Billy Corgan ✖︎ Autre ✖︎ Ailleurs

Il y a dix ans se séparaient les Smashing Pumpkins, groupe dont on ne sait finalement toujours pas trop quoi penser. En 95, gros opportunistes ramassant à la pelle tous les malheureux trop jeunes pour avoir connu Nirvana non suicidé mais assez âgés pour avoir besoin d’un repère. En 98, un des rares groupes à miser l’intelligence de ses fans en ouvrant une porte, a door en anglais, audacieuse sur leur musique. En 2000, Corgan sabotait son groupe semble-t-il uniquement pour mieux le voir forcer son entrée de la légende. Depuis, Billy Corgan erre entre formation quasi mort-née, ouvrage de poésie, blog rancunier, carrière solo anecdotique et reformation sujette à caution car du line-up originel (D’Arcy Wretzky, James Iha, Jimmy Chamberlin, Billy Corgan) ne reste désormais que Corgan, mais faisons un simple test : prenez les quatre membres originaux, imaginez-les formant chacun un groupe s’appelant Smashing Pumpkins avec trois inconnus, vous ne pouvez en voir qu’un seul, lequel iriez-vous voir ?

Quand Tim Burton tournait encore des chefs d’œuvre, il savait montrer ce soupçon de pureté inaltérable qui se cache derrière toutes les motivations à travers une jeune fille dansant sous la neige ou un squelette découvrant un lointain pays coloré. Et la plus belle scène de sa filmographie est celle fictive où Ed Wood, travesti, rencontre Orson Welles. L’insignifiant rencontre l’idole, le petit garçon qui a un jour voulu faire des films arrive à la source de son désir de cinéma. Une chose aussi simple que Citizen Kane. Le jour où Ed Wood a vu la gloire et la décadence de Charles Foster Kane, il ne savait pas que sa vie allait être marquée à tout jamais pourtant, on peut imaginer qu’à chaque coups durs Wood s’est réfugié dans Citizen Kane et que dans son cœur, la pureté du sentiment est demeurée intacte. Même en réalisant ses pornos de fin de carrière. Je ne suis pas travesti –du moins pas ce soir-là- mais ce qu’Ed Wood n’a eu qu’en fiction, je l’ai eu en vrai.

Billy est à Paris. Information presque secrète circulant entre les quelques fans hardcores restant. Le but de cette courte visite est de promouvoir le livre « Chants Magnétiques« , co-écrit avec Claire Fercak déjà à l’origine de l’ouvrage « Smashing Pumpkins / The Tarantula Box« . Le bouquin (pas encore lu à l’heure où l’on tapote ces lignes) revisite les mythes de Médée et de Echo. Claire Fercak a écrit la partie de Echo, Corgan celle de Médée. Au lendemain d’une tristounette prestation à la TV –voir le traitement de has been infligé à Corgan est un peu déprimant pour lui- une rencontre est prévue à la librairie parisienne Atout Livres. Sur réservation uniquement. Claire lit et Billy l’accompagne à la guitare. Prévoir une surprise de la part de Billy dit le mail de confirmation. Faut-il s’attendre à la recette des Cookies made in Chicago ? Rendez-vous à 20h30. En bons provinciaux c’est à 19h qu’on approche de l’avenue Daumesnil. On entre et il est là, il vient d’arriver, il est seul dans un coin en train de bouquiner. J’ai beau l’avoir déjà vécu plusieurs fois, être en face de mon idole d’adolescence reste une sensation assez inexplicable. Martin Scorsese expliquait -à juste titre- que les œuvres nous marquant le plus sont celles qui nous ont touché entre 15 et 20ans, ensuite on voit de meilleurs films, lit de meilleurs livres et écoute de meilleurs disques mais l’impact émotionnel sera toujours en deçà de ces émois adolescents. Et être en face de Billy Corgan à 28ans me rappelle la personne que j’étais à 15ans. Je m’approche, entre timidité et détermination de ne pas laisser passer cette chance. Il me tourne le dos. Je me lance, le cœur palpitant :

-« Excuse me… »

Il se retourne. Mon ami photographe m’a dit plus tard qu’il avait flippé durant tout le temps où il prenait les photos, terrifié à l’idée que Billy puisse lui faire un geste, une remarque lui indiquant qu’il désapprouvait et m’a demandé comment j’avais fait pour lui parler, longtemps de surcroit, sans crainte de me faire envoyer sur les roses. J’ai flippé, il ne faut pas croire. Lorsqu’il s’est retourné, c’étaient quinze ans de ma vie que j’avais sur le cœur, c’est la seule personne que j’idolâtre assez pour tout lui pardonner, c’est l’artiste qui a le plus influé sur non seulement ma vision du monde mais sur ma vie en général, s’il fallait définir le moment le plus important de ma vie musicale ce serait ce soir de novembre 95 où je l’ai vu pour la première fois (pourtant comme tous les moments marquants Dieu sait que ça ne m’a pas marqué sur le coup) parce que finalement tout est parti de là. Il est en quelques sortes la source de ce que je suis devenu. Alors oui, j’ai flippé, mes genoux tremblaient, mon cœur battait au rythme de sa chanson « United States » parce que mine de rien, il se passe quoi si mon poster d’adolescent m’envoie bouler ?
Mais ça n’est pas arrivé. Il est exactement comme je voulais qu’il soit. Je n’ai jamais rêvé d’être buddy avec lui. Je veux mon poster, moi, je ne veux pas d’un être humain. Et de ce point de vue, c’est ce Billy Corgan là que j’ai eu. Mon poster m’a parlé. Gentiment mais pas trop. Sympa mais pas chaleureux. Souriant, le même humour sec que dans ses interviews. On a parlé du nouveau line-up, des lignes de basse de Nicole la nouvelle recrue, du prochain extrait de Teargarden by Kaleidyscope (« The Fellowship »), d’une éventuelle tournée européenne (visiblement, pas pour tout de suite, j’ai des détails assez affligeants à ce sujet mais je préfère garder certaines choses de ce précieux moment pour moi), de ses projets (« je suis un peu à court de chansons donc on va enregistrer le troisième EP avant la fin de l’année »), de Chants Magnétiques écrits par salves d’une heure et demi pendant huit semaines, de son projet de roman, des ses auteurs favoris (Philip K Dick, Kafka, Thomas Hardy…). Après un bon quart d’heure, c’est l’adolescent de 15ans qui frappe à la porte de l’esprit. Alors je lui demande si on peut faire des photos. Il hésite, regarde à gauche à droite mais finalement accepte (« je fais attention quand on me demande des photos parce que s’il y a trop de monde ça vire rapidement à la séance interminable »). Ensuite il prend congé de nous, très simplement, très gentiment. Les gens de la librairie annoncent au même moment qu’ils vont fermer leurs portes le temps de préparer la salle et nous demandent de sortir. J’aperçois pas très loin un fan qui a visiblement attendu tout le temps de ma conversation avec Billy pour lui parler à son tour. Il n’en a pas eu l’occasion à cause de moi, j’hésite encore entre m’excuser et lui dire que merde, c’était mon moment alors pour une fois, je ne pense qu’à ma pomme.

Vers 20h30, les portes de la librairie ouvrent à nouveau. L’événement a été très peu annoncé, on aperçoit une toute petite affiche à l’entrée, rien d’autre et surtout pas le bouquin en question en vitrine. On se croirait à un concert et on aperçoit les mêmes têtes qu’à tous les événements liés de près ou de loin à Corgan depuis dix ans. Une cinquantaine de personnes sont là et c’est rapidement que Corgan et Claire Fercak s’installent devant le rayon manga et jeunesse. Cette dernière lit d’abord ses passages écrits sur Echo pendant que le Smashing Pumpkins en chef gratouille quelques jolis arpèges. D’une très jolie voix, Claire parvient à captiver l’auditoire et même Billy lâche par moments sa guitare pour écouter les yeux fermés. A chaque passage distinct son thème de guitare. L’un d’entre eux rappelle un peu « Glass & the ghost children » de l’album « Machina / The machines of God« . Après 45 minutes, Billy annonce quelques chansons. Il fait d’abord honneur à ses dernières sorties avec 4 chansons de « Teargarden by Kaleidyscope » qui sonnent incroyablement bien (mieux ?) en acoustique. Débarrassée de ses oripeaux de power-ballad à la Eagles, « A Song for a son » est vraiment troublante. Le moment est assez magique tant il y a très peu d’efforts à faire pour imaginer que Billy joue rien que pour nous. Il annonce ensuite une chanson de « Mellon Collie & the infinite sadness » et entame la sombre ballade « In the arms of sleep« . L’adolescent de 15ans refrappe à la porte et l’émotion qui se dégage est palpable dans la salle. Opportuniste ou pas, en 1995, cette chanson a probablement marqué plus d’une personne au fer rouge et c’est finalement là la seule vraie réponse à nos interrogations de jeune adulte. Billy annonce une chanson de Johnny Halliday ou Plastic Bertrand et débute l’arpège de « To Sheila« , peut être sa plus belle chanson. Une nouveauté ensuite, jouée pour la première fois, « Jesus needs a hit« . Si l’on doute que ce titre soit le hit dont a besoin le fils de la Vierge, on profite du moment. « Tonight, tonight » en rappel avant l’obligatoire séance de dédicace. Certains ne s’embarrassent pas de détails et font signer à Billy un nombre incroyable de posters, livrets, guitares… mais pas son livre.

Si l’on ne peut qu’être troublé devant le plan marketing plutôt confus de Corgan, une soirée comme celle-ci a le mérite de répondre à nos questions de manière claire : peu importe ce que fait Corgan aujourd’hui, peu importe la place qui est vraiment la sienne dans l’histoire de la musique et peu importe l’objectivité dont j’arrive à faire preuve aujourd’hui sur sa musique, ce type restera à tout jamais mon héros. Même si certains ne voient plus que le Zero.

Plus de photos ici.