortie du festival. Difficile à croire, mais il y avait pas mal de gens qui préféraient rentrer sans voir Sum 41. On slalome donc entre eux pour finalement tomber sur le précieux poste de secours.
J’entre accompagné d’un secouriste et j’ai à peine le temps de lâcher un « merci ! » que le mec est déjà reparti, le devoir accompli. Le secouriste me demande de lui montrer ma langue. Je m’exécute et… il a l’air absolument terrifié. Bon. Merde.
On entre dans le préfabriqué où nous attendent d’autres jeunes et une dame plus âgée sur un PC, qui va « me rentrer dans le système ». Je suis à ce moment-là super content d’avoir ma carte d’identité sur moi vu que ça m’évite d’avoir à épeler mon nom avec une demi-langue. Et ensuite ? Rien. « On peut rien te donner, juste un verre d’eau pour rincer le sang. » Je le prends volontiers. Les différents secouristes me font ouvrir la bouche, et affichent tous une mine dégoutée. Un jeune à lunettes lâche à son collègue d’un air super savant : « Tu savais qu’il y a dix-sept muscles dans la langue ? ». L’autre marmonne que non et visiblement il s’en fout autant que moi.
Et donc si vous avez tous l’air épouvantés et que vous pouvez rien faire, peut-être que je vais pouvoir voir quelqu’un qui s’assurera que je garde ma langue en un seul morceau ? Bien… non. En fait il y a pas de médecin. D’ailleurs il y a jamais de médecin à ce poste de secours. Pour ça, faut aller à celui du camping. Après une petite pause, on retourne à l’entrée, puis on s’arrête. Ils ont entendu dans le talkie que les médecins n’étaient pas au poste du camping. On reste un moment devant l’entrée à regarder les gens sortir du festival. Sur un brancard devant le préfa, un mec bourré recouvert d’une couverture de survie revient progressivement à la vie. Il essaye d’arracher la couverture pour se trainer hors du brancard. Le secouriste lui jette des regards anxieux.
Mais c’est bon, on peut y aller ! Les médecins ne sont toujours pas là mais c’est pas grave. Petite randonnée accompagné de deux secouristes en passant par le Metal Corner, pour finalement arriver à la Mother Base, le poste du camping. Si un jour vous vous faites vraiment mal au Hellfest, filez directement à celui-là sans vous poser de questions.
On entre mes informations « dans le système » une deuxième fois et m’allonge sur un brancard entre deux autres patients. A ma gauche, un jeune secouriste aide un type en lui racontant une histoire super personnelle. A ma droite, un festivalier d’une cinquantaine d’années peut-être bourré, peut-être pas. Il a récupéré une baguette jetée par on ne sait pas quel batteur et il l’utilise maintenant pour lancer des sorts aux secouristes. Visiblement ça marche pas. Plusieurs d’entre eux viennent me poser des questions, prendre ma tension et ma température dans l’oreille.
Un nouveau arrive dans le centre. Il s’assoit et lui aussi montre l’intérieur de sa bouche : « J’étais au brutal caddie. J’ai fait le con, c’est le jeu. » Le brutal caddie se déroulant généralement pas loin de l’entrée du camping, je comprends mieux la décision d’y installer la Mother Base.
Fin de l’histoire, les médecins qui étaient perdus depuis quarante-cinq minutes finissent par arriver. L’un des deux m’examine rapidement : « OK, pas besoin de points. C’est quand il faut recoudre qu’on aime pas. » Soulagement et… quoi maintenant ? Une secouriste plus âgée prend le relais. Elle me raconte qu’elle s’est déjà fait la même chose et que c’est fou comme ça repousse vite, la langue. Vite ? « Deux ou trois jours. » Ah. Elle sort un petit miroir de sa poche et pour la première fois je constate le truc : oui, j’ai toute une partie de la langue gonflée. La frontière avec la partie en question est délimitée par un grand fossé qui a la forme de mes dents et l’ensemble donne l’impression d’une presque-île qui aimerait bien prendre son indépendance. Mais c’est en un seul morceau. Ouf.
Retour au camping avec instruction de revenir le lendemain si ça dégonfle pas ou si ça commence à s’infecter. Je passe la nuit sous ma tente à coller ma langue contre mon palais. Le lendemain matin je constate qu’elle avait dit vrai, il y a déjà du mieux. Bon, il y a toujours des trous et une partie qui fait flap flap toute seule, mais mieux.
Tout ça pour dire que MERCI. Merci à cet inconnu qui a tout lâché pour traverser tout le Hellfest avec moi à la recherche d’un poste de secours. Et merci à tous les secouristes qui sacrifient leurs nuits pour nous ramasser quand on perd à la bagarre. Désormais je checkerai toujours la position des postes de secours, et je ne me moquerai plus jamais de ceux qui viennent avec leur protège dents.