Karen Elson – The Ghost Who Walks

La musique est un monde incroyablement ouvert mais c’est aussi un métier. D’où un habituel froncement de sourcils lorsqu’un non professionnel célèbre décide soudain que la musique a toujours été sa passion et sort un disque. Passe droit pour célébrité accepté dans notre monde mais qui reste tout de même infiniment bizarre si on le retourne. Imaginons que Thom Yorke soit fan de tennis. Est-ce qu’on le ferait passer pro directement, 13ème place mondiale à l’ATP de la même manière que la personnalité préférée des français nous abreuve de ses ignobles disques ? On en doute même si personne ne se plaindra de la carrière avortée de Black Francis en danseur étoile. Tout ça pour dire que le cumul des talents est rare et que pour une Zooey Deschanel, on a une tonne d’Agnès Jaoui, Sandrine Kiberlain, Karen Mulder ou autres mannequins chantants.

Double tare de départ pour Karen Elson puisqu’elle est mannequin de profession (on ne rit pas) qui décide de chanter et qu’en plus, histoire d’éveiller les soupçons, elle est l’épouse d’un certain John Gillies lui-même ex-époux de Meg White avec qui il joue dans un groupe. Le disque à peine reçu, on fonce vers les crédits et surprise : la dame a tout écrit ou presque et monsieur n’a que produit et joué un peu de batterie. Et l’écoute surprend. On imaginait que ce disque allait sonner comme les trois quart de la production folk féminine actuelle, à savoir une guitare sèche, des arrangements réduits au strict minimum pour faire authentique tu vois, paroles contant les premières règles et une voix haut perchée pour mieux se pendre à la fin. Rien de tout ça, ‘The Ghost Who Walks‘ est un très bon disque à l’ambiance folk vintage plus proche d’un bayou vaudou des années 30 que du flower power 60s. Les compositions de la dame tiennent largement la route (‘The truth is in the dirt‘) et leurs qualités sont bien mises en valeur par la production intelligente et assez originale pour ne jamais sonner cliché. Le tout rappelle un peu les excellents Blanche et comme par hasard la seule chanson qu’elle n’a pas composée (‘Lunasa‘) est la seule qui sent un peu le patchouli. Karen Elson a un vrai talent d’écriture (‘Pretty babies‘), de chant et se montre originale en allant puiser dans des ambiances originales de fêtes foraines hantées (‘100 years from now‘), de veuve éplorée pendant la ruée vers l’or (‘Cruel Summer‘) ou plus mystérieuses (‘The birds they circle‘), le tout rendu très cohérent par deux puissants liants : la voix et la production.

Très bonne surprise donc que ‘The Ghost Who Walks‘ qui marque la naissance d’une artiste inspirée (l’artwork vaut clairement le détour lui aussi) qui offre beaucoup grâce à ses compositions et une ambiance mi-cabaret mi-désolation sudiste qui font de ce premier album un très beau disque. « A ghost is born » disait Wilco, avant d’ajouter a cherry ghost. Et c’est vrai : ‘The Ghost Who Walks‘ est un disque qu’on a envie de chérir.