Les Ardentes, c’est un festival assez récent mais qui a déjà fait pas mal parler de lui en Belgique et ailleurs, et qui est facilement devenu un incontournable de la saison, entre le supermarché du rock conditionné Rock Werchter, les prétentieuses Francofolies de Spa et le légendairement sale (ou salement légendaire) Festival de Dour. Les Ardentes, c’est très clean, comme festival. On y mange les évidents hamburgers/frites, mais aussi toute une série de plats de cuisine du monde. On y boit des chopes, mais aussi du Get 27 et William Lawson. Quand on est habitué à la boue et aux bourrins des festivals classiques, cela surprend. L’affiche est à l’avenant : pas grand chose ne pourrait choquer le grand public, attiré par des têtes d’affiches bien sous toutes coutures, comme Ben Harper ou Charlotte Gainsbourg. Parce qu’à part le rock un peu plus dur, toujours absent, le festival bouffe à tous les râteliers : rap, techno, chanson, rock, pop, indie, un peu de tout, en somme, sans réel fil rouge ou recherche d’identité. Soit, ne faisons pas la fine bouche, pour une bonne raison : c’est la seule possibilité de voir Pavement en Belgique depuis leur reformation, si l’on excepte un concert à l’AB bruxelloise pour lequel il fallait tuer pour avoir une place.
Chaleur de plomb (non, sérieux, c’était le weekend le plus chaud de l’année) expliquant cela, je ne me suis pointé qu’en fin d’après-midi sur le site, mais à part des Plastiscines que j’aurais aimé voir entendre de près (je me suis rattrapé backstage, rassurez-vous), je ne pense pas avoir raté grand chose, tant l’affiche du premier jour était rassemblée en soirée. Petit tour dans la scène couverte, où un public clairsemé (on le verra plus tard, le public des Ardentes ne brille pas par sa clairvoyance) assistait à la prestation intense et mouvementée de Broken Social Scene. C’est là que j’ai eu la drôle d’idée de partir pour ne pas rater le début de Julian Casablancas. Que voulez-vous, je suis assez vieux pour me souvenir d’un certain album d’un certain groupe, et conserver quelques naïves illusions.
Le set de « JC » (rien que ça) a commencé avec un bon quart d’heure de retard, et surprend d’entrée : alors que son « autre » groupe est quand même assez stylé, ses musiciens ne ressemblent à rien, genre camionneur redneck, mauvais sosie de Fab Moretti et encore plus mauvais sosie de Zia des Dandy Warhols, sans ses légendaires attributs. Casablancas, quant à lui, arbore un t-shirt Ozzy, une veste en cuir rouge, un pantalon en velours tout aussi rouge et une mèche blonde. Grande classe. Heureusement, Jules s’est apparemment rendu compte que son album solo ne valait pas grand chose, et entame sur « Hard to Explain« , carrément. Ce qui marche très bien, jusqu’à ce qu’il se mette, quand même, à jouer des extraits de « Phrazes for the Young« , intercalés par un autre Strokes, « Automatic Stop« . Et puis, c’est fini. Après 30 minutes, Casablancas se casse, histoire de forcer un rappel. On aurait du lui dire qu’à 19h30, en festival, devant un public « mitigé », ça se fait pas trop. Bon, c’était « The Modern Age« , alors, on pardonne, mais le pire c’est qu’il refait ça juste après, il se barre, revient, marmonne, chante un truc pourri et repart pour de bon. Strokes = bien. Casablancas solo = pas bien. Mais Missy Elliott aura fait mieux en soirée, après avoir sorti de son chapeau les pires trucs du hip-hop live : retard, fin 30 minutes avant l’heure, « come on Brussels » à Liège, set DJ interminable, « guests », etc etc.
Cypress Hill était la véritable tête d’affiche du jour. En 2008, ils avaient retourné la seconde scène, et reviennent cette année sur le main stage, avec un nouvel album (« Rise Up« ) à défendre, et une horde de fans prêts à avaler chaque volute de fumée provenant de la scène (ils étaient aux Pays-Bas la veille…). Cypress live, c’est souvent carré et efficace. B-Real et Sen Dog au micro, le toujours fantastique Eric Bobo aux percus et un certain Julio G comme DJ, remplaçant Muggs dont on se demande s’il fait encore partie du groupe. Concert sans surprise, mais on n’en attendait pas non plus : hits à gogo, fumette, morceaux du dernier album qui tomberont vite à la trappe, et final sur « Rock Superstar« . Tout le monde était content, et tout le monde se casse : soit vers la sortie, soit vers la seconde scène, où Missy Elliott commençait 30 minutes après. Tant mieux, ça fait de la place. De la place pour Pavement.
Parce que le public du festival, sans vouloir généraliser à outrance, s’en fiche pas mal de la (bonne) musique, en fait. Trois jours plus tard, il restait un millier de personnes (sur 16 000!) pour la clôture du festival, avec Public Image Limited, qui est quand même (avec Pavement) le groupe le plus culte que Les Ardentes pouvaient s’offrir. C’est donc devant une assistance très clairsemée (et de plus en plus au fur et à mesure des nonante minutes de concert, oui, je parle wallon) que Malkmus et compagnie ont montré une fois de plus qu’on pouvait (donner l’air de) s’en foutre royalement et être magique. Malkmus balance ses accords sans médiator du haut de sa grande carcasse, Spiral Stairs porte un béret, Steve West un chapeau Jupiler très camping, Mark Ibold occupe le centre de la scène et se balade de droite à gauche comme le bassiste le plus classieusement nonchalant de l’histoire du rock, et derrière, Bob Nastanovich fait n’importe quoi. De « Silence Kid » à « Here » en passant par « Stereo« , « Date w/ Ikea« , « Range Life« , « Conduit for Sale« , plusieurs interventions de Broken Social Scene, et une quinzaine d’autres morceaux qui auraient du être autant de hits dans un univers parallèle et utopique, les cinq branleurs californiens ont séduit ceux qui étaient restés, mais de toute façon, les absents ont toujours tort. J’étais là, et je ne l’oublierai pas de sitôt. Putain de groupe.
Par Denis