Ce 18 aout était rude. Non seulement le France enregistrait des records de chaleur inédits pour la saison, mais je me trouvais en plein cœur de la zone alerte orange canicule. Avec quelques amis nous avions donc décidé de passer la journée en forêt, sous l’ombre salvatrice des pins noirs. Les habitants de la région nous avaient alertés quant à la présence d’un chevreuil bicéphale et nous nourrissions l’espoir d’entrapercevoir la bête.
Alors que nous nous enfoncions toujours plus profondément au cœur de la forêt millénaire, des craquements ont commencé à se faire entendre. Impossible d’en déterminer la provenance. Un chevreuil curieux ? Pas de doute, les observateurs étaient observés. Mais par qui ? La réponse ne se fit pas attendre. Vêtus de simples slips, le corps entièrement recouvert de plumes, ils descendent des cimes pour nous encercler. C’était les strigofus, les enfants de la Chouette Noire !
Les poignets liés, nous avançons contraints jusqu’au repère des cultistes, lorsque l’un d’eux m’apostrophe :
« Allez fais pas la gueule là, on va écouter du stoner et bouffer du Saint-Nectaire, t’vas voir on va se mettre bien ! »
Nous suivons un chemin sinueux qui nous mène jusqu’à l’ascension d’un ancien volcan. Arrivés à sa bouche, nos emplumés ravisseurs se jettent au sol pour se prosterner devant leur infâme idole aux yeux rougeoyants : la Chouette Noire !
Pas le temps de se débattre, on nous pousse vers le cratère qui révèle un lac aux profondeurs insondables. Un mur d’orgues basaltiques se dresse devant nous comme une infinité d’obscurs monolithes. Des marches d’un noir de jais descendent vers le radeau sur lequel se déroulera la cérémonie…
Sbonk
Sbonk ! Le premier groupe fait l’effet d’un coup de batte asséné par un facétieux Shiba Inu. Les trois bordelais ont à peine eu le temps sortir de la voiture qu’ils sont déjà sur scène… et le son est nickel. Ce sera d’ailleurs une constante tout au long de ces deux jours : l’association entre la magie basaltique des lieux et une équipe technique de haute volée fait qu’on distingue toujours tous les instruments et que les riffs restent clairs comme de l’eau de roche.
Avec une salopette et un pompiste Esso sur scène, on s’attend à ce que ces amateurs de jeux mots nous fassent de l’esprit. Pompistes mais pas pompiers, pourtant. L’humour s’exprime intelligemment à travers les compositions et si on pouvait craindre qu’à trop faire les malins la puissance se perde en chemin, il n’en est rien. Entre deux blagues la poutre était bien là.
The Marshals
Rapide enchaînement avec les bluesmen de The Marshals, un trio guitare-harmonica-batterie qui laisse les bons temps rouler. Aucune surprise mais ils parlent un langage universel. Les têtes dodelinent en rythme et les pieds tapent furieusement contre les marches de pierre.
Grosse prise de conscience lorsque le frontman nous fait réaliser que si on a la meilleure vue du monde, pour le groupe qui joue c’est un peu nul. Il nous propose alors d’échanger nos places pour qu’ils puissent en profiter… Merci mais non merci.
On retiendra la prestation de l’harmoniciste aux allures de chanteur de beatdown qui met tout le monde à genoux avec un solo de fou furieux avant d’aller fumer sa clope sur le côté de la scène une fois les mâchoires décrochées. Le set se termine par une réinterprétation du « Folsom Prison Blues » de Johnny Cash pratiquement méconnaissable et une envie de les revoir un de ces jours.
Fuzzy Grass
Fuzzy Grass revenait pour son troisième set aux Volcano Sessions. Autant dire que les sudistes sont ici en terrain conquis et qu’ils connaissent chacune des planches du ponton scénique.
Alors oui, ça worship les 70’s, des instruments aux chemises. Leur premier album « 1971 » qui fait référence à la fameuse année charnière a déjà démontré qu’ils savent de quoi ils jouent. En les écoutant on pourrait name dropper tous les musiciens de l’époque, mais ce ne serait pas très intéressant. Contrairement à leur prestation, qui elle l’est fortement. Avec une section rythmique qui ne reste pas à sa place, un chanteur habité et une guitar héroïne capable d’inspirer une nouvelle génération, il y a du talent sur scène. Mais surtout, on retiendra l’impression d’avoir vu des amis qui jouent véritablement ensemble et prennent plaisir à le faire.
Fuzzcasia
Pas possible de partir dix minutes entre deux sets que ça annonce un « mgngngmgngmgnCASIA » ! Allons bon, Decasia qui commence en avance ! Sauf qu’après avoir couru jusqu’à la scène on constate qu’une partie des Decasia est arrivée… mais que les Fuzzy Grass sont encore là ! FUZZCASIA !
Et c’est parti pour un jam monstrueux où les instruments passent de main en main pendant que ceux qui attendent leur tour s’en grillent une. Le trip est total, aussi inattendu que puissant. C’était certainement le meilleur moment de la journée.
Fuzzy Grass x Decasia = FUZZCASIA#volcanosessions pic.twitter.com/4TyEsLbAhK
— VisualMusic (@visualmusicorg) August 18, 2023
Decasia
Après un premier album salué par la critique l’an dernier, Decasia a passé l’été sur les routes afin de rallier tous les peuples à sa nation. Le point culminant de cette conquête des oreilles françaises s’est trouvé être la Valley du Hellfest avec un set parait-il glorieux auquel votre serviteur n’a pu assister, pour des raisons uniquement buccales.
Mais aujourd’hui au cœur du volcan, Decasia joue pour ses frères et sœurs de fuzz. En famille parce que oui, Decasia était là pour la première Volcano Session et avait déjà partagé la scène avec Fuzzy Grass lors des secondes et cinquièmes. Est-ce que ça veut dire qu’ils vont se détendre et retenir un peu leurs coups ? Rien du tout ! Ce 18 aout sera une victoire de plus sur leur campagne 2023. Les mecs pilotent le volcan et l’emmènent très loin.
Les chansons du trio sont ultra-efficaces et pourtant c’est dans les phases instrumentales que la puissance décadente du trio se révèle. On penserait presque dans ces moments à un certain Slift. Des rayons lasers tracent des signes cabalistiques sur les orgues derrière eux et l’eau du lac commence à frémir.
« Vous aimez les baleines ? »
Le public n’a pas le temps de répondre qu’un gigantesque cétacé surgit des eaux du lac et effectue un saut impressionnant avant retomber de tout son long, aspergeant l’assistance. Trempé et ébahi, le peuple du volcan ne peut qu’accepter le triomphe de Decasia. Le puissant trio forme désormais une unité si cohérente qu’il vibre à la même fréquence que l’univers, dirigeant la nature comme un omnipotent chef d’orchestre.
Decasia pilote le volcan ! #volcanosessions pic.twitter.com/mB9PnRlmu2
— VisualMusic (@visualmusicorg) August 18, 2023
Siena Root
Difficile de passer après Decasia donc. Siena Root n’oublie pas de rappeler qu’ils sont la tête d’affiche avec une entrée toutes lumières éteintes. Le cadre et le line up de la journée étaient parfaits pour accueillir ces suédois qui depuis plus de vingt ans prêchent la suprématie du heavy rock 60’s/70’s.
La line up a connu un turnover assez incessant depuis la formation même du groupe. On a tout de même ici la section rythmique d’origine et elle est solide. Assurant la communication avec le public dans un français impeccable, le bassiste druidesque Sam Riffer se met le public dans la poche. La chanteuse Zubaida Solid achève de mettre tout le monde d’accord, tantôt à l’orgue sur le côté de la scène, pour mieux venir se replacer au centre et assumer pleinement son rôle de frontwoman. Souvent comparée à Janis Joplin ou Grace Slick de Jefferson Airplane, la démonstration faite ce soir prouve qu’elle ne triche pas et que son nom aurait tout à fait sa place aux côtés des références de l’époque.
Un petit attroupement s’est formé devant la scène et il est amusant de constater leurs réactions au fil des morceaux. Si ça se balance gentiment sur les morceaux hippiesques et que ça commence à se remuer quand le son se fait plus zeppelinien, l’arrivée soudaine d’un riff sabbathisant déclenche une vague de headbang traditionnel. On ne se refait pas. Qu’on soit ou non amateur du genre, Siena Root aura emporté le volcan dans un moment un peu hors du temps.