Dimanche
Un dimanche matin riant, avec cette fois un soleil bien accroché et décidé à ne pas bouger avant d’avoir fait cramer les 25’000 festivaliers sur place. C’est tant mieux, on a du pain sur la planche, à commencer par la douche mixte et la queue pour un café dégueulasse alors que les suisse-allemands sont encore à la bière, au joint et au kebab. Pas la même culture je vous dis.
Et le soleil ne sera pas la seule bonne surprise de ce début de journée: L’autre s’appelle 80’s Matchbox B-Line Disaster, un groupe au nom autant imprononcable que leur musique est imbuvable. Ma première réaction face aux cinq zombies qui se tiennent devant moi est de me dire qu’Iggy et les Stooges ont changé de nom… C’est du glauque et du rauque, c’est de la disto qui vient droit des enfers, c’est du rock pur et brut de décoffrage, ça se tortille et ça se roule par terre, c’est dégueulasse et on en redemande. Vingt toutes petites minutes de set seulement pour un groupe qui gagne à être connu et que je vais pas lâcher de sitôt. Une merveille !
Je rate volontairement le groupe suivant qu’est Breed77 et qui semble nous décliner leur métal sous la formule métissage avec du flamenco… Je vois et j’entends de loin, depuis les stands de nourriture où je cherche à me ravitailler.
Et je passerai très rapidement sur le groupe suivant également: Finch, qui vient nous repasser une couche d’emo à mèche mais qui le fait très bien, avec une présence scénique irréprochable et un son excellent.
Voilà venu le moment de m’aventurer un peu plus longuement dans la tente qui abrite la « petite » scène pour aller soutenir le groupe local le plus connu du canton de Vaud: Les Favez. Il aura fallu que je vienne jusqu’au plus profond de la suisse-allemande pour enfin apprécier leur set éléctrique, alors que je les ai déjà vu au moins trois fois en accoustique ! Le public est partagé entre les romands connaisseurs et donc déchaînés, et les germanophones qui visiblement sont en train de prendre une grosse claque, qui hochent la tête en souriant. Il doit faire au moins 35° dans ce four, mais rien n’arrête le combo lausannois qui nous explose son rock musclé à la tronche, sous un éclairage délicat et judicieux. Excellente communication entre le public et la scène, le groupe est visiblement très heureux de jouer dans ce super-festival et le montre. Fin de set en apothéose, ils auront même droit à un rappel, le premier que je vois des 3 jours si on met Green Day à part.
Lorsque je ressort, les sécus commencent à regretter sérieusement de porter un uniforme noir. Le public de la grande scène se fait copieusement arroser à la lance à incendie, et j’intercepte juste les quelques dernières notes de Alter Bridge qui nous gratifient d’un « Stairway To Heaven » à la grande joie des petits et surtout des plus grands. Sitôt leur concert fini je me précipite dans la fosse pour d’une part me mettre à l’ombre, et d’autre part attendre ce que j’attends depuis très très longtemps: La venue de Flogging Molly. Et je ne vais pas le regretter: Une heure de set qui passe comme 5 minutes tant le concentré de leur meilleures chansons est dense, et une manière de faire un live qui me plaît beaucoup: Un maximum de pêche, presque pas de répis pour les jambes, des messages drôles et pas trop longs… Des musiciens irréprochables, une ambiance du tonnerre (hoho) et un des pogos-jig-celtique les plus chaud que j’aie jamais fait en ce milieu d’après-midi et malgré l’arrosage ininterropu de la sécu, ça sent le bouc. Un seul bémol tout de même, le contact entre le public et le groupe est assuré uniquement par le chanteur (génial), les autres musiciens se contentant de jouer et de boire des bières. La Guinness est de rigeur… Mais ce bémol se verra contrecarré dès la fin du show où on se retrouve face à une grande majorité de la formation descendue dans le public pour serrer quelques pinces et prendre des photos à qui le veut. Nous, pardis !
Passé ce gros cap, la fatigue commence sérieusement à se faire sentir. Mes docs qui ont plutôt servi de four que de chaussures à mes pieds réclament un peu de répis, alors j’opte pour la solution grand-écran-a-l’ombre pour les deux shows qui suivent.
Le premier, il s’agit de International Noise Conspiracy que j’ai vu il y a quelques mois dans une salle aux proportions plus humaines. Un rapide coup d’oeil au plateau me laisse comprendre qu’ils feront plus ou moins exactement la même chose, et pour cause, on ne change pas une équipe qui gagne: Du rouge partout, des messages clairement anti-capitalistes (qui jurent un peu avec le contexte il est vrai, mais le chanteur ne manquera pas de le faire remarquer aussi), et du bon garage survitaminé pour enrober le jeu de scène irréprochable de l’ex-leader de Refused qui mène d’un micro de maître cette formation suédoise. A voir absolument pour ceux qui ne connaitraient pas (encore).
Le second, c’est Turbonegro. Et j’en attendait pas mal de celui-là, enfin surtout du public, car ça faisait trois jours qu’on voyait se promener plein de gens en blouson jean frappé d’un logo « TurboJugend », suivi de noms de villes de toute l’europe. La communauté étant là, le concert ne peut être que bon. L’autre grand avantage du groupe est de faire dans un registre résolument rock FM qui présente la particularité d’être odieusement facile à retenir. Même un spectateur beta (et bêta) qui ne connait aucune chanson du groupe les finira toutes en chantant au moins le refrain à tue-tête, tant la mélodie et les paroles sont faciles à mémoriser. Moi qui avait écouté les albums principaux deux fois (au grand maximum), j’étais gagnant d’avance. Allez je vais être très honnête avec vous, je me suis endormi. J’étais assis sagement au milieu de la piste d’atterisage qui servait de sol au festival, j’en suis rapidement passé à la position affalée pour finir franchement couché sur le dos, en plein soleil et devant un grand écran, coiffé de mes boules quiès et j’ai cédé. Peu importe, le plus important est que je me sois réveillé à temps pour le tube interplanétaire du groupe: « I got erection« . Un grand moment, surtout si on tient compte du visuel de la chose: Les déguisements des membres sont carrément burlesques, virant presque sur le sado-maso bon enfant à la Village People, et voir un petit gros moustachu au bide à bière hurler ça en tenant un sceptre de roi à la Freddy Mercury, ça fait plaisir. Une excellente sieste suivie d’un excellent reveil donc, et ce groupe somme toute assez fade sur CD prend vraiment toute son ampleur une fois sur scène. Immanquable.
J’ai de nouveau opté pour la stratégie « je fais des réserves pour tenir le coup tout devant jusqu’au bout », puisque dès la fin du set de Turbonegro je me précipite dans la fosse pour y apprécier au maximum les deux concerts restants avec en tête une idée de dernière ligne droite. Et les deux concerts restant en question, c’est pas les moindres, jugez plutôt.
Arborant fièrement une décoration à l’effigie de leur dernier album « Kingwood« , Millencolin investit la scène de manière assez sobre et classique: Bassiste-chanteur, batterie et deux guitares, cette formation était l’une des dernières de punkrock ayant bercé ma tendre adolescence que je n’avais pas encore vu en concert. J’en attendais donc beaucoup, j’aurais peut-être pas du… Je sais pas si c’était vraiment dans l’idée du groupe de présenter leur dernier album en entier ou bien si c’est une question de business, mais toujours est-il que leur set est d’une molesse incroyablement décevante. On est loin, très loin des rythmes frénétiques des « For Monkeys » et « Same old tunes« . Je profite quand même d’une très bonne version de « Fox« , mais autour de moi le public semble sur les rotules et absolument pas motivé à bouger le petit doigt, et ce manque de répondant ne va pas aider ce show déjà ultra-carré et beaucoup trop conventionnel. Reste les choeurs de Millencolin qui sont toujours autant mythiques, et voir les deux guitaristes tenir des notes uniques ou doubles est un vrai plaisir. C’est beaucoup trop statique sur scène, mais contrairement à Green Day au moins eux ne perdent pas de temps pendant et entre les chansons, et ce qu’ils disent est plutôt sympa et marrant. Encore une chose qui va m’interloquer et me plonger dans l’incompréhension de la démarche: Le guitariste prend le micro pour dire quelque chose comme « Vous trouvez pas qu’il manque quelque chose ? Une bonne vieille chanson de notre meilleur album ? » Et hop ils se lancent toutes guitares dehors sur un « Lozin’Must » endiablé. Comme si quelque chose les retenait de se faire plaisir, et qu’ils étaient condamnés à jouer leur chansons récentes et molles. C’est globalement insipide et décevant, hormis quelques bonnes surprises comme l’excellent « Mr Clean » qui ne manquera pas de nous faire tenter quelque chose dans le pogo. Mais comme le soir d’avant, on se fait mal voir par les fillettes venues voir un groupe trop cool de punk qu’elles kiffent à mort.
Alors que le changement de plateau se fait devant une foule qui devient vraiment très serrée, je discute brièvement avec des bretons lassés de la multitude de groupes de punk à roulette qu’ils ont vu ces trois derniers jours. Eux sont venus pour voir Queens of the Stone Age (dommage), Nine Inch Nails (vraiment dommage) et Mars Volta, remplacés par un groupe local suisse-allemand de punk à roulette justement, suite à un ennui de santé du guitariste. Dans le désarroi le plus total, ils se sont donc battus pour avoir une place au premier rang afin de profiter au maximum de leur dernier espoir: System Of a Down.
Franchement, je pense que très peu des 25’000 personnes manquaient à ce moment là dans la foule. Tout le monde était là pour eux, et pendant toute la durée du festival on a entendu résonner les albums de ce groupe dans toutes les stéréos du camping et des bars, à saucisses ou à bière.
Autant le dire, moi je m’attendais pas à grand chose, ayant reçu d’assez mauvais échos quant à la qualité sonore des shows du groupe en live. Cette fois, ils nous la jouent rock-star: Une immense toile cache la scène, et sur cette dernière le graphisme de leur dernier album, « Mesmerize« .
22h, la foule chauffée à blanc acclame l’ombre de Daron qui attaque les premières mesures de l’intro de ce même album, « Soldier Side« . Je le savais: Ils commencent tous les shows de leur tournée par les deux chansons qui attaquent « Mesmerize« , et c’est donc sur la première note de « B.Y.O.B » que tombe la toile et que le concert commence sur les chapeaux de roue.
On déconne plus. Exit les minettes de 15 ans, c’est du musclé. Le pogo est immense et costaud, c’est jouissif. Tout le monde hurle les paroles, tout le monde bouge, tout le monde se fait plaisir. Mes boules quiès se voient arrachées à la troisième mesure, mais peu importe, je suis complétement halluciné par ce que j’ai devant les yeux… Et ça n’arrêtera pas pendant une bonne heure et demie de set. Toutes les chansons que j’aurais voulu entendre y sont, et aucune ne justifie les critiques que j’avais entendues, si ce n’est peut-être « Suggestions » qui est interpretée de manière un poil poussive. Des professionnels, des vrais. Mais surtout des musiciens vraiment très très impressionnants, une musique qui est vraiment en-dessus de tout ce qu’on peut imaginer dans le genre, un show irréprochable. Le public ne faiblira pas un instant, comme pour donner tout ce qu’il reste sur ce bouquet final qui le mérite on ne peut plus… Daron gère parfaitement sa solitude de guitariste, son son est énorme et largement suffisant. Serj Tankian nous prouve que sa voix est capable du meilleur sur scène aussi, et Shavo maltraite sa basse avec une aisance déconcertante, sans s’arrêter une seule fois de tirer en même temps sur une clope (ou autre, je veux pas le savoir). Rien à dire de plus, aucun discours inutile entre les chansons, des transitions à couper le souffle et un rythme impécable dans la setlist. On leur reprochera juste pour la forme le petit interlude « on est cool on emmerde l’autorité »: Daron insultera directement un sécu qui s’évertue à empêcher les gens de monter sur les épaules des autres, et profite de la fin de la chanson suivante pour exiger que tout le monde le fasse « juste parce que c’est interdit et que personne ne peut vous interdire de faire ce que vous voulez ». Un peu décevant quand on connait l’intelligence et l’engagement du groupe au niveau politique, et surtout quand on a vécu 3 jours avec le service de sécurité qui a vraiment fait des efforts énormes pour être très sympa et relax. C’est vraiment rare et j’ai beaucoup apprécié. Pas de rappel, c’est un peu dommage aussi mais visiblement c’est dans les habitudes du groupe. Et peut-être que quelque part c’est tant mieux vu l’état de fatigue général des festivaliers, qui mine de rien viennent de se bouffer plus de 24 heures de concerts en moins de 3 jours !
Nous voilà rendus. On profite de ce dernier soir pour s’envoyer quelques verres de bière locale (sponsor officiel de l’événement, mais c’est vraiment tout le mérite qu’elle peut avoir), et pour ma part j’essayerai encore d’aller faire un peu la fête à l’after officiel dans une immense tente. Je ne tiendrai pas très longtemps, l’ambiance fin de soirée suisse-allemande sans au moins 3 pour milles dans le sang n’étant simplement pas envisageable, je préfère aller faire un ultime pogo avec les taupes qui décidément sont très très rock’n’roll dans la région.