Cachez-moi. Je risque gros sur ce coup-là. Le Parti est à mes trousses, car nul n’avait osé fouler le territoire interdit de ce genre mal-nommé, mal-mené et mal-torché, qu’on appelle ‘chanson’, ici, au Comité Central de Visual Music. L’enjeu est de taille : infiltrer quelques éléments perturbateurs au coeur du système du webzine tout rouge, pour une révolte chantée sans headbang, pour une poésie grattée sans disto.
Moi-même je pensais ne jamais succomber à l’appel de l’ennemi, à ces sirènes posées ou mollassonnes du patrimoine franchouillard. J’avais tout de même mes plaisirs coupables, comme tout un chacun au Parti. Regardez : même theghostchild écoute en douce Michel Sardou. Mais cette fois, j’ai été pris de revers, et salement. L’Air Brut est mon bourreau, et m’a percé jusqu’à la moëlle. Des outils de choix pour une torture délicate : textes conscients mais jamais lourds, mélodies claires et vite familières, mixage puissant mais pas sur-produit.
Bien sûr, ‘Muse Insolente‘, premier album de ce quintet parisien, a ses petites failles. Des paroles parfois trop simples pour un propos trop grave (‘Arrête Mon Pote‘), ou qui laissent sur sa faim alors qu’il y a tant à dire (‘Alors Voilà…‘). Mais c’est tout. Le reste oscille entre tendresse amère (‘Julie‘), et magie propre au groupe, qui conjugue batteries pugnaces et arabesques d’accordéons (‘Le Malheur des Hommes’, ‘Muse Insolente’). L’Air Brut a la grande force de varier ses morceaux, en restant radical à l’intérieur de chacun d’eux : jazz, swing déluré, chants urbains, musette cynique, rêveries maritimes… et surtout une grande force mélodique qui pointe jusqu’à une bonne pop légèrement rockisée : voir à ce sujet l’imparable ‘Ephémère‘ qui met généralement à genoux. Une affaire musicale et textuelle, dans autant de sens possibles et imaginables, c’est rare.
Bien parti pour faire date, L’Air Brut me réconcilie avec la chanson française par un procédé simple : il en invente une nouvelle. Poignante, palpitante, soignée et sociale. Je risque gros.