S’il n’y avait pas eu le Garorock, je n’aurais jamais mis les pieds à Marmande, ville du sud-ouest bien tristounette même si les vieux y sont sympas. Mais avec ses programmations de qualité, le festival aquitain est capable de motiver n’importe quel vauclusien à rouflaquettes. Déjà présent en 2008, c’est le torse bombé et la glacière remplie de fluides en tous genres que je reviens sur le camping du site en compagnie de mes camarades pas forcément fréquentables. Problème : là où le soleil était éclatant en 2008, la pluie et les bourrasques de vent font rage en 2010. Après avoir monté, tant bien que mal, une über-tente à laquelle il manquait le sol, ingurgité un nombre incalculable d’éléments divers et variés et effectué un voyage épique dans la navette reliant le camping au festival, on se retrouve dans l’enceinte du Garorock.
DAY ONE
Pas de temps pour l’errance, Krazy Baldhead a déjà commencé à taquiner ses machines sous le Petit Chapiteau. Musicien (il est, parait-il, un très bon jazzman) et producteur hors-pair (son album « The B-Suite » est un petit bijou), le chauve protégé du label Ed Banger balance un set plaisant à base de beats chaloupés, de basses synthétiques pseudo-slappées et de synthés jamais superflus. Sur scène, c’est pas l’effervescence mais la performance de ce sudiste exilé à Paris ravit la plupart des festivaliers agglutinés devant la scène. Une délicieuse mise en bouche. Sur la scène voisine, le Hall Expo Digitick, c’est nettement moins subtil : Izia gueule, Izia harangue la foule, Izia demande au public de taper des mains, Izia se trémousse comme une pute, bref, Izia en fait des tonnes. La fille Higelin est une véritable show-woman punk, une bête de scène investissant la scène de façon époustouflante. Pourtant, au fil des morceaux, on a juste envie qu’elle ferme sa gueule. Vite. Le mini-short moulant n’excuse pas tout.
Après un ravitaillement express au bar, je m’avance dans le Grand Chapiteau pour voir comment se démerde Archive en live. Intenses et émotionnels, les compositions des britanniques sont élégantes (cf. « Controlling Crowds« ) et me transportent dans un délicat univers bleuté. À moins que ce soit l’effet de la sérotonine. Histoire de bien se placer pour le concert du Peuple de l’Herbe, on cherche déjà un point d’eau pour arroser nos organismes. J’entends « Hey You » de Pony Pony Run Run au loin. Lol.
Peuple de l’Herbe, c’est mythique. Auteurs d’un savant mélange d’electro, de dub, de drum and bass, de hip-hop et de rock (ouais, tout ça à la fois), les lyonnais ont pourtant un vilain défaut : leur public est majoritairement composé de néo-hippies, ces cons qui ont des atebas et des sarouels, rêvent de vivre dans un camion, écoutent Raggasonic et te cassent les couilles en festival à 8 heures du mat’ avec leurs didgeridoos et leurs tam-tams. Les mêmes que dans les concerts de Tryo. Du coup, c’est le point serré qu’on guette le moindre petit con foncedé au mélange pétard-Despé qui n’aurait pas le sens du rythme et qui marcherait sur nos pieds. Sur scène, contrairement à il y a deux ans au même endroit, Le Peuple bande mou. On se surprend à chanter le refrain de « Look Up » et à jouer des coudes sur le remuante et fédératrice « No Escape« , mais rien de bien fou. Heureusement que les albums ne vieillissent pas.
Sous le Grand Chapiteau, Pendulum passe des disques. Derrière les platines, tous les membres live du groupe sont absents. C’est Paul Harding, a.k.a. El Hornet, qui s’y colle. Paulo est un membre fondateur de Pendulum mais ne participe pas aux sessions studio et aux concerts du groupe. Il fait juste des DJ-sets. Un vrai VRP. Avec lui, un MC en carton scande des « Sounds of the Pendulum riiiight noooooow » à tout va. Lourd. Niveau son, l’australien passe quelques titres d' »Immersion« , du Bloody Beetroots, du Metallica, du Rage Against the Machine sans oublier l’hymne jungle de Pendulum, « Tarantula« . C’est toujours ça.
DAY TWO
Le mal de tronche est violent. La pluie est toujours de la partie. Les hippies ont sorti les guitares désaccordées. Mon portable sonne : [team]hilikkus[/team] est arrivé au camping. « J’suis près du parc pour gamin« . Du Pedobear dans le texte. Ni une ni deux, j’enfile un t-shirt, une bière et je cours vers le lieu en question. Je l’aperçois déjà au loin, trônant sur une butte tel un Dark Knight à capuche. Après s’être langoureusement embrassés dans l’herbe humide, nous assistons, près de notre tente, à un combat de boue entre deux éphèbes déjà bien imbibés. Il est 14 heures.
Alcool, THC, bouffe de merde et on se téléporte devant le concert de Java, formation rap-musette parisienne. Un bon groupe de bistrot, un peu démago sur les bords quand ça parle de religion mais terriblement excellent quand il enclenche son hymne « Sexe, Accordéon et Alcool » (« Java c’est pas de la menthe à l’eau, Java c’est du rock ‘n’ roll, Java c’est le vrai son parigot, la devise : sexe, accordéon et alcool ! »). Même pour un marseillais, ça passe crème. Sous le Grand Chapiteau, on reste attentif à la prestation de Ghinzu, plus pour son évocation dans le culte Dikkenek (« – C’est bien c’morceau là hein, c’est quoi – C’est Ghinzu – C’est anglais ») que pour son « Do You Read Me ? » qui était en heavy-rotation sur Europe 2. Après quelques riffs piqué à « Foxy Lady » de tu-sais-qui, la prestation des belges devient amorphe. [team]hilikkus[/team] émet un avis éclairé : « C’est très, très fag ». Petit coup d’oeil sur la scène du Hall pour confirmer que Nneka n’est pas la nouvelle Lauryn Hill et retour sous le Grand Chapiteau où Wax Tailor n’arrive pas à insuffler à ces morceaux le supplément d’âme live nécessaire pour ne pas endormir l’assistance. Nous, on baille.
Il faut attendre minuit pour prendre le premier frontkick de la journée : la roumaine Miss Platnum enflamme le petit chapiteau avec son bondissant hip-hop cuivré, fait des pas de danse improbables et balance des billets verts à son effigie. « She Moved In » est monumentale, la foule est ultra-remuante et [team]hilikkus[/team] se sert de son chibre comme d’une barre de strip-tease. Après ça, le set de Mr. Oizo, qu’on aurait pensé moins docile, semble un tantinet fade. Un « Aerodynamic » de Daft Punk même pas trituré, « Invaders Must Die » de The Prodigy, du Bloody Beetroots, deux-trois passages noisy et son fameux « Flat Beat » font le job, sans plus. Branleur. Pendant ce temps-là, Duchess Says régale les agités du Petit Chapiteau avec un electro-rock grassouillet et tapageur. Le mec aux synthés fait n’importe quoi et la chanteuse, possédée, descend dans la foule et se casse la gueule sur une minote visiblement sous kétamine. Délicieusement décadent.
Retour au camping. Il y a eu une petite visite dans notre tente : pour ma part, plus de dictaphone (pas d’interviews demain, donc), plus de chargeur de téléphone (et forcément, je n’ai plus de batterie), plus de sac Eastpak couleur moutarde. Et apparemment, on n’est pas les seuls.
DAY THREE
Après un au revoir chargé d’émotion avec [team]hilikkus[/team], personne ne veut m’accompagner pour voir Disiz le Peste. Ou plutôt Disiz. Tout court. Ou encore Peter Punk, son nouveau sobriquet. Fini le rap, « J’pète les plombs » (avec l’influence de Chute Libre qui va bien), tout ça. Désormais, Disiz fait du rock, est touffu et porte un marcel blanc. Bien accueilli par les festivaliers, l’ex-rappeur fait preuve d’une grosse énergie qui masque la sensation de sous-rock belge qu’exécutent ses musiciens. Et bien que ses messages transpirent le kikoo-engagement, le set de Disiz est une agréable surprise.
R.A.S chez Ultra Vomit, c’est toujours le même concert mais c’est toujours aussi scandaleusement bon. Quant à Mass Hysteria, c’est clairement un groupe de scène. Mouss (chant) n’est pas un frontman, c’est un G.O du Club Med Marmande. Quand il demande au public de faire un wall of death, tout le monde s’exécute, jeune, moins jeune, et avec le sourire. N’est pas fan de Kickback qui veut. Outre leurs « hits », les Mass reprennent « Bullet In Your Head » de Rage Against the Machine et « Roots Bloody Roots » de… Sepultura, également à l’affiche. Les brésiliens, qu’on aime bien traiter d’imposteurs, mettent tout le monde d’accord avec un concert écrasant sous un Grand Chapiteau à moitié vide. Les compositions post-Cavalera, comme « What I Do« , sont étonnantes de puissance et éclipsent les classiques du vieux Sepultura (« Roots Bloody Roots« , « Refuse/Resist« …). Il manque juste une chose pour que cette fougueuse formation soit reconnue à sa juste valeur : un nouveau nom. Et peut-être une seconde guitare en live, puisqu’on y est.
Un peu plus tard sur la même scène, le polyvalent Mos Def déboule avec le génial « Supermagic« , qui se révèle être le seul moment intéressant du show. Grosse déception. Hip-hop toujours, Anti-pop Consortium débute son set dans la pénombre ; les quatre rappeurs-bidouilleurs, disposés en carré, triturent leurs machines avant de prendre les micros et impressionnent en produisant l’un des concerts les plus intéressants du festival, entre hip-hop glacial et expérimentations bruitistes. Putain de brillant.
En deux ans, les italiens de Bloody Beetroots sont passés du statut de DJs mongoloïdes à celui de groupe (le duo est devenu trio) electro-rock explosif. Ou electro-punk. Ou rock hardcore technoïde. Bref, un batteur, un bassiste, un claviériste, beaucoup de samples, beaucoup de cris, peu de temps morts (le concert est exécuté comme un mix « organique ») et surtout peu de hits. Mais une énergie ahurissante et une reprise de Refused (« New Noise« , forcément). Après ça, j’apprends que les prix des boissons sont moins chères au bar VIP. En plus, là-bas, y’a du pastis.
Une demi-douzaine d’anisettes plus tard, DJ Pone (ex-Svinkels) clôture cette édition 2010 du Garorock avec un pot-pourri de toutes ses influences, des Béru’ à Vitalic en passant par The Doors. « The End » de la bande à Jim Morrison est le dernier titre à retentir dans l’enceinte du festival. On verserait presque une larmichette. Il y sera encore le bar VIP l’année prochaine ?