Lunettes en cœur sur le nez, Biomans dans le sillage, Jil Is Lucky est parti en croisade hallucinogène contre les fanatismes religieux et le « Travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy avec un premier album sorti en mars 2009. Après plusieurs voyages initiatiques à travers la planète, Jil prêche désormais la bonne parole de bars en scènes comme ce fut le cas cet été à Rock en Seine quelques heures avant le prophète Mike Patton. Si certains avaient déjà fait sa connaissance grace a son contre-concert lors du « concert sauvage » des Wampas à la Gare du Nord sur France 4, d’autres viennent de decouvrir The Wanderer dans la nouvelle campagne de pub Flower by Kenzo lancée en décembre dernier.
De doux dingue à gourou, beaucoup de qualificatifs ont été utilisés pour caractériser Jil qui met la gomme au fil d’interviews très second degré dans lesquelles il construit chaque jour sa propre légende et distille des blagues absurdes. En réalité Jil n’a foi qu’en une seule religion, celle du décalage. La pratiquant même pour Visual-Music avec une interview à laquelle il s’est livré très sérieusement…
Je vais t’éviter de réciter ta presentation comme à chaque interview, par contre j’aimerai revenir sur un sujet abordé systématiquement mais auquel on ne peut pas échapper à savoir cette pochette incroyable sur laquelle tu es pieds et poings liés, entouré de Biomans religieux et le clip de The Wanderer dans lequel tu leur rends visite dans un refuse perdu dans les montagnes enneigées. Peux-tu nous expliquer quelle est ta démarche sur le plan visuel ?
C’est une démarche simple liée à l’album qui est assez biblique avec des références religieuses lointaines. Tout est parti d’une réflexion sur le discours religieux et toute la discorde actuelle qui en découle. Il y a une grande antinomie entre la modernité de notre époque et le regain de communautarisme, c’est de là qu’est partie mon interrogation. Je suis revenu aux fondements et aux discordances de textes, tout ça me paraissait complètement surréaliste. Les bases des religions sont hallucinantes, tout comme les combats actuels. C’est à partir de ce constat que j’ai fait le rapprochement avec les Biomans car ce sont les guerriers emblématiques de ma génération et leur combat en fuseau fluo pour sauver la planète est tout aussi surréaliste. J’ai voulu détourner leur image pour travestir les instances religieuses en utilisant un représentant de chaque grande religion, il y a le Black Rabbi, la Vega, Streamroller et Superschneider.
Ca doit donner un certain sentiment de puissance de voir ses potes en combinaison moulante ?
Totalement mais il y a aussi le revers de la médaille. Quand tu les vois en fuseau dans la neige sous -4°c pour le tournage d’un clip, un grand sentiment de culpabilité t’envahit.
D’ailleurs leurs moonboots sont assez collectors…
C’est vrai, ils sont magnifiques. Que du sur –mesure !
Si le concept de l’artwork avait été différent et que c’était à toi de te déguiser en super héro, lequel aurais-tu choisi ?
J’aurai probablement choisi Flash qui me permettrait d’être à l’heure aux rendez-vous. Je suis systématiquement en retard, j’en ai même fait une chanson. C’est chronique, je ne peux rien faire contre ça donc le costume de Flash m’aiderait bien.
Pour en revenir à la religion qui est une thématique très présente (JESUS said, Juda loew’s mistake), tu as beaucoup baigné là-dedans pendant ton enfance mais aujourd’hui tu te dis athée. Est-ce que malgré tout, la religion continue de tenir une place importante dans ta vie au-delà de ce que tu peux en retirer artistiquement ?
Ca laisse forcément des traces et la société est inéluctablement basée sur des principes religieux, tout du moins sur les 10 commandements. On a une batterie d’héritages judéo-chrétiens auxquels on n’échappe pas et moi non plus.
Et imaginons que tu puisses lancer ton propre dogme, quels en seraient les principaux fondements ?
Etant un grand fainéant, je ne pense pas avoir les épaules pour le faire. Pour lever une communauté entière, il faut pouvoir soi-même se lever ! Il faut être motivé pour motiver les gens mais à part faire de la sculpture, de la peinture ou de la musique, je ne suis bon à rien.
Je trouve que l’album est très positif ce qui dénote dans le milieu folk/rock indé. Est-ce que tu penses que c’est cette énergie positive qui rend Jil chanceux ?
Probablement, je pense qu’en étant positif, on dégage des énergies positives et on reçoit la même chose en retour. Je ne regarde jamais en arrière, je suis toujours dans le présent et dans ce qui est à venir. Peut-être aussi qu’il m’arrive parfois des crasses et que je les oublie et ça doit aussi me donner l’impression d’être chanceux mais tout est une question d’énergies, ma vision de la vie a sans doute joué sur le fait que je sois signé par un label seulement 2 mois après mon arrivée à Paris par exemple.
Tu défends aussi un autre modèle de société qui ne serait pas centré sur l’argent et le travail (Don’t work) et où la vie quotidienne peut être extrapolée de manière artistique (Without you). N’est-ce pas compliqué parfois de choisir sa propre voie à l’encontre du système en place ?
Je pense que c’est une manière d’être et d’agir. L’art premier est de transposer la notion d’art à sa propre vie et de transformer n’importe quelle situation en quelque chose d’exceptionnel ou de décalé. Le premier degré m’effraie, je n’utilise presque pas le second, ce n’est pas mon humour. J’aime être à côté de l’à côté et vivre sur le fil de quelque chose d’improbable. Je pense qu’essayer de vivre ma vie comme une œuvre est extrêmement prétentieux mais je le fais quand même. J’aime sortir l’art du support, prendre ma guitare et aller jouer n’importe où, peindre et exposer dans un endroit où ça n’a rien à faire. Je pense qu’il faut garder à l’esprit que la notion d’existence et notre propre existence nous dépasse, cela n’a aucun sens donc il m’est impossible de me dire « lève toi et fais 9h par jour pendant 40 ans un truc dont tu n’as rien à foutre ». Je fais de l’art quand je suis ici sinon je voyage comme la semaine prochaine où je pars en Inde pour un mois.
Tu as quand même des contraintes à gérer, par exemple ton envie est de faire de la musique mais à côté tu dois te plier aux exigences de la promotion et des interviews comme celle-ci.
Il y a des concessions à faire mais ce n’est pas gênant quand les moyens vont dans le sens de la fin. Faire de la musique me permet de m’exprimer et de vivre, à côté je dois faire certaines choses mais il y a un minimum de décence en moi qui fait que participer à la promotion n’est pas horrible, ce n’est pas comme se lever tous les matins et aller à la caisse.
Tu parlais de ton prochain départ en Inde, justement Jil Is Lucky est très lié aux voyages (The wanderer) que tu as faits ces dernières années. Penses-tu que l’absence d’empreinte musicale hyper définie sur l’album est liée à tes périples ?
Oui probablement mais c’est aussi lié au fait que c’est un premier album. Il y a plein de choses différentes qui m’ont marquées et qui sont moins digérées que l’album à venir qui sera beaucoup plus pop et limite electro.
Tu as déjà commencé à travailler dessus ?
Oui, j’aimerai le sortir pour Septembre 2010 même si j’ai la chance d’avoir composé les morceaux de celui-ci juste avant l’enregistrement il y a environ un an et demi. Ca ne fait pas des années comme c’est souvent le cas pour des premiers albums et puis on les réarrange en plus en live donc ça va.
A ce propos je trouve que les morceaux envoient plus en live, ça sent bien plus la sueur que sur album. Est-ce que vous allez continuer à les faire évoluer dans cette direction pour les dates de 2010 ?
On rajoute toujours des choses, on essaye d’axer ça vers un son plus pop et aérien et aussi vers un son plus rock. Il y a une unité de son beaucoup plus grande dans le live que dans l’album.
Il y a une date à la Cigale prévue le 7 avril 2010. Comment l’appréhendes-tu ?
On avait rempli le Point Ephémère à la sortie de l’album, puis la Maroquinerie en Octobre, là on prend le pari de remplir la Cigale. J’espère que ça va le faire, on a 14 dates avant pour bien se roder. On a hyper hâte d’y être, d’autant plus que la Maroquinerie reste un super souvenir.
C’était effectivement une belle soirée, tous tes fidèles étaient là !
Oui c’est génial car on a un public qui nous suit vraiment, ils portent les lunettes, chantent c’est vraiment mortel. On organise des croisades hallucinogènes avec eux, ça me permet encore une fois de sortir la musique de son support en allant jouer à travers Paris.
Tu parlais tout à l’heure de la notion de décalage, je trouve qu’elle est très présente chez Jil Is Lucky que ce soit sur le plan visuel, musical ou thématique. Je me demandais si c’était aussi pour cette raison que tu avais appelé ce projet Jil Is Lucky dans le sens où on peut croire que tu es Jil Is Lucky ou que c’est le nom du groupe et donc cela peut aussi créer des décalages selon le point de vue pour lequel le public opte.
Oui carrément, on se demande même souvent s’il y en a un qui s’appelle vraiment Jil. Dans un sens, c’est un groupe puisque ce sont les mêmes mecs depuis le départ à savoir des amis et mon frère. On arrange tout ensemble et je n’ai pas l’impression de jouer avec des musiciens, il y a une vraie unité.
Jil Is Lucky est donc bien un groupe dans lequel on retrouve ton frère, le chanteur Bensé et d’autres musiciens qui sont tous reliés aux projets du label Square Dogs (label parisien décliné sur un modèle du type Constellation Records). Que t’apportent-ils que tu n’aurais pas sur un vrai projet solo ?
Au tout début, ils m’ont apporté une expérience et des arrangements scéniques. Je viens des bars à Nice où je jouais quand j’avais 13 ans avec mon frère qui a 4 ans de plus que moi et Steffen Charron (Simple as pop) qui est du même âge. En montant à Paris, Steffen a fondé son label Square Dogs, il a signé Carp, le groupe du batteur Antoine Kerninon. Il était aussi sur la tournée d’Emilie Simon avec un violoncelliste, Arnaud Crozatier (Landscape) qu’il m’a présenté quand j’ai commencé à maquetter l’album et qui a apporté de beaux arrangements de cordes à l’album.
Puisqu’on parle de Square Dogs, sais-tu où en est le label ? Je suis plutôt fan de ce qu’ils font !
Ah ouais c’est marrant. Je ne sais pas trop où ils en sont actuellement. Square Dogs, c’est tellement microscopique.
Carrément, c’est aussi ce qui est génial dans ce projet au-delà de leur excellente démarche de faire ce qu’ils veulent eux-mêmes avec les moyens du bord, c’est tellement tendu de faire ça aujourd’hui.
C’est clair, en plus leur musique est juste invendable. Il n’y a pas un single potentiel, c’est super mais il n’y a aucune force de frappe.
Toi pour le coup, tu es sur un label indé mais beaucoup plus structuré.
Oui Roy Music est un label qui a les épaules solides. Leur pari est de signer des trucs très indé qui leur plaisent comme récemment Vismets avec qui on va faire une date à Londres en février et à côté des trucs pour pouvoir faire rentrer de l’argent parce qu’aujourd’hui tu es obligé de passer par là. Square Dogs n’avait pas les moyens de faire ça, ils ont juste leur musique pas radiophonique pour un sou avec des morceaux de 10 minutes donc c’était un pari impossible mais ils l’ont fait et c’est ce qui est génial. Mine de rien ça leur a aussi permis de se faire des connexions, il y a Guillaume De Chirac de Landscape qui est maintenant tout le temps en tournée avec Sébastien Schuller, Simple as Pop et Carp qui ont tourné avec Jil Is Lucky donc ils ont tous des projets solides qui leur permettent de continuer à composer. Et puis Internet leur permet d’avancer, Landscape 3 va sortir en numérique, Simple as pop aussi et il y a des dates à venir.
Pour revenir à l’album, j’ai lu que tu le considères comme une face A et une face B. Un peu de nostalgie ?
Il y a longtemps que je n’achète plus que des vinyles, je trouve que c’est un joli support et j’aime bien la construction face A/face B. Je l’ai aussi construit comme ça parce qu’on a sorti le vinyle en même temps donc il fallait que ça soit cohérent et puis parce que ça devient plus posé à partir de Without you. La face B correspond plus à la direction que l’on va prendre notamment Hovering Machine, un morceau pop et puissant à la fin qui est l’ouverture vers ce qui va suivre.
C’est peut-être lié aussi à ton gout prononcé pour les 60’s. Qu’est ce qui t’attire dans cette période ?
C’est le son, la musique occidentale au moment des 30 glorieuses était dingue. Et puis aussi l’esprit inévitablement et la libération qui a explosé d’un coup. Il y avait tellement de monstres qui sortaient leur vinyle au même moment : Led Zep, Jimi Hendrix, les Beatles… J’ai été élevé dans la radio de mon oncle qui m’ a baigné de ses récits de cette époque d’échanges de vinyles. Il me mettait des disques et je me souviens du respect de la galette au moment où elle est posée que ça commence à tourner. C’est peut-être de là que vient mon obsession pour les sixties.
Ta musique a été choisie à plusieurs reprises pour des synchros, il y a eu I may be late dans la bande annonce de la fête du cinéma en 2008 et depuis décembre The Wanderer dans la nouvelle pub Flower by Kenzo. Comment perçois-tu cela ?
Je trouve ça cool. J’en avais déjà parlé avec mon label en leur disant que s’il y avait des synchros qui tombaient tant mieux mais que je ne voulais pas que ce soit de la pub Aldi ou Conforama. C’était clair net et précis, je ne voulais pas que Jil Is Lucky soit utilisé pour des pubs pourries. Il se trouve que là c’est Kenzo avec Patrick Guedj à la réalisation. C’est un photographe et un réalisateur de génie dont je connaissais le travail, je trouvais ça hyper beau. Le Directeur artistique de v a aussi fait des pubs superbes que ce soit avec Tom McRae ou Cocorosie donc j’ai foncé quand ils m’ont contacté pour me dire qu’ils avaient tourné la nouvelle pub de Kenzo sur les toits de Paris et qu’il voulait The Wanderer.
J’espère que tout continuera sur cette voie, merci pour cette interview.
De rien, à la prochaine.
The Wanderer est actuellement en téléchargement gratuit sur www.jilislucky.fr
Merci à Jil et Judith.