«Pourquoi 4 ans d’absence ?»
A voir John Stargasm et Greg Remy étalés à plat ventre sur les banquettes de Barclay puis pris de délires compulsifs sur cette question à notre entrée dans la pièce, on comprend que la rengaine de la promo a commencé pour Ghinzu. Il faut dire que depuis une tournée des festivals en 2005 et surtout un Olympia gravé dans la mémoire collective des Warriors, de longues années se sont écoulées au cours desquelles nous avons eu le temps de nous remettre de la claque de Blow et de lancer des paris sur la tournure du prochain album. Pourtant pendant ce temps, les Bruxellois n’ont pas chômé. Rejoints par Tony «Babyface» Michel et Jean Waterloot de Montevideo, le trio historique John/Greg/Mika peaufinait «Mirror Mirror», un album surprenant et maîtrisé dont le voyage sur le fil des toutes les émotions devrait en déstabiliser plus d’un. Toujours aussi décalés, drôles et propres sur eux, les «Song Warriors» sont bel et bien de retour avec déjà un Zénith en ligne de mire à l’automne.
On va commencer de manière originale, pourquoi 4 ans entre ces deux albums ?
(rires)
John Stargasm : C’est vraiment ta première question ?
On va commencer par ça, il y a eu beaucoup de rumeurs (fichiers perdus, album recommencé de 0 …) donc on va tout mettre à plat.
John Stargasm : Attends, je vais juste essayer de deviner ta deuxième question.
Greg Remy : Pourquoi l’avoir appelé Mirror Mirror ?
John Stargasm : Non, celle-là vient encore après.
Ah non, elle n’est pas prévue !
John Stargasm : Ah OK. Pourquoi 4 ans ? Parce qu’on est rentrés de tournée et on a dû s’extraire de la musique, il y a donc déjà 8 mois pendant lesquels on a absolument rien fait. Puis on s’y est remis sans être dans un état d’esprit de travail, on voulait juste jouer et voir ce que ça donnait. On a aussi changé une partie du personnel à la rythmique (Fabrice George a quitté le groupe en 2006, il est remplacé par Antoine Michel). On avait dans l’idée d’écrire des choses très différentes en restant malgré tout dans le même projet et aussi quelque chose qui nous satisfaisait pleinement, quand on a commencé cet album il était clair qu’il ne sortirait que si on en était contents. Cela explique aussi notre déformation professionnelle à prendre les morceaux, les défaire, les refaire ; du coup la majorité des morceaux sur l’album a été enregistrée plusieurs fois. On a aussi voulu travailler avec d’autres personnes mais on s’est ensuite rendu compte que pour certains enregistrements, il valait mieux qu’on s’en occupe nous-mêmes. On a eu beaucoup de plaisir à faire cet album et comme on a eu un petit succès avec Blow qui nous a permis de voyager et de rencontrer pas mal de monde, on avait envie que l’album ne déçoive personne. On fait aussi de la musique pour les autres donc on veut se donner à fond.
Justement comme tu viens de le dire, Blow a été très bien accueilli par la critique et le public. Du coup avez-vous ressenti une pression positive ou négative en travaillant sur Mirror Mirror ?
John Stargasm : Je ne sais pas, on n’avait pas fait exprès avec Blow. On jouait juste des morceaux qui nous plaisaient puis le succès nous a donné confiance en nous. J’ai l’impression qu’avant on se bridait un peu en se disant «non ce n’est pas nous, on ne peut pas faire ça» alors que là on était plus libres et on savait que c’était ça qu’on devait faire.
Sur Electronic Jacuzzi, vous aviez choisi un parti pris très fort sur la production, de là en a découlé un contenu très homogène contrairement à Blow qui était beaucoup plus éclaté. Sur ce point-là, je trouve que Mirror Mirror ressemble plus Electronic Jacuzzi, il y a une sensation de globalité quand on l’écoute. Portez-vous également ce regard sur l’album ?
Greg Remy : Je suis d’accord avec ce point de vue.
Mika Nagasaki : Moi, pas du tout !
John Stargasm : Je pense que le son a plus de caractère et comme c’est le même caractère du début à la fin, cela rend l’album plus homogène. Je ne sais pas si le son d’Electronic Jacuzzi correspond bien aux morceaux qu’on avait composés à l’époque mais pour Mirror Mirror on est très proche du but recherché.
Greg Remy : Je pense que c’est aussi probablement une histoire de jeu. Dans le premier, on joue un peu n’importe comment sur tous les morceaux et dans celui-ci on joue assez bien sur tous les morceaux, ça rend aussi un contenu homogène. Tandis que sur Blow c’était un mix des deux.
Mika Nagasaki : Je suis plus d’accord avec ce point de vue-là.
Chacun de vos albums a une identité très marquée et pour une personne qui apprécie Ghinzu il faut presque faire un deuil à chaque nouvel opus pour accepter cette nouvelle orientation et l’apprécier à sa juste valeur. Comment arrivez-vous à vous réorienter à chaque fois dans une direction très différente ?
John Stargasm : On est un groupe assez instinctif. En tout cas on écrit de manière instinctive en jouant tous ensemble. Il est vrai que ça prend du temps quand tu écris de voir quel album tu es occupé à faire, il faut déjà avoir 4-5 morceaux et voir où ça va. Par contre nous avons quand même eu des réflexes identiques à ceux de Blow, même si les morceaux ont tous été composés sur la même note, on voulait qu’ils soient bien différents les uns des autres.
Mika Nagasaki : En même temps on ne décide pas à l’avance de ce qu’on va faire. On aurait pu faire un morceau reggae mais ça n’a pas encore été fait. On a aussi un morceau qu’on a qualifié de Ska-Punk qui a été écarté de l’album mais on ne décide pas quel genre on va faire, on se laisse aller.
John Stargasm : On choisit les morceaux en fonction de l’affection qu’on leur porte, on met ceux qu’on aime. A posteriori, tu as toujours tendance à te regarder et à expliquer l’album que tu as voulu faire mais finalement je dois t’avouer que tout ça est très instinctif.
J’ai l’impression malgré tout que vous aviez une intention plus pop sur certains morceaux de cet album, était-ce le cas ?
John Stargasm : C’est pareil, je pense que de manière instinctive on a été à certains moments amenés à utiliser des structures plus classiques dans lesquelles on a eu une sensation de liberté en terme d’arrangements ou de mélodies alors qu’avant on n’était pas très à l’aise avec ces structures. Je crois que c’est probablement une question de maturité où naturellement le jeu du format est devenu intéressant pour nous. Avec le recul, il y a des morceaux de Blow qui sont biens parce qu’ils sont tripants mais où on arrive moins rapidement à l’essentiel. Je pense qu’avec Mirror Mirror nous sommes allés chercher plus vite les sensations qu’on voulait procurer aux gens et à nous-mêmes.
De l’extérieur on a un peu la même image que sur le visuel de l’album : une sorte de laboratoire ou vous expérimentez et malaxez les sons. Comment se déroule votre travail en studio ?
Mika Nagasaki : En général, on a à peu près 50 % du morceau et puis il y a une cellule principale et deux cellules parallèles : le laboratoire de Greg avec 500 pédales par terre et la deuxième où on amène nos démos et on trouve les parties à réadapter. Et puis on récupère ce que Greg a enregistré sur des cassettes, on les passe sur les ordinateurs alors il faut adapter, découper, on adore ça.
John Stargasm : Je ne sais pas si on adore ça ! Il y a aussi un élément qui explique la durée du travail en studio, c’est qu’on aime se laisser le choix. On prend un morceau, il va y avoir deux refrains différents qu’on va enregistrer et puis on va avancer en terme d’arrangements sur les deux de front. On peut même se retrouver avec des morceaux enregistrés cinq fois comme « This war is silent » où il y a une partie très à fleur de peau, piano et guitare acoustique, puis il y a un bon morceau de Justice qui sort dedans avec une fin plus électro.
J’ai l’impression que vous avez beaucoup plus exploré les possibilités du travail en studio sur cet album. Il y a un gros effort sur les textures, sur les voix aussi et ce son parfois très synthétique. Aviez-vous la volonté de mettre un fort accent sur tout ça ?
Greg Remy : En fait on a travaillé au studio ICP à Bruxelles qui est l’un des cinq meilleurs studios du monde parce qu’ils ont une quantité phénoménale de matériel donc on avait tout à disposition. On en a utilisé bien la moitié et on a eu le temps de travailler sur des créations de sons et de textures.
En 2007, vous avez fait un concert aux Ardentes alors que vous étiez en pleine période de travail sur l’album. Ce passage sur scène a-t-il eu une influence sur ce que vous avez produit par la suite ?
John Stargasm : En réalité ce n’était pas nous sur scène. Comme on était en studio, on a pris des gens qui nous ressemblaient avec des bandes son mais ça n’a jamais été nous. Tout cela fait partie d’un groupe organisé qui sait profiter des nouvelles technologies. Tu y étais ?
Non mais j’avais récupéré des mp3 et visionné des extraits sur le net.
John Stargasm : C’était difficile parce qu’on était dans notre album et en même temps on avait prévu des échéances en anticipant sa sortie, puis le concert est arrivé alors qu’on n’avait pas terminé l’album et on s’est retrouvés à répéter pendant trois mois pour le préparer. On n’était pas monté sur scène depuis deux ans et on était en mode studio donc c’était hyper déstabilisant comme concert.
Il y a quelques morceaux sur Mirror Mirror qui envoient bien et qui seront certainement des moments forts de vos concerts. Est-ce que la projection du live a tenu une place importante quand vous faisiez l’album ?
John Stargasm : Non pas vraiment par contre on voulait clairement retrouver les sensations qu’on a en live dans le mix et dans le son, c’est sans doute ce qui nous manquait dans les deux albums précédents. On est allés voir un concert avec Nick Terry qui a mixé l’album et on a décidé de construire un mix sur ce qu’on entendait en live : une batterie, une infrabasse,… Du coup certains morceaux prennent comme une ampleur live plus proche de notre vraie nature puisqu’on est nés en jouant dans des clubs.
Vous avez toujours eu une approche particulière du live avec une mise en scène légère mais très présente que ce soit avec les costumes, les perruques, l’intro avec la musique de Star Wars … Avez-vous prévu des changements d’ambiance pour cette tournée ?
Greg Remy : Le show sera différent mais en même temps il y aura toujours des choses qui seront là. C’est évolutif, ce sont aussi toujours des concours de circonstances.
John Stargasm : On prévoit un show différent parce qu’on veut une nouvelle ambiance mais on n’est pas à l’abri de quelque chose un peu surprenant. Des chèvres, un cheval … (rires)
En espérant que vos fans ne seront pas aussi désespérés quand les chèvres partiront que lorsque vous avez arrêté de porter les perruques !
John Stargasm : Il faut bien comprendre le contexte des perruques qui étaient toutes sèches et plates comme une pizza avec une bonne odeur de bière au bout de cinq jours de tournées et qui partaient de travers quand on les mettait. Rapidement tu commences à te regarder et là tu te dis qu’il vaut mieux arrêter !
Suite au départ de Kris Dane, Jean du groupe Montevideo(produit par John Stargasm) vous a rejoint sur l’album. Est-ce qu’il sera également présent sur la tournée ?
John Stargasm : Oui, on a fait un casting et on trouvait que Jean était…
Greg Remy : Le plus beau.
John Stargasm : Voilà donc on l’a pris dans le groupe.
Donc pas de retour probable de Kris dans le groupe ?
John Stargasm : Kris a été renvoyé. Non, il avait envie de faire son projet solo mais c’est drôle car sans le vouloir il y a toujours eu un cinquième membre qui est arrivé sur chaque album. C’était Sanderson sur Electronic Jacuzzi, Kris sur Blow et là c’est Jean. Il y a toujours un nouveau qui arrive mais Kris est toujours «part of the family» (rires)
En France, vous êtes passé d’Atmosphériques à Barclay. Comment s’est effectuée cette transition sachant que vous avez parfois eu la dent dure avec les majors ?
John Stargasm : Il y avait une partie du capital d’Atmosphériques qui appartenait à Universal qui les a absorbés, Universal a décidé de redistribuer certains groupes sur d’autres labels et nous a proposé de venir ici. On avait eu une mauvaise expérience en Belgique avec Sony mais aujourd’hui on se rend compte que le principe Major/label indépendant ne veut pas dire grand chose, ce qu’il faut mettre dans l’équation c’est la qualité de l’équipe qui travaille pour toi. Ici, c’est une équipe super motivée, qui comprend la musique et qui est à notre écoute. Il n’y a pas de réelles différences par rapport à la période où nous étions chez Atmosphériques, on se sent bien ici donc on est contents.
Vous avez participé il y a un moment maintenant à la BO d’Irina Palm, vous avez été aussi repris dans plusieurs films : Les chevaliers du Ciel, Dikkenek, Ex-drummer,… Est-ce que cela vous donnerait envie de réaliser un jour une BO complète ?
John Stargasm : Oui, à fond. Dans «Irina Palm» on avait fait plusieurs propositions qu’on donnait au réalisateur parce que c’était son projet et à chaque fois il choisissait les trucs les plus déprimants. Il nous disait «ça serait bien si vous pouviez répéter ce passage encore et encore…» mais curieusement ça a été assez génial à faire. On aime aussi beaucoup Air qui avait fait une BO pour Virgin Suicide qu’on a énormément écoutée, c’est un album magnifique et complet.
Et vous avez vu cette scène de Ex-Drummer où il y a une tuerie sur l’air de Blow ?
Antoine Michel : C’est la pire scène du cinéma européen de ces dernières années. (rires)
John Stargasm : Par contre il paraît que Les Chevaliers du Ciel est un des meilleurs films du monde.
Mika Nagasaki : Si on aime les avions pourquoi pas. (rires)
John Stargasm : On peut dire qu’on a vraiment eu de la chance avec les BO jusqu’à présent ! Et pourtant on en a refusé pas mal, on a mis des vétos sur des publicités de shampoing aussi. Il y avait deux morceau qui inspiraient étrangement le shampoing mais on a préféré refuser, trop difficile à assumer.
Vous êtes réputés pour bien profiter de l’aspect festif des tournées, avez-vous suivi un stage commando pour préparer celle-ci ? Un entrainement particulier pour enchaîner les bières ?
Greg Remy : On a un coach, tous les matins on fait un footing et on boit des jus de fruits.
John Stargasm : On a décidé de faire une tournée bio. On a demandé des caterings avec de l’encens, du soja et du tofu, on aura les pieds nus et un guide dans le bus qui nous parlera de l’Inde.
Greg Remy : On aura aussi un jardin bio portatif pour manger nos légumes.
Mika Nagasaki : Ca, c’est pour tous les autres, je suis anthropophage donc je mangerai de la viande.
(rires)
John Stargasm : Non sérieusement, je pense qu’on s’est assagis.
Greg Remy : On boit plus, on prend plus de drogues mais on est beaucoup plus sages.
Un grand merci à Ghinzu, Damien, Floriane et Laure.