En ce début de printemps, le soleil chatouillait la libido des arbres qui s’étaient lancés dans un concours viril, à grands coups de giclées de pollen. Autant dire que j’ai eu rapidement marre de ma faire jouir dans le nez par des plantes vertes, et que je décidais de me réfugier sous terre, dans l’ombre des caves du Klub.
C’était justement ce jour là que se tenait le Glad Stone Fest, qui outre la bonne ambiance dont il a la réputation, bénéficiait pour sa quatrième édition d’un bon échantillon de ce qui se fait de mieux en France en matière de stoner. En bas des escaliers deux affichettes donnent la programmation répartie entre « salle du haut » et « salle du bas », avec des horaires aménagés de sorte qu’il était possible de tout voir en ne trainant pas d’une salle à l’autre. Huit groupes en tout, qu’on ne vienne pas se plaindre que le prix des places explose quand on peut se faire une aussi belle sélection pour moins de quinze euros.
Les premiers à passer ne sont pas français mais italiens. Otehi nous livre un stoner désertique qui fleure bon les champignons et le sable chaud. Les morceaux sont longs et on rentre volontiers dans leur rêverie servie par un guitariste aux chaussures qui glisse, tombant à genoux pour changer ses effets. Le bassiste est un grand gaillard dont on n’apercevra pas le visage et qui manque à plusieurs reprises de se prendre la voute de pierre. On retrouvera ces deux là en train de mettre l’ambiance aux premiers rangs de presque tous les concerts du festival, les plus heureux ce jour là c’étaient eux. Le concert se termine par une tentative de solo de flute à bec du guitariste. Tentative puisque que sa flute est un bout de plastique bleu transparent made in carrefour et qu’il en manque un bout. Il finira d’ailleurs par l’exploser par terre. Une très bonne découverte donc qui nous permet d’attaquer le fest avec le sourire.
En remontant dans la salle haute on tombe sur les nancéens de Wheelfall. Plus question de rêverie ici, ils jouent un stoner metal qui réveille net. C’est violent, bien exécuté, sans un poil qui dépasse. Le visage d’ange du chanteur contraste avec le cri de bête qui en sort. Je suis simplement content quand ça se termine parce que ça veut dire que c’est l’heure de redescendre à la très basse salle pour aller communier avec Huata.
En repassant devant le programme je me rends compte que quelqu’un a transformé le « t » en croix renversée, le ton est donné. On reste un moment devant les musiciens pendant le sound check. Sur le clavier du chanteur pour le moment absent, un crucifix, un gros bouquin avec la tête à Jésus en couverture, deux bouteilles de bière et une de chouchen qui nous rappelle que les mecs sont rennais. Et puis tel un diable qui sort de sa boite, le chanteur/claviériste jaillit sur scène vêtu de sa robe cérémonielle rouge sang. Les autres se contenteront de rester en jean et t-shirt, le sacré c’est cool mais il commence à faire chaud dans la cave. S’en suit une longue liturgie illustrée par un son graveleux assourdissant. Les amplis crachent des riffs lents, lourds et ignobles par-dessus lesquels on entend parfois les psalmodies hurlées du chanteur. Fidèle à sa réputation, le groupe joue fort et certains regrettent encore d’avoir oublié leurs bouchons. Les fidèles restent un moment dans l’expectative puis commencent à se mouvoir lentement quand commence « Lords Of The Flame », premier titre de leur album « Atavist Of Mann ». Le maître de cérémonie partage généreusement ses bouteilles avec les autres membres du groupe et tend les bras (quand ses mains ne sont pas prises par le clavier) en signe d’invitation à la communion. Une expérience d’une salle beauté dont on ressort à la fois sourd et heureux.
La prestation de Coffin On Tyres peut se résumer en deux mots : « burnes » et « goove ». Il est plus de vingt heures et pour la première fois ça commence à bouger, la faute à une mélodie irrésistible et un sens du show indéniable. Il faut dire aussi que ce n’est pas leur premier passage dans ce festival et que le public a l’air de les connaitre. Dans la fosse les poilus sautent, se prennent dans les bras et se font des bisous. C’est à ce moment là qu’on nous présente Karine, la poupée gonflable du festival, seulement vêtue d’un t-shirt de l’événement. La belle ne cessera de slammer jusqu’à la fin du concert, quand les gens quittent la salle pour aller voir Abrahma en bas.
Il s’agit en fait des Alcohsonic, bien connus de la scène stoner française. Ce concert sera leur premier en tant qu’Abrahma, leur nouvelle identité stono-trippante. L’artwork de leur premier album « Through The Dusty Paths Of Our Lives » réalisé par Alexander von Wieding représente un Baphomet en position de méditation. S’il ne faut pas juger un livre à sa couverture, la pochette de l’album d’Abrahma donne une parfaite idée de son contenu : à la fois violent et planant. Le groupe attaque par « Neptune Of Sorrow », seul morceau révélé jusqu’à présent qui embaume la cave d’une douce odeur de champignons. Pas un simple arrière gout comme chez Otehi, mais plutôt une ration bien fournie. Le chanteur annonce « Big Black Cloud » pour lequel ils ont collaboré avec Ed Mundell (ex lead guitariste de Monster Magnet) et on se prend à regarder derrière « au cas où ». Toujours ce vieux réflexe, je sais que c’est impossible, mais « on sait jamais ». Bref, il était pas là. Une fois le concert achevé on a qu’une envie : les revoir le plus vite possible et mettre la main sur leur album des qu’il sera disponible.
La remontée nous offre une claque semblable à la transition Otehi/Wheelfall puisqu’on se prend Flesh & Dust en plein dans la gueule. Si on a fait la fête avec Coffin On Tyres, avec Flesh & Dust c’est la guerre. Premier groupe vraiment violent du festival, ils nous offrent un beau bordel dans la fosse et on commence enfin à gentiment se mettre sur la gueule. Karine prend cher. Les riffs sont stoner (c’est la condition d’admission au festival) mais le chant ferait plus penser à du hardcore. A coté de moi un mec gueule « Ah putain j’suis pas déçu d’être venu ! ». Moi non plus.
La petite salle accueille alors de nouveaux inconnus : Escape From Paris. Je m’étais un peu renseigné avant de venir et je leur avais trouvé un seul gros défaut : l’accent à chier du chanteur. On s’échappe de Paris mais pas de la France. Or, en live ce défaut s’oublie bien vite pour laisser place à une énergie folle et des paroles quasi-rappées. Ils laissent dans la salle des EP dont le blanc ressort particulièrement bien à la lumière noire. Alors que la plupart des groupes offrent leur album en téléchargement gratuit, eux te le filent en physique. On se promet d’écouter ça à tête reposée et de retourner les voir à leur prochain passage dans la capitale dont ils tentent de s’échapper.
Il est minuit moins le quart quand commence le set de Jumping Jack. Ca fera bientôt six heures qu’on se traine de salle en salle et la fatigue et l’alcool commencent à se percevoir sur les visages des guerriers encore présents. « « Trucks And Bones » », l’album de Jumping Jack m’avait laissé à première écoute un gout amer. Alors que le premier EP sentait bon la poussière et le soleil brullant j’avais eu l’impression d’une orientation un peu trop metal ou plutôt trop propre sur cette suite. Le live me rassurera un peu. S’il est évident que la machine a fait un tour au car wash, elle reste lourde et continue de grincer de partout. Plus le set avance, plus mes craintes s’amenuisent et je sortirais finalement du Klub non pas convaincu, mais au moins rassuré.
Je rentrais donc chez moi le cerveau caillassé d’amour par un festival chaleureux à la programmation de qualité. La prochaine édition est prévue pour le quatorze octobre, soyez présents.